Pour la rédactrice en chef du quotidien, Anuradha Bhasin, il s’agit d’un “acte de vendetta”. La journaliste pense qu’elle paye le prix de son intransigeance à vouloir maintenir une presse libre au Jammu-et-Cachemire depuis l’annulation de l’autonomie de ce territoire le 5 août 2019.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 20 octobre 2020.
Les reporters de ce quotidien de référence ont vu arriver des fonctionnaires de l’administration régionale, qui les ont expulsés et interdit l’accès aux locaux, sans fournir la moindre explication. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un acte de représailles extrêmement choquant.
Les journalistes du Kashmir Times n’ont eu d’autre choix que de quitter les lieux sur-le-champ. Lundi 19 octobre, des fonctionnaires du bureau du logement de l’administration du Jammu-et-Cachemire ont soudainement débarqué dans l’agence de ce journal à Srinagar, la capitale cachemirie. Sans présenter le moindre document légitimant une éviction des locaux, ils ont expulsé les journalistes et posé des scellés sur les portes.
Pour la rédactrice en chef du quotidien, Anuradha Bhasin, il s’agit d’un “acte de vendetta”. Interrogée par RSF, elle confirme la brutalité de cette éviction : “Toutes les infrastructures de notre bureau, dont les ordinateurs, les imprimantes et autres groupes électrogènes sont restés enfermées à l’intérieur, ce qui nous empêche de publier notre édition de Srinagar.”
Ces locaux avaient été alloués au quotidien par le gouvernement du Jammu-et-Cachemire en 1993, comme c’est le cas pour les autres médias basés dans ce qu’on appelle l’”enclave de la presse”, à Srinagar.
Serrures forcées
“Il a quelques semaines, j’ai été expulsée de la même manière d’un logement public qui m’avait été alloué en 2000, sans qu’on me présente le moindre ordre d’annulation ou d’expulsion”, poursuit Anuradha Bhasin. “Les serrures ont été forcées alors que j’étais absente, et de nouveaux occupants ont pris possession des lieux et de tous mes biens, dont des documents importants et de grande valeur, que l’on ne m’a toujours pas restitués.”
La journaliste pense qu’elle paye le prix de son intransigeance à vouloir maintenir une presse libre au Jammu-et-Cachemire depuis l’annulation de l’autonomie de ce territoire le 5 août 2019, et notamment la plainte qu’elle a déposée dans la foulée devant la Cour suprême, pour contester le blocage total des communications qui a été imposé dans la province. “Depuis ce jour, le gouvernement a supprimé toutes les annonces légales dans le Kashmir Times”.
« L’arbitraire avec lequel les journalistes du Kashmir Times ont été expulsés de leur bureau est extrêmement choquant, affirme le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. L’administration du Jammu-et-Cachemire ne s’embarrasse même plus de fournir une façade légale aux actions qu’elle entreprend pour attaquer la presse indépendante. Nous demandons à la Cour suprême indienne d’intervenir au sujet de cette violation patente de l’article 19 de la constitution.”
Journalisme téméraire
Quotidien de référence, le Kashmir Times est l’un des plus anciens journaux anglophones de la vallée du Cachemire. En tant que tel, l’éviction de l’agence de Srinagar est un symbole pour tous les journalistes de la région. “J’ai commencé ma carrière au sein de ce journal, qui jouit d’une tradition de très haute indépendance, se souvient le reporter Athar Parvaiz, interrogé par RSF. Il y règne une atmosphère qui promeut un journalisme téméraire, et qui m’a beaucoup servi quand j’y travaillais.”
“De très nombreux journalistes basés au Jammu-et-Cachemire ont commencé leur carrière au Kashmir Times, ajoute Syed Ali Safvi, un autre “ancien” du quotidien. Au fil des ans, il a porté la voix des sans-voix et s’est imposé comme une institution solide. C’est une réelle douleur d’apprendre que ses bureaux ont été placés sous scellés.”
L’Inde se situe à la 142e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2020 par RSF.