Octobre en Europe et en Asie centrale: tour d’horizon des principales nouvelles sur la libre expression. Réalisé sur la base des rapports de membres de l'IFEX.
Ceci est une traduction de l’article original.
Ján, Alisher, Daphne
Le mois d’octobre a connu des développements significatifs dans les affaires de trois journalistes assassinés dont les cas avaient captivé intensément le travail des membres de l’IFEX.
En Slovaquie, quatre personnes ont été inculpées dans le cadre des meurtres, en 2018, du journaliste anti-corruption Ján Kuciak et sa fiancée Martina Kušnírová. Les personnes ainsi inculpées sont Alena Zsuzsová, Tomáš Szabó, Miroslav Marček et Marian Kočner, un homme d’affaires accusé d’avoir commandité les assassinats. Tous risquent 25 ans de prison ou la perpétuité.
TWEET: @UNESCO
Voici le journaliste slovaque Ján Kuciak.
Avec sa fiancée Martina Kušnírová, ils ont été assassinés en 2018.
Aujourd’hui, nous nous souvenons de Ján & Martina.
Leurs assassins ont voulu les faire taire.
Ils devraient savoir que la #VéritéNemeurtJamais.
https://on.unesco.org/2NjsMKm #FinImpunité
Au Kirghizistan, les autorités ont annoncé la réouverture de l’enquête sur l’assassinat, en 2007, du journaliste ouzbek d’origine serbe Alisher Saipov. Suspendue (apparemment indéfiniment) en 2013, l’enquête a été rouverte en août 2019, peu après qu’IFEX ait écrit au président Sooronbay Zheenbekov lui demandant où en était-on le dossier. Shorukh Saipov, le frère de Saipov, a raconté à IFEX que sa famille considérait « Alisher comme une victime du précédent régime en Ouzbékistan, lequel était dirigé par Islam Karimov ». Saipov avait souvent été menacé par des agents ouzbeks.
Radio Free Europe/Radio Liberty
Les autorités kirghizes rouvrent l’enquête sur l’assassinat du journaliste indépendant Alisher Saipov, abattu il y a presque 12 ans. http://ow.ly/ESDw50wAPHP
En octobre a eu lieu le deuxième anniversaire du meurtre à Malte de la journaliste d’investigation Daphne Caruana Galizia. Les membres de l’IFEX ont organisé / participé à des veillées à La Valette, à Londres, à Berlin, à Bruxelles et ailleurs pour marquer cette journée et ont également lancé un appel conjoint à la justice pour la journaliste assassinée. Harlem Désir, représentant de l’OSCE pour la liberté des médias, Dunja Mijatović, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, David Kaye, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression, et Agnes Callamard, rapporteuse spéciale de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, ont signé une déclaration commune appelant Malte à faire de l’établissement des responsabilités dans ce meurtre sa « priorité politique absolue ».
Rebecca Vincent @rebecca_vincent
Le beau peuple de Malte s’est réuni ce soir à La Valette pour se souvenir de #DaphneCaruanaGalizia, plus déterminée que jamais à obtenir une justice totale. Ce fut un grand honneur de faire partie de ce moment très émouvant. Nous sommes avec toi
Il y a également eu quelques développements notables dans l’affaire ce mois-ci. Un des trois hommes accusés du meurtre de Caruana Galizia aurait été condamné à une peine réduite en échange d’informations supplémentaires sur la planification du crime. On a également fait état d’un rapport inquiétant selon lequel la police maltaise aurait peut-être rejeté des preuves qui auraient pu aider à identifier ceux qui avaient commandité le meurtre. Le rapporteur spécial du Conseil de l’Europe (CoE), Pieter Omtzigt, a avancé cette hypothèse. Son rapport accablant sur les événements entourant l’assassinat de Caruana Galizia mettait en lumière des « manquements systémiques » à l’État de droit à Malte et les reliait à une enquête policière sur le crime bâclée.
Pour un résumé de toutes les failles de l’enquête policière sur le meurtre de Caruana Galizia – de même que sur la détérioration du climat de la liberté de la presse à Malte – consultez le récent rapport de Reporters sans frontières et The Shift News.
Barcelone, Bakou, Londres et Moscou
Les peines de prison draconiennes prononcées ce mois-ci contre des hommes politiques et des dirigeants de la société civile de la Catalogne pour leur rôle dans l’organisation, en octobre 2017, du référendum sur l’indépendance de la Catalogne ont provoqué d’énormes protestations en Catalogne et dans d’autres régions d’Espagne. Dès que les peines ont été annoncées, les manifestants ont bloqué les rues et occupé l’aéroport d’El Prat. La police a riposté avec violence en se servant de balles en caoutchouc et de matraques pour disperser les manifestants à El Prat. Les journalistes ont également été battus. Au cours des nuits qui ont suivi, de violents affrontements ont opposé manifestants et policiers dans les rues de Barcelone. Environ 600 personnes ont été arrêtées et 200 blessées. Parmi ceux qui ont été attaqués et/ou blessés, il y avait jusqu’à 65 journalistes dont un certain nombre ont été battus par la police. Le photojournaliste Albert García était l’un de ceux qui étaient visés. Son arrestation – filmée – en a choqué plus d’un (il a été arrêté alors qu’il prenait des photos d’une autre arrestation violente):
A l’instar de Harlem Désir, représentant de l’OSCE pour la liberté des Médias, et de Dunja Mijatovic, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, des membres de l’IFEX ont condamné les violences dirigées contre la presse par la police et les manifestants.
Les 19 et 20 octobre à Bakou, en Azerbaïdjan, la police a arrêté des dizaines de manifestants lors de deux manifestations distinctes (une pour les droits politiques et civils, l’autre contre le féminicide) et a brutalement battu certains. Lors de la course-poursuite des manifestants, la police a également arrêté le journaliste indépendant Seymur Hazi, qui a été condamné à 15 jours de détention pour des accusations fallacieuses de hooliganisme et de non-respect des ordres de la police.
À Londres, au Royaume-Uni, la police a arrêté environ 1,400 manifestants lors d’une manifestation dans le cadre du mouvement environnemental Rebellion Extinction (Rébellion contre l’extinction [de l’humanité]) au début du mois d’octobre. Suite à cela, les manifestations de Rebellion Extinction ont été interdites dans toute la capitale. Cette interdiction est actuellement attaquée devant les tribunaux.
Tout rassemblement liée au « soulèvement d’automne » de Rebellion Extinction doit maintenant mettre fin à ses manifestations à Londres (service de police métropolitain et zones de la ville de Londres) au plus tard le lundi 14 octobre 2019 à 21h00.
Le procès de l’activiste Eduard Malyshevsky, arrêté lors des manifestations de Moscou à l’été, devrait s’ouvrir à Moscou, en Russie, le 6 novembre. Comme beaucoup de personnes arrêtées lors des manifestations contre le refus des autorités d’enregistrer des candidats indépendants aux élections municipales, Malyshevsky est accusé d’avoir agressé un policier. De nombreux militants arrêtés lors de ces manifestations ont depuis été reconnus coupables d’agression d’agents de police ou d’émeutes et ont été condamnés à de lourdes peines. Human Rights Watch a documenté un certain nombre de ces cas et a déclaré que « la plupart des accusations d’agressions contre la police étaient soit excessives, soit sans fondements ».
Focus sur le genre
Il y avait de bonnes nouvelles venant d’Irlande du Nord ce mois-ci, avec la dépénalisation de l’avortement et la légalisation du mariage entre personnes de même sexe. Comme le rapporte Human Rights Watch, les mariages de même sexe pourront désormais avoir lieu à partir de février 2020; les services d’avortement seront disponibles d’ici avril 2020 et, d’ici là, le gouvernement prendra en charge les coûts encourus par les femmes qui doivent se rendre d’Irlande du Nord vers d’autres régions du Royaume-Uni pour avoir accès à ces services.
Commissaires pour les droits Humains
Des avancées importantes dans la protection des #droitshumains en Irlande du Nord avec la dépénalisation de l’avortement et l’introduction du mariage homosexuel.
Une journée mémorable pour l’égalité des femmes et des personnes LGBTI.
Selon un rapport sur les crimes motivés par la haine du Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni, en 2018-2019, la police a enregistré 14 491 crimes contre des personnes pour lesquels l’orientation sexuelle de la victime était le facteur déterminant. Au cours de la même période, 2 333 infractions contre des personnes transgenres ont été commises en raison de leur identité de genre. Les experts estiment que l’un des moyens de lutter contre ce type de préjudice consiste à enseigner aux enfants l’inclusion dès leur plus jeune âge: dans cette optique, le gouvernement introduira, en 2020, de nouvelles règlementations en matière d’enseignement de l’éducation sexuelle, mettant les relations LGBTQI+ et les familles sur un même pied d’égalité avec les hétérosexuelles.
Alors que le Royaume-Uni montre des signes de progrès dans le domaine de l’éducation sexuelle à l’école, la Pologne va dans la direction opposée. La chambre basse du Parlement a récemment approuvé un projet de loi sur l’éducation sexuelle qui, s’il devenait une loi, criminaliserait « toute personne qui promeut or approuves les relations sexuelles ou autre activité sexuelle d’un mineur. » Selon Human Rights Watch, « les éducateurs sexuels, les enseignants, les auteurs et les organisations fournissant des informations sur la santé reproductive et la sexualité pourraient être condamnés à trois ans de prison ». Le projet de loi a été présenté par le parti au pouvoir, le Parti de la Loi et de la Justice (PiS), qui promeut ouvertement l’homophobie.
En bref
L’incursion militaire de la Turquie en Syrie, ce mois-ci, a été largement condamnée. Amnesty International a accusé les forces turques et leurs alliés rebelles syriens d’avoir commis des « crimes de guerre ». La Turquie réprime les détracteurs de son opération syrienne: le 10 octobre, le bureau du procureur général d’Istanbul a interdit les reportages critiques sur l’incursion et au moins deux journalistes ont été arrêtés; le 16 octobre, il a été fait état de 186 utilisateurs de médias sociaux arrêtés pour des commentaires critiques formulés en ligne sur l’offensive militaire. Sur ce chiffre, 24 avaient été formellement arrêtés.
En France, le gouvernement poursuit ses projets visant à doter les citoyens d’une « identité numérique sécurisée » basée sur une technologie de reconnaissance faciale qui permettra, selon les autorités, aux citoyens d’accéder plus efficacement aux services publics. Pour créer une identité numérique légale, les citoyens doivent passer par un processus d’inscription unique comparant les photos passeports d’un utilisateur à une vidéo selfie prise sur une application spécialement conçue, baptisée « Alicem ». Le projet a suscité beaucoup de scepticisme, y compris de la part de la Commission national de l’informatique et des libertés civiles, qui a soulevé de vives préoccupations quant à la manière dont les données biométriques seront collectées et utilisées. Il existe également de sérieux doutes quant aux affirmations du gouvernement selon lesquelles l’application sera sécurisée. Au cours d’un test récent, il semble qu’il a fallu à peine une heure à un pirate informatique pour y pénétrer. En plus de tout cela, il a souvent été démontré que la technologie de reconnaissance faciale était totalement imparfaite quand il s’agit de la reconnaissance des personnes de couleur.
Les amateurs de la pornographie en ligne au Royaume-Uni se sentiront soulagés après que le gouvernement a abandonné le projet controversé de rendre obligatoire la vérification de l’âge des personnes désirant visionner du contenu pornographique sur Internet. Le projet de règlement a été largement critiqué car les amateurs de pornographie auraient dû soit acheter un « laissez-passer porno » dans un magasin pour pouvoir accéder à ce matériel, soit fournir des informations confidentielles confirmant leur identité sur des sites pornographiques, ce qui aurait conduit à la création d’une énorme (et potentiellement piratable) base de données des adeptes de porno.
Ce mois-ci, il a été révélé que des séparatistes de Donetsk, en Ukraine, avaient condamné le journaliste Stanislav Aseyev à 15 ans d’emprisonnement en août pour des accusations d’espionnage et d’extrémisme. Aseyev avait déjà passé deux ans en détention. Harlem Désir, représentant de l’OSCE pour la liberté des médias, a fustigé cette « condamnation totalement illégale » et a appelé à la libération immédiate du journaliste.