Les politiciens nationalistes populistes en Europe centrale et de l'est lancent des attaques contre la société civile. L'objectif est de faire taire les critiques et de minimiser les groupes pro-démocratie et anticorruption qui exigent des comptes aux gouvernements.
La société civile est attaquée dans différentes parties de l’Europe centrale et de l’est. Les armes sont rhétoriques et parfois réglementaires. L’objectif est de minimiser et d’entraver les capacités opérationnelles des organisations des droits humains et des groupes pro-démocratie. Les premières escarmouches se déroulent dans des pays où les politiques populistes, souvent nationalistes, ont une forte influence.
L’attaque est dirigée par les gouvernements, les élus et leurs partisans. Ils visent les organisations de la société civile (OSC) qui reçoivent des fonds de l’étranger. Dans certains cas, ils épinglent ceux qui reçoivent de l’argent de la Fondation Open Society (OSF), dont le fondateur et président est George Soros, un homme dont les actions philanthropiques se concentrent à la promotion des idéaux et causes démocratiques. Les OSC qui reçoivent des fonds de l’étranger sont stigmatisées comme étant des « agents étrangers » qui travaillent contre l’intérêt national. Ce processus de délégitimation délibérée ouvre potentiellement la voie à de futures répressions contre le travail de terrain.
Note de l’éditeur: IFEX est un récipiendaire des fonds de la Fondation Open Society.
Ceci se produit à des degrés divers en Roumanie, en Pologne, en Slovaquie et en Serbie. Mais les deux plus grands prédateurs sont la Hongrie et la Macédoine.
La Hongrie
En décembre 2016, Viktor Orbán, premier ministre hongrois et chef du parti conservateur, anti-immigrant et populiste Fidesz, a accordé une interview à une publication en ligne dans laquelle il a averti que les OSC seraient ciblées l’année prochaine. « D’où venait l’argent », a-t-il dit, « A quels services secrets étaient-elles rattachées, et quelles [OSC] servent quels intérêts, tout sera rendu public ». Orbán a affirmé que ces OSC voulaient amener des centaines de milliers d’immigrants en Europe.
Le leader adjoint du parti Fidesz, Szilard Németh, était encore plus direct qu’Orbán, en critiquant spécifiquement George Soros. Il a dit : « Les organisations pseudo-civiles de l’Empire Soros sont financées pour pousser les grandes entreprises mondiales et le monde du politiquement correct à se placer au dessus des gouvernements nationaux. Ces organisations doivent être repoussées par tous les moyens possibles ». Németh a également déclaré que le membre de l’IFEX, le Syndicat hongrois des libertés civiles, le Comité d’Helsinki et l’organisation anti-corruption Transparency International devraient être « nettoyés » du pays. Plus inquiétantes encore étaient les déclarations du porte-parole du gouvernement qualifiant les OSC de « risque pour la sécurité » ou d’avoir « collaboré » avec des terroristes.
Ces attaques verbales ne se limitent pas au parti Fidesz. Un député du Parti du peuple démocrate-chrétien a récemment accusé les OSC de servir des objectifs politiques et a appelé à ce qu’elles soient strictement réglementées. Des mesures préliminaires ont été prises pour faire exactement cela.
En décembre 2016, l’agenda législatif soumis au Parlement hongrois par le vice-premier ministre a souligné un amendement à la loi qui, s’il était adopté, obligerait tous les dirigeants des OSC à enregistrer leurs avoirs (en guise de mesure anti-corruption). Ceci a été suivi d’une annonce en février 2017 disant que le groupe parlementaire Fidesz introduirait un projet de loi sur « la transparence » visant les OSC. L’objectif visé par ce projet de loi serait de s’assurer que les citoyens hongrois « savent si ces organisations veulent exercer une influence en Hongrie en utilisant des financements étrangers ». Le non-respect de la part d’une OSC entraînerait la révocation de son numéro d’impôt, pour dire qu’elle ne pourrait plus opérer en Hongrie.
Le HCLU, qui a été ciblé à plusieurs reprises dans les déclarations publiques des politiciens, a rendu public une réponse provocante en février 2017 disant:
« Le gouvernement veut créer de nouveaux obstacles pour entraver le travail des organisations qui critiquent sa gestion. Sous le prétexte de la transparence, le gouvernement, en fait, remet en question la légitimité des organisations critiques … Nous travaillons pour tous les citoyens hongrois qui ont besoin de soutien contre les violations [des droits] et les négligences commises par le gouvernement. Le HCLU protège les droits de ceux qui, par exemple, parlent contre la détérioration des conditions de soins de santé ou de ceux dont les enfants handicapés ne peuvent pas recevoir une éducation adéquate. Nous faisons des choses que le gouvernement hongrois devrait faire au lieu de remettre en question la légitimité des organisations indépendantes de surveillance. Nous avons des expériences quotidiennes concernant les violations des droits. Notre service d’assistance juridique reçoit environ 2 300 demandes par an. Notre devoir est d’amplifier les voix de ces personnes en exigeant des changements structurels, en les représentant devant des autorités ou en cas de harcèlement par l’État. En essayant de nous éliminer et de nous stigmatiser, le gouvernement envoie également un message à ces gens, leur disant qu’ils ne sont pas importants. Avec le renouvèlement de la campagne de diffamation contre les organisations civiles, le gouvernement essaie de cacher sous le tapis les questions soulevées par le HCLU et d’autres organisations ».
… l’intimidation des OSC en Macédoine et en Hongrie trouve un écho évident dans la persécution subie par leurs homologues en Russie – tant dans le langage utilisé pour les stigmatiser et dans la tactique adoptée pour les réduire au silence.
La Macédoine
En Macédoine, les autorités renforcent déjà la procédure administrative imposée aux OSC dans laquelle il y a une tentative assez évidente de paralyser leur travail. Ceci s’accompagne d’une sorte de harcèlement verbal observé en Hongrie. L’ancien Premier ministre et actuel chef du parti nationaliste VMRO-DPMNE, l’autoritaire Nikola Gruevski, a ouvertement appelé à une « dé-Sorosisation » de la société, en disant que « les étrangers Intérêts » ne devraient pas être autorisés à dominer la sphère publique. Gruevski blâme les OSC financées par la Fondation Open Society pour tenter de saper son gouvernement et pour accentuer la crise actuelle qui a laissé la Macédoine dans une incertitude politique. Ladite crise est survenue parce que le président Gjorge Ivanov, un membre de VMRO-DPMNE, a refusé de faire appel aux partis d’opposition pour former un gouvernement de coalition après les élections de 2016. Ses critiques disent que c’est parce que son parti craint l’enquête et les poursuites judiciaires pour son rôle dans un scandale d’écoutes téléphoniques et de corruption en 2015.
Les opinions de Gruevski sont partagées par un mouvement explicitement anti-Soros, étroitement lié au VMRO-DPMNE. Lancé en janvier 2017, Stop Operation Soros (SOS) appelle également à une « dé-Sorosisation » de la société et accuse les organisations financées par Soros de travailler avec des politiciens de centre-gauche pour fomenter des manifestations violentes et déstabiliser le pays. Ce langage de chasse aux sorcières est allé de pair avec le recours aux tactiques de fausses accusations et de harcèlement. En février 2017, SOS a faussement affirmé que l’OSC non partisane, Metamorphosis, également membre de l’IFEX, recevait des « millions » de Soros et travaillait pour un agenda politique. En janvier 2017, un animateur de téléréalité et éminent défenseur du VMRO DPMNE a publié (sur Facebook) les adresses de critiques notoires du gouvernement, dont l’ancien président de l’OSF en Macédoine. À côté de la liste, il y avait une image d’un personnage historique connu pour avoir assassiné des « traîtres » de la Macédoine et les mots « cette photo n’est pas une coïncidence ». À la fin de 2016, un groupe ayant des liens avec le VMRO-DPMNE a organisé une campagne publique d’intimidation, citant nommément des dizaines d’OSC « mercenaires » et distribuant des dépliants contenant des mensonges à leur sujet.
Récemment, le Bureau du Revenu Public (Administration fiscale) de Macédoine a lancé des enquêtes financières sur 21 OSC, dont Metamorphosis. Bien que la base juridique des enquêtes ne soit pas claire, la quantité et les détails des informations exigés sont considérables, choses qui obligent les organisations à consacrer beaucoup (parfois tout) leur temps et leurs fonds à se conformer aux exigences bureaucratiques visant à arrêter leur véritable travail. Quelques-unes de malheureuses OSC feraient l’objet d’une enquête criminelle pour soi-disant financement illégal du processus électoral.
En mars 2017, Metamorphosis a été l’une des 122 organisations de la société civile (OSC) à signer une déclaration publique protestant contre la campagne synchronisée pour délégitimer le travail des OSC en Macédoine et appelant au soutien du public:
« Le secteur de la société civile, en tant que vecteur important dans la société, a été un correctif constant de tout gouvernement depuis l’indépendance de la Macédoine jusqu’à ce jour, et la direction que ce pays pourrait prendre si ce pilier est compromis ou affaibli est horrible … Croyant fermement dans les valeurs véritables de la démocratie, dans le pouvoir de la voix des individus et dans la valeur des opinions divergentes, nous rejetons, pour non fondement, … les accusations contre les organisations … qui sont étiquetées comme des installations destructrices, des mercenaires et des bandits … Les contrôles diligentés simultanément par l’Etat dans les finances de dizaines d’organisations [donne] l’impression d’une pression intentionnelle, de la peur et des dommages au secteur de la société civile libre ».
Et après?
Il n’est pas difficile de voir où ce qui se passe en Hongrie et en Macédoine pourrait conduire. Le harcèlement des OSC n’est pas nouveau: le vingtième siècle est plein d’exemples de gouvernements autoritaires qui cherchaient à enchainer la société civile comme un moyen de cimenter le pouvoir politique. Mais vous n’avez pas besoin de consulter les livres d’histoire pour prédire l’avenir possible: l’intimidation des OSC en Macédoine et en Hongrie trouve un écho évident dans la persécution subie par leurs homologues en Russie – tant dans le langage utilisé pour les stigmatiser et dans la tactique adoptée pour les réduire au silence.
En 2012, la Russie a adopté la loi dite des « agents étrangers » qui exige que toutes les organisations de la société civile qui reçoivent des fonds de l’étranger et qui participent à des « activités politiques » (notion très mal définie) s’inscrivent comme des « agents étrangers ». Selon Human Rights Watch, il y a actuellement 103 organisations sur cette liste. Dans la pratique, cette loi fait deux choses: d’une part, elle emmêle les organisations russes de droits humains dans de lourdes activités administratives, les empêchant ainsi de faire leur travail et d’autre part, elle ternit leur réputation – l’expression « agents étrangers » est associée à des espions ou « ennemis de l’État » dans l’imaginaire populaire russe. Les OSC identifiées comme telles sont souvent regardées avec suspicion et peuvent faire l’objet d’hostilité (y compris les attaques contre leurs biens) de la part des groupes nationalistes.
En 2015, la Russie a interdit à la Fondation Open Society de George Soros de travailler à l’intérieur de ses frontières, déclarant qu’elle était une organisation « indésirable » qui sapait la sécurité russe.