Les organisations indépendantes de défense des droits humains sont, plus que jamais, importantes pour la société égyptienne. Et pourtant, malgré la garantie constitutionnelle de leur indépendance, le gouvernement actuel utilise tous les outils à sa disposition pour les réduire au silence.
Il y a un an, le 18 juillet 2014, le Ministère de la Solidarité Sociale Egyptien a annoncé que toutes les organisations indépendantes de la société civile devaient désormais s’enregistrer auprès du gouvernement selon la très stricte Loi des associations de 2002 d’ici novembre de cette année, sous peine de poursuites criminelles. La loi, introduite sous le gouvernement d’Hosni Mubarak, est considérée comme l’une des plus strictes en matière d’administration des activités des ONG dans la région.
“C’est à ce moment-là que le gouvernement a déclaré la guerre contre les groupes de défense des droits de l’homme.” a déclaré Mohammed Zaree, directeur des programmes de l’Institut du Caire pour les études des droits de l’homme’ (CIHRS). “Une guerre universelle,” ajoute-t-il, expliquant que l’enregistrement sous la loi actuelle génère des contraintes sur les financements, autorise le gouvernement à interférer dans les activités des organisations, et les rend passibles de lourdes peines.
Jusqu’à l’entrée en fonction d’Abdel Fattah El-Sisi, seuls les groupes enregistrés comme associations de la société civile étaient tenus de s’enregistrer en vertu de la loi. De nombreuses organisations de défense des droits humains étaient capables de contourner ce problème en s’enregistrant comme cabinet juridique ou société civile. Désormais, le domaine d’application de la loi a été étendu, exigeant que toutes les entités engagées dans “des activités de la société civile” en Egypte soient enregistrées, privant en réalité ces groupes de leur indépendance.
Au cours des deux dernières années, l’Egypte a subi l’une des périodes les plus répressives de son histoire moderne. Depuis la destitution de Mohammed Morsi en 2013, le régime militaire a régulièrement repris le contrôle des institutions du pays.
Des dizaines de milliers de critiques du gouvernement ont été ciblées. Les membres suspectés du groupe, désormais interdit, des Frères Musulmans sont rejoints dans les prisons du pays par des activistes laïques, des défenseurs des droits humains et des membres de la presse indépendante.
Les organisations qui se concentrent sur la défense des droits sont plus importantes que jamais pour la société égyptienne, particulièrement face à un système judiciaire décrit comme montrant « bien peu d’égard pour les principes identifiables de la justice.» Et pourtant, bien que leur indépendance soit garantie par la constitution, il n’est pas certain que ces groupes puissent continuer leur travail à moins de s’aligner eux-mêmes avec le gouvernement. Un des moyens est de se conformer à l’obligation de s’enregistrer en vertu de la Loi de 2002 sur les Associations.
Malheureusement pour les groupes de la société civile, la situation pourrait empirer dans un futur proche. Le gouvernement de Sisi n’a pas uniquement ranimé la loi mais introduit une version beaucoup plus répressive et plus stricte, incluant une condamnation à vie et une amende de 500 000 LE minimum (environ 63 800$) en cas de financements étrangers pour « Atteinte aux intérêts nationaux ». Ce projet de loi doit encore être voté mais les amendements proposés suggèrent que les ONG ont des raisons d’être inquiètes pour leur avenir.
Khaled Sultan, responsable de l’administration des ONG au Ministère égyptien de la solidarité sociale a utilisé les menaces réelles de terrorisme dans la région pour justifier de futures restrictions du cadre dans lequel les ONG agissent. « La sécurité nationale de l’Egypte est plus importante que n’importe quel groupe de défense des droits humains dans ce pays », a-t-il déclaré. En 2015 uniquement, plus de 400 ONG ont été fermées.
Bien sûr, l’idée selon laquelle la sécurité nationale et le respect des droits de l’Homme ne puissent aller de pair ne se limite pas à l’Egypte. De nombreuses atteintes ont été portées à travers la région au nom de la sécurité nationale, souvent avec un large soutien des citoyens qui semblent convaincus par les arguments du gouvernement.
Alors que la date limite de novembre 2014 approchait, les ONG en Egypte pouvaient sentir la pression. Devaient-elles se conformer à la loi et SURRENDER leur indépendance ? Suspendre leurs activités pendant un temps et faire profil bas ? Déménager leurs opérations ? Refuser de se conformer et risquer d’être fermée sans préavis ? Ou bien pire encore : risquer l’emprisonnement ?
« De nos jours, les associations de défense de droits de l’Homme en Egypte ne regardent pas vers l’avenir » déclare Zaree. « Nous ne pensons pas stratégiquement, nous ne planifions rien plus d’un an à l’avance. Tout ce à quoi nous pensons, c’est notre prochain plan de secours. ”
A la fin 2014, la date limite est passée sans aucune action décisive de la part du gouvernement. Le ministère de la Solidarité Sociale annonçait qu’il mènerait des enquêtes auprès des organisations locales qui ne seraient pas en accord avec la loi, au cas par cas. Il est possible que l’attention internationale non souhaitée ait dissuadé le gouvernement d’agir. Néanmoins de nombreuses ONG avaient déjà pris des mesures de précaution. Certaines se sont conformées à la loi, d’autres ont instaurer le télétravail pour leurs employés craignant un retour des descentes dans leurs bureaux comme en décembre 2011, et d’autres encore ont tout simplement entièrement cessé leurs activités.
La demande d’autorisation et l’enregistrement ne sont pas les seuls outils à disposition du gouvernement pour réduire au silence et contrôler les organisations. Ce qui a finalement décidé le CIHRS à bouger ses programmes régionaux et internationaux à l’étranger en décembre n’était pas tellement la date limite de l’enregistrement mais plutôt le harcèlement dont ses employés, ses partenaires régionaux et ses invités étaient victimes.
Dans une déclaration expliquant leurs raisons, l’institut expliquait que l’Egypte a souvent empêché ses invités, notamment des militants locaux pour la défense des droits de l’homme et des officiels de l’ONU d’entrer dans le pays. Certains ont même été soumis à des intimidations à l’aéroport et des interrogatoires interminables. En conséquence, la qualité et l’étendue des travaux du CIHRS ont souffert.
Le nouveau bureau régional de l’Institut est désormais en Tunisie, où la loi sur les ONG se conforme largement aux standards internationaux est passée en septembre 2014.
En Egypte, les ONG poursuivent leur travail dans un environnement hostile. L’État et ses soutiens dans les médias ont ciblé les ONG dans la sphère publique. Un récent article décrit certaines associations parmi les plus éminentes comme étant complices de promouvoir des objectifs dictés par l’étranger et ayant pour but de porter atteinte à la stabilité de l’Egypte. Il accuse le directeur exécutif du CIHRS d’être un allié des « terroristes » et affirme que le but de l’organisation est de « porter atteinte » à la stabilité du pays.
Zaree a rejeté les accusations, déclarant : « l’Etat sait que nous n’avons aucun contact avec les Frères Musulmans ou même des objectifs étrangers. Il ne veut simplement pas être tenu responsable pour ses actions. » Il reconnaît que les accusations ont un coût psychologique pour ceux qui travaillent dans les organisations. Lorsqu’un individu est nommé, sa sécurité personnelle est également compromise.
Alors que les ONG ont toujours fait face à des difficultés dans leur travail, les activistes continuent de maintenir une société civile vivante, surveillant et documentant les violations du gouvernement même sous le régime de Mubarak. Après la révolution de 2011, l’espoir était grand que la société civile puisse jouer un rôle plus important dans la transition démocratique. Au contraire, actuellement, la seule survie des groupes de défense des droits de l’homme est en danger.
“Ces derniers temps, en Egypte, les groupes de défense des droits de l’homme ne regardent pas vers l’avenir… Tout ce à quoi nous pensons, c’est notre prochain plan de secours.”Mohammed Zaree, directeur du Programme d’Etude des Droits de l’Homme de l’Institut du Caire, en Egypte.