Le cas de Maâti Monjib témoigne de la répression croissante, ces dix dernières années, des voix critiques et indépendantes au Maroc.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 23 mars 2021. Le journaliste Maâti Monjib a été remis en liberté provisoire ce jour-là après trois mois de détention.
Dans une lettre adressée à l’Union européenne, Reporters sans frontières (RSF) et 14 autres ONG appellent le haut représentant de l’Union européenne et le représentant spécial de l’UE pour les droits de l’homme à condamner la peine et l’emprisonnement de Maâti Monjib et à entreprendre tout ce qui est en leur pouvoir pour obtenir sa libération immédiate.
Messieurs le haut représentant Borrell et le représentant spécial Gilmore,
Nous, les organisations soussignées, vous adressons cette lettre ouverte pour attirer votre attention sur le cas du journaliste Maâti Monjib et appeler à votre intervention urgente.
Le journaliste français et marocain Maâti Monjib a entamé une grève de la faim le 4 mars dernier. M. Monjib a perdu plus de 8 kilos et, étant diabétique et atteint de problèmes cardiaques, sa santé et sa vie sont aujourd’hui en danger. La fragilité de son état exige la visite d’un médecin deux fois par jour.
Egalement connu en tant que défenseur des droits humains, M. Monjib est détenu à l’isolement depuis le 29 décembre 2020. Il a été condamné par contumace le 27 janvier dernier à un an d’emprisonnement pour « atteinte à la sécurité de l’Etat » et « fraude ». Aucune procédure judiciaire digne de ce nom n’a précédé ce verdict, qui a été reporté 20 fois depuis 2015. En outre, ni les avocats ni les prisonniers n’ont pu assister à l’audience, alors qu’il était de la responsabilité de l’Etat marocain d’autoriser M. Monjib à être présent à son procès, puisqu’il était détenu sur leur territoire. Leur manquement dans ce domaine constitue une violation flagrante de son droit à un procès équitable. M. Monjib est toujours poursuivi pour blanchiment d’argent, ce qui a constitué le motif de son arrestation, le 29 décembre 2020. Il n’y a eu aucune avancée dans cette affaire depuis cette date.
Le cas de Maâti Monjib témoigne de la répression croissante, ces dix dernières années, des voix critiques et indépendantes au Maroc.
Onze ans après le printemps arabe, la situation de la liberté de la presse et d’expression au Maroc est désastreuse. Depuis la fin 2013, des journalistes, des activistes et des dissidents continuent de subir pressions, harcèlement et arrestations systématiques. Aux protestations populaires croissantes contre la corruption et l’inégalité sociale, le Maroc a répondu par une répression de plus en plus fréquente.
Ces dernières années, les autorités marocaines ont systématisé les poursuites pénales fabriquées de toutes pièces contre les journalistes, les accusant de viol ou de fraude en représailles de leurs critiques. Nous observons également une augmentation des poursuites pour offense à des fonctionnaires ou insulte à la monarchie.
Parmi les autres prisonniers d’importance figurent :
– le journaliste Omar Radi, actuellement en détention préventive pour viol et espionnage ;
– le journaliste et fondateur du quotidien Akhbar Al-Youm Taoukik Bouachrine, qui purge actuellement une peine de 15 ans de prison pour « trafic d’êtres humains, violence et acte indécent, viol, tentative de viol et harcèlement sexuel » ;
– le rédacteur en chef du journal indépendant Akhbar Al-Youm Soulaimane Raissouni, actuellement derrière les barreaux en attente de son jugement pour « acte indécent et violent, et détention forcée », et d’autres charges à venir.
Au moins cinq journalistes sont détenus en raison de leur activité au Maroc. Le pays se situe à la 133e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020.
Nous vous exhortons à :
– condamner fermement la condamnation et l’emprisonnement de Maâti Monjib, et appeler les autorités marocaines à le libérer immédiatement en raison de la rapide détérioration de son état de santé ;
– exhorter les autorités marocaines, et en particulier Sa Majesté le roi Mohammed VI, à procéder à la libération immédiate et sans conditions de tous ceux qui sont emprisonnés pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression sans recourir à la violence, et leur droit d’assemblée et de réunion pacifiques, parmi lesquels Maâti Monjib, Omar Radi, Soulaimane Raissouni, Taoufik Bouachrine et Abdelkabir al Horr ;
– exhorter le gouvernement marocain à prendre des mesures concrètes et mesurables vers une réforme de la justice et le respect des droits humains, éléments clés d’une coopération renforcée entre l’UE et le Maroc ;
– appeler la délégation de l’UE à Rabat à pleinement mettre en œuvre les lignes directrices de l’UE sur la liberté d’expression et les défenseurs des droits de l’homme, à apporter le soutien nécessaire aux défenseurs des droits de l’homme et aux journalistes détenus, notamment à travers l’organisation de visites en prison, l’observation de procès et des déclarations publiques, et en proposant un soutien à la société civile et des moyens de protection aux personnes susceptibles d’être persécutées.
Nous espérons que nos préoccupations retiendront votre intérêt.
Dans l’attente de votre réponse, veuillez recevoir, Messieurs, l’expression de nos sincères salutations.