Les décisions que prennent les groupes membres de l'IFEX et les difficultés auxquelles ils sont controntés lorsqu'ils documentent les décès des journalistes.
D’innombrables journalistes à travers le monde risquent leur vie pour couvrir la situation dans les zones de conflit, et suscitent la colère de groupes puissants en rapportant la nouvelle sur des sujets controversés. Et ils paient parfois le prix ultime de leur vie pour nous rapporter la nouvelle.
Les défenseurs de la libre expression jouent un important rôle de « témoins » car ils documentent les incidents et braquent les projecteurs sur eux. À la fin de chaque année civile, beaucoup de membres de l’IFEX publient leur bilan annuel des attaques commises contre les professionnels des médias, qui se concentre habituellement sur le nombre des journalistes qui ont été tués en rapport avec leur travail.
Cinq membres de l’IFEX dressent un bilan des journalistes tués à travers le monde, souvent avec des différences marquées dans le décompte final – et 2012 n’a pas fait exception.
L’IFEX énumère les principales raisons de ces différences.
Qui est inclus – et qui ne l’est pas – dans les décomptes
Ce ne sont pas tous les groupes qui incluent les journalistes citoyens, les blogueurs ou le personnel de soutien des médias dans leur recensement des journalistes tués – et même lorsqu’ils le font, on ne sait pas toujours clairement qui devrait être inclus dans chaque catégorie.
Alors que la plupart des groupes incluent les journalistes en ligne, il n’y a pas de consensus quant à savoir s’il faut compter un blogueur comme journaliste en ligne, par exemple. Comme l’explique Alison Meston, directrice responsable de la liberté de la presse à l’Association Mondiale des Journaux et des Éditeurs de Médias d’Information (WAN-IFRA), « nous pouvons ne pas inclure un blogueur qui milite en faveur d’une question communautaire particulière, mais nous pouvons inclure un blogueur qui constitue une source d’information digne de confiance et qui compte de nombreux correspondants ou qui apparaît régulièrement dans un journal ou une entreprise de presse. »
Certains groupes ont élaboré des définitions et les appliquent dans leurs dossiers pour tenir compte de la réalité changeante du journalisme. En 2012 par exemple, le rapport de l’Institut international de la presse (IIP) Death Watch, incluait les journalistes citoyens de Syrie, définis comme des individus qui ne travaillent pas pour des médias appartenant au gouvernement en Syrie ou contrôlés par lui, mais qui appliquent les principes du journalisme dans la collecte et la distribution de l’information.
Auparavant, la guerre en Irak avait porté au premier plan la question du bilan des ressortissants visés parce qu’ils travaillaient comme assistants, ou « fixers » des correspondants étrangers. La Fédération Internationale des Journalistes (FIJ) a donc commencé en 2003 à inclure le personnel de soutien des médias dans son bilan, et le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) et Reporters sans frontières (RSF) ont créé une nouvelle catégorie afin de tenir séparément le compte des décès des travailleurs de soutien des médias.
Comment sont traités les cas non confirmés
Le CPJ et RSF n’incluent pas un cas tant qu’il n’est pas confirmé de manière certaine que la personne a été visée en raison de son travail. Cela peut s’avérer particulièrement difficile dans les pays où l’impunité sévit et où les enquêtes judiciaires appropriées font défaut. D’autres membres choisissent d’inclure ce genre de cas tant que n’a pas été éliminé un lien avec la libre expression.
Alors que cela entraîne des différences dans l’établissement des bilans et que cela peut empêcher certains groupes de collaborer entre eux pour exercer des pressions auprès des gouvernements, les approches différentes présentent de nets avantages. Le CPJ dit choisir d’exclure les cas non confirmés de son bilan définitif afin d’éviter de donner une impression erronée de la gravité de la situation, et les compte plutôt séparément. La FIJ et l’IIP, qui incluent les cas non confirmés, disent que cela leur permet d’exercer des pressions auprès des autorités, de sorte qu’un meurtre n’est pas balayé comme ayant été « commis pour des motifs personnel » sans preuve suffisante. Cela accroît en outre la probabilité qu’émerge un débat en règle sur le mobile du meurtre.
Circonstances entourant la mort d’un journaliste
Au-delà des variations dans le décompte des personnes tuées, il y a aussi des différences quant à savoir si les membres de l’IFEX incluent les décès de ceux des journalistes qui perdent la vie au combat ou qui se trouvaient en mission dangereuse, par opposition aux décès accidentels ou aux décès de causes naturelles. La FIJ et l’IIP incluent par exemple les cas des journalistes tués pendant qu’ils se trouvaient en mission dangereuse, même s’ils ne se trouvaient pas en service au moment de leur décès. RSF ne le fait pas, tandis que le CPJ et la WAN-IFRA tiennent compte des circonstances dans chaque cas.
Sources et ressources
Les exemples évoqués ci-dessus sont tous des exemples de décisions conscientes que prennent les groupes quant à savoir qui est inclus dans leurs bilans. Mais il peut aussi y avoir des variantes qui résultent de facteurs indépendants de leur volonté. Par exemple, il tend à y avoir davantage de divergences dans les pays où circulent peu d’informations en raison de la répression, de la peur et de l’auto-censure, comme le montre la situation au Mexique ces dernières années. Un groupe peut ne pas disposer des ressources pour enquêter de manière approfondie sur les mobiles de chaque meurtre. Enfin, l’exactitude des bilans définitifs dépend nécessairement de la fiabilité et de la disponibilité des sources des groupes dans une région donnée. Selon la FIJ et la WAN-IFRA, il est plus facile de s’assurer des faits et de confirmer le mobile dans les pays où ils ont des affiliés ou des associations locales.
Pour les raisons énumérées plus haut, les nombres sont nécessairement approximatifs. Certains cas ne sont jamais connus. Dans d’autres cas, il est presque impossible d’établir les circonstances exactes de la mort de la personne. Néanmoins, les membres de l’IFEX estiment qu’en dépit des divergences, les bilans représentent un outil important qui aide à déterminer les tendances, à souligner les dangers dans certaines régions particulières et à attirer l’attention sur les responsabilités de l’État.
Pour une analyse plus approfondie de la méthodologie des membres de l’IFEX et pour trouver des analyses de cas sur le Mexique, les Philippines et la Russie, télécharger le rapport de synthèse Projet sur les méthodologies employées dans le recensement des » journalistes tués « (Décembre 2011).
Marianna Tzabiras travaille comme recherchiste et activiste sur la question des droits de la personne depuis plus de 10 ans, et s’est d’abord concentrée sur l’Amérique latine. Elle collabore depuis longtemps avec l’IFEX et est actuellement Rédactrice de la section Asie – Pacifique et Droits numériques.