« Les violations des droits humains ont joué un rôle prépondérant dans le déclenchement ou l'aggravation de bon nombre des crises actuelles », a déclaré le Directeur exécutif Kenneth Roth.
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 30 janvier 2015.
Les gouvernements commettent une grave erreur lorsqu’ils délaissent les droits humains dans leurs réponses à de graves défis sécuritaires, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui, à l’occasion de la publication de son Rapport mondial 2015.
Cette 25e édition annuelle du Rapport mondial de Human Rights Watch, dont la version intégrale en anglais comprend 644 pages (la version abrégée en français en compte 186), examine les pratiques en matière de droits humains dans plus de 90 pays. Dans son introduction, le Directeur exécutif Kenneth Roth montre à quel point l’approche consistant à « serrer les rangs » en ignorant les droits humains adoptée par de nombreux gouvernements au cours de l’année tumultueuse qui vient de s’écouler, est contre-productive.
« Les violations des droits humains ont joué un rôle prépondérant dans le déclenchement ou l’aggravation de bon nombre des crises actuelles », a déclaré Kenneth Roth. « Or, pour résoudre ces crises, il est essentiel de protéger ces droits et de tenir les auteurs de violations pour responsables de leurs actes dans un cadre démocratique. »
La montée du groupe extrémiste État islamique (également connu sous les sigles EI ou EIIL en français, ISIS en anglais, et Daesh en arabe) est l’une de ces crises internationales au cours desquelles les droits humains ont été relégués au second plan, selon Human Rights Watch. Pourtant, l’EI n’a pas surgi de nulle part. Outre le vide sécuritaire apparu dans le sillage de l’invasion américaine de l’Irak, les politiques abusives et sectaires des gouvernements irakien et syrien et l’indifférence de la communauté internationale à leur égard ont favorisé l’émergence de ce groupe armé.
Tandis que le Premier ministre irakien Haider al-Abadi a promis une forme de gouvernance plus représentative, son gouvernement continue de s’appuyer essentiellement sur les milices chiites qui procèdent toujours au massacre et à l’épuration des populations civiles sunnites en toute impunité. Les forces gouvernementales attaquent également des civils et des zones peuplées. Il est tout aussi important de réformer le système judiciaire répressif et corrompu et de mettre un terme aux politiques sectaires pour que les sunnites aient le sentiment d’avoir leur place en Irak que de mener l’action militaire pour mettre fin aux atrocités commises par l’EI. Or, jusqu’ici, Haider al-Abadi n’a pas mis en œuvre les réformes essentielles promises.
En Syrie, les forces du président Bashar al-Assad ont délibérément et sauvagement attaqué des civils dans des zones occupées par l’opposition. L’usage indiscriminé d’armes létales, les plus notoires étant les bombes barils, rend la vie insupportable pour les civils.
Pour autant, le Conseil de sécurité des Nations Unies n’est pas intervenu, car la Russie et la Chine ont fait usage de leur droit de véto pour bloquer les initiatives concertées visant à mettre un terme au carnage. Les États-Unis et ses alliés ont permis que leur action militaire à l’encontre de l’EI éclipse les initiatives visant à contraindre Damas à mettre un terme à ses exactions. Cette inquiétude sélective permet aux recruteurs de l’EI de se présenter à leurs soutiens potentiels comme la seule force prête à contrer les atrocités commises par Bachar al-Assad.
Une dynamique similaire est à l’œuvre au Nigeria, où les questions de droits humains sont au cœur du conflit. Le groupe armé islamiste Boko Haram s’en prend aux civils ainsi qu’aux forces de sécurité du Nigéria, bombardant des marchés, des mosquées et des écoles et kidnappant des centaines de filles et de jeunes femmes. L’armée nigériane a souvent réagi de manière excessive en arrêtant des centaines d’hommes et de garçons suspectés d’avoir apporté leur soutien à Boko Haram, en les emprisonnant, les torturant et en en tuant parfois certains. Pourtant, pour conquérir le « cœur et l’esprit » des populations civiles, le gouvernement devra enquêter de façon transparente sur les abus présumés impliquant l’armée et condamner les auteurs d’exactions.
Cette tendance à faire fi des droits humains lorsque l’on est confronté à un défi sécuritaire est un problème également révélé ces huit dernières années aux États-Unis. Un comité du Sénat américain a publié le résumé d’un rapport accablant sur des actes de torture commis par la CIA ; or, le président Barack Obama a non seulement nié l’utilisation de la torture par des forces sous son commandement, mais il a aussi refusé d’enquêter, et a fortiori de poursuivre, les commanditaires des actes de torture détaillés dans le rapport du Sénat. Ce renoncement à ses responsabilités légales rend plus probable le fait que les futurs présidents considéreront la torture comme une option politique et non comme un crime. En outre, cela affaiblit grandement la capacité du gouvernement américain à faire pression sur d’autres pays pour qu’ils poursuivent leurs propres tortionnaires, a ajouté Human Rights Watch.
Dans de trop nombreux pays, notamment le Kenya, l’Égypte et la Chine, les gouvernements et les forces de l’ordre ont répondu aux menaces réelles ou perçues de terrorisme par l’instauration de mesures abusives qui, au bout du compte, alimentent les crises, a déclaré Human Rights Watch. En Égypte, la répression contre les Frères musulmans par le gouvernement envoie le message complètement contreproductif que si les islamistes politiques aspirent à accéder au pouvoir par les urnes, ils seront réprimés, ce qui pourrait encourager des actions violentes. En France, la réponse du gouvernement à l’attaque commise contre Charlie Hebdo, qui consiste à s’appuyer sur une loi antiterroriste pour poursuivre les auteurs de propos qui ne font pas réellement l’apologie de la violence, pourrait avoir pour un effet négatif sur la liberté d’expression et d’encourager d’autres gouvernements à recourir à de telles lois pour faire taire ceux qui les critiquent.
Relever les défis en matière de sécurité exige non seulement de contenir certains individus dangereux, mais aussi de reconstruire le tissu moral qui sous-tend l’ordre social et politique, a estimé Human Rights Watch.
« Certains gouvernements commettent l’erreur d’envisager les droits humains comme un luxe à ne prendre en compte que dans des temps moins difficiles, au lieu de les considérer comme une véritable composante de l’action politique » a affirmé Kenneth Roth. « Plutôt que de traiter les droits humains comme une contrainte encombrante, les décideurs politiques feraient mieux de reconnaître qu’il s’agit de repères moraux pouvant faciliter la sortie de crise et de situations de chaos. »