(IFEX-TMG) – Ci-dessous, une lettre des membres de l’IFEX-TMG au président tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, datée du 25 juin 2005 : M. Zine El Abidine Ben Ali Palais présidentiel Carthage Tunisie s/c Ambassade de Tunisie 515 rue O’Connor, Ottawa, ON K1S 3P8 Canada téléc : +(1) 613 237-7939 Le 25 juin 2005 Monsieur […]
(IFEX-TMG) – Ci-dessous, une lettre des membres de l’IFEX-TMG au président tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, datée du 25 juin 2005 :
M. Zine El Abidine Ben Ali
Palais présidentiel
Carthage
Tunisie
s/c Ambassade de Tunisie
515 rue O’Connor, Ottawa, ON K1S 3P8 Canada
téléc : +(1) 613 237-7939
Le 25 juin 2005
Monsieur le Président,
Par la présente, nous souhaitons exprimer notre profonde inquiétude face à la recrudescence des attaques contre la liberté d’expression en Tunisie depuis notre première mission d’enquête au mois de janvier 2005 et nous souhaitons par ailleurs vous encourager à prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à ces attaques qui, dans l’esprit de beaucoup, soulèvent la question du lieu même du Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI), qui doit se tenir à Tunis en novembre 2005.
En tant que membres du Groupe d’observation de la Tunisie (TMG), créé en juin 2004 dans le cadre de l’Échange international de la liberté d’expression (IFEX) pour évaluer les conditions de participation au SMSI, nous avons rencontré des Tunisiens de tous bords politiques et intellectuels, y compris des officiels. En janvier et en mai, nous avons par ailleurs été les témoins d’attaques contre les libertés d’expression, d’association et de mouvement, attaques que nous avons recensées.
Suite à de longs mois d’enquête et d’observation et de recensement des attaques contre la liberté d’expression et des cas de harcèlement de journalistes en Tunisie, nous sommes parvenus à la conclusion que la crédibilité même du SMSI serait sérieusement compromise et que les autorités tunisiennes assumeraient – aux yeux de la communauté internationale dans son ensemble- une large part de responsabilité dans cet état de fait, si des mesures efficaces n’étaient pas prises immédiatement pour :
1- Libérer de prison l’avocat des droits humains Mohamed Abbou et le rédacteur en chef de l’hebdomadaire interdit Al-Fajr, Hamadi Jebali. Comme des centaines d’autres, ils sont emprisonnés pour avoir exercé leur droit à une libre expression et leur droit d’association.
Des ONG locales, régionales et internationales, de même que des gouvernements occidentaux amis de la Tunisie, y compris le gouvernement américain, maintiennent que ces prisonniers, qui sont vus au plan mondial comme des prisonniers politiques et des prisonniers d’opinion, n’ont jamais eu recours ou fait l’apologie de la violence et qu’ils n’ont pas eu droit à un procès équitable.
Abbou a été enlevé par les forces de police dans les rues de Tunis le 1er mars 2005, soit moins de 24 heures après avoir placé sur le net un article critiquant la décision du gouvernement d’inviter le Premier Ministre israélien Ariel Sharon au SMSI. Paradoxalement, suite à un procès inéquitable, il a été condamné par un tribunal correctionnel de Tunis, le 28 avril 2005, à 3 ans et demi de prison pour avoir publié des déclarations en 2004 « susceptibles de troubler l’ordre public », pour avoir « diffamé le processus judiciaire » et également pour « violence » il y a près de 3 ans à l’encontre d’une avocate proche du gouvernement.
Le 10 juin dernier, une cour d’appel a confirmé la peine suite à une audience très éloignée des normes internationales d’un procès équitable (d’après des défenseurs de droits humains et des diplomates).
L’article d’opinion utilisé pour inculper Abbou n’est pas l’article qu’il avait placé sur la toile à la veille de son enlèvement par la police, mais un autre posté en août 2004, dans lequel il comparait les conditions inhumaines de la prison américaine d’Abu Ghraib en Iraq à celles qui prévalent dans les prisons tunisiennes.
Arrêté en 1991 suite à la publication, dans Al Fajr, d’une tribune de l’avocat des droits humains Mohamed Nouri sur l’inconstitutionnalité des tribunaux militaires, Jebali purge actuellement une peine de 16 ans de prison pour avoir prétendument été membre d’une « organisation illégale » et pour avoir essayé de « changer la nature de l’Etat ».
2- Mettre fin aux sanctions administratives arbitraires et à l’implacable harcèlement policier qui obligent le journaliste Abdellah Zouari à vivre à quelque 500 km de sa femme et de ses enfants et qui l’empêchent de gagner sa vie ou encore d’utiliser les cybercafés.
3- Libérer tous les livres et toutes les publications interdites – y compris les livres de Mohamed Talbi et de Moncef Marzouki – et les publications d’institutions de droits humains comme l’Association tunisienne des femmes démocrates, l’Institut arabe des droits de l’Homme, ou la Fondation Temimi.
Le groupe d’observation de la Tunisie s’est félicité de votre annonce, le 27 mai dernier, de l’abolition de la procédure de dépôt légal pour les organes de presse, tout en précisant que la libération de l’ensemble des livres et des publications bloqués en Tunisie constituerait « un pas dans la bonne direction ».
4- Reconnaître le droit inaliénable des groupes issus de la société civile d’agir librement dans un contexte de non-harcèlement de leurs membres et de leurs dirigeants. La reconnaissance (et le respect) du Conseil national pour les libertés en Tunisie, du Centre pour l’indépendance de la Justice, de l’Association pour la lutte contre la torture, de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques, de la ligue des écrivains libres, de Raid-Attac Tunisie et de bien d’autres mettrait la Tunisie en conformité avec les standards internationaux en matière de droits humains et contribuerait par ailleurs à améliorer son image au plan international de manière significative.
5- Mettre fin au harcèlement des journalistes indépendants et des dirigeants du Syndicat indépendant des journalistes tunisiens, dont la création, en mai 2004, est conforme au code du travail tunisien.
6- Mettre fin à l’utilisation abusive de la loi sur le terrorisme, promulguée ironiquement le 10 décembre 2003 et qui est malheureusement utilisée – d’après les groupes de droits humains locaux et internationaux- comme un outil pour réduire au silence et punir les critiques du gouvernement. L’une des dernières victimes en date de cette loi n’est autre que l’Institut arabe des droits de l’homme. Les liquidités placées dans les banques tunisiennes par cette institution régionale, visant à sensibiliser le public arabe aux droits humains, auraient été récemment gelées pour des raisons politiques.
7- S’assurer que le droit de créer des médias ne soit pas réservé aux seuls individus ou groupes proches du gouvernement et ne se fasse pas en l’absence de règles de base d’équité et de transparence; s’assurer du respect du droit d’accès aux cybercafés et du droit de surfer librement sur le web.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous remercions par avance de l’attention que vous voudrez bien donner à cette lettre.
Nous vous prions d’agréer nos sincères salutations.
Les membres du groupe d’observation de la Tunisie :
ARTICLE 19, Royaume-Uni
L’Association mondiale des journaux (AMJ), France
L’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires (AMARC)
Le centre PEN norvégien
Comité des écrivains en prison du PEN international (WiPC), Royaume-Uni
La Fédération internationale des journalistes (FIJ)
Index on Censorship, Royaume-Uni
Journalistes canadiens pour la liberté d’expression (CJFE)
Journaliste en danger (JED), République démocratique du Congo
Media Institute of Southern Africa (MISA), Namibie
L’Organisation égyptienne des droits de l’homme (EOHR)
L’Union internationale des éditeurs (UIE), Suisse
World Press Freedom Committee (WPFC), États-Unis