Quatre journalistes yéménites et un directeur iranien d’une chaîne Telegram, condamnés à mort, vivent actuellement dans l’attente de l’exécution de leur sentence. Reporters sans frontières (RSF) dénonce le recours à la peine capitale, qui menace encore trop souvent les journalistes de certaines régions du monde.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 6 juillet 2020.
Quatre journalistes yéménites et un directeur iranien d’une chaîne Telegram, condamnés à mort, vivent actuellement dans l’attente de l’exécution de leur sentence. Reporters sans frontières (RSF) dénonce le recours à la peine capitale, une peine d’un autre âge, qui menace encore trop souvent les journalistes de certaines régions du monde.
Pour les journalistes yéménites Abdul Khaleq Amran, Akram Al-Walidi, Hareth Hamed et Tawfiq Al-Mansouri, jugés par un tribunal houthi pour espionnage, la sentence maximale a été prononcée le 11 avril dernier à Sanaa. L’opposant iranien Rouhollah Zam qui dirigeait la chaîne Telegram AmadNews, a pour sa part appris sa condamnation à mort pour “corruption sur terre”, il y a tout juste une semaine à Téhéran.
“Il est difficilement concevable de voir encore, en 2020, des journalistes condamnés au plus barbare et archaïque des châtiments, dénonce le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Alors que chaque année, le monde se dirige un peu plus vers l’abolition universelle de la peine de mort, la menace d’exécuter un journaliste pour son travail doit être reléguée dans les livres d’histoire au lieu de faire partie de notre actualité. Les Etats abolitionnistes doivent se mobiliser pour rendre définitivement obsolète cette punition d’un autre âge, qui est la pire entrave possible à la liberté de la presse.”
Cette dernière condamnation porte à 9 le nombre de journalistes actuellement condamnés à la peine capitale. Les précédentes condamnations à mort remontent à septembre 2017 et ont été prononcées par le tribunal central de Corée du Nord pour un motif dérisoire. Pour avoir publié une critique positive d’un livre qui décrivait le rôle croissant joué par l’économie de marché dans la vie quotidienne des Nord-Coréens, les journalistes sud-coréens Son Hyo-rim et Yang Ji-ho ainsi que les directeurs généraux de leurs médias, Kim Jae-ho et Pang Sang-hun, ont été condamnés à mort par contumace et “sans possibilité d’appel”.
Alors que l’application de la peine est peu probable dans ce cas, en Iran, qui est l’un des pays au monde où ont lieu le plus d’exécutions, ces sentences sont de véritables épées de Damoclès au-dessus de la tête des journalistes. Ces 20 dernières années, au moins une vingtaine de journalistes, de blogueurs et de “journalistes-citoyens” ont été condamnés à la peine capitale. Basée sur la charia, la loi pénale islamique en Iran prévoit la peine de mort pour de nombreux délits. Soheil Arabi, lauréat du prix RSF 2017 dans la catégorie journaliste-citoyen, a ainsi été condamné à mort en 2014 pour « insulte envers le prophète de l’islam, les imams saints chiites et le Coran ». Adnan Hassanpour, qui travaillait pour l’hebdomadaire kurde iranien Asou (Horizon), avait lui été condamné en 2007 à la peine capitale pour “espionnage”. En 2000, Hassan Youssefi Echkevari, dignitaire religieux du mensuel Iran-e-Farda, a été jugé et condamné pour être un « mohareb » (un combattant contre Dieu), pour « activités subversives contre la sécurité nationale », « diffamation envers les autorités » et « atteinte au prestige du clergé ».
Toutes ces condamnations ont finalement été commuées en peines de prison longues, voire à vie, mais l’Iran reste toujours le pays au monde à avoir officiellement mis le plus de journalistes à mort ces 50 dernières années. Dans la foulée de la révolution islamique de 1979, une vingtaine de journalistes proches du régime du Chah, comme Ali Asgar Amirani, Simon Farzami, Nasrollah Arman, ou des milieux proches de la gauche, comme Said Soltanpour et Rahman Hatefi-Monfared, ont été tués par un peloton d’exécution.
Ce n’est pas l’Iran, mais l’un des ses voisins proches, l’Irak, qui se distingue comme étant le dernier pays à avoir appliqué la peine de mort sur un journaliste : il y a 30 ans, le 15 mars 1990, le journaliste britannique d’origine iranienne Farzad Bazoft était exécuté par pendaison pour “espionnage en faveur des services de renseignement britanniques et israéliens « .
Depuis cette date, les organisations de défense de la liberté de la presse et des droits humains ont dû se mobiliser à maintes reprises pour éviter le pire à de nombreux autres journalistes et blogueurs. En Mauritanie, pour un article publié sur Facebook, le blogueur Mohamed Cheikh Ould Mohamed Mkhaïtir a été condamné à mort fin 2014 pour apostasie. La sentence a finalement été commuée à deux ans de prison fin 2017. En Birmanie, le journaliste sportif Zaw Thet Htwe a été condamné à mort en 2004 pour avoir transmis des informations à l’Organisation internationale du travail, avant que la Cour suprême ne le condamne en appel à trois ans de prison.
L’importante mobilisation en faveur de cas devenus emblématiques, comme celui du photographe Shawkan en Egypte, ou celui du correspondant de RFI dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, Ahmed Abba, a potentiellement contribué à court-circuiter les velléités initiales des juges de ces pays pour la peine de mort. Dans ces deux cas, comme dans celui du journaliste saoudien Ali Al-Omari et du journaliste afghan Ali Mohaqiq Nasab, les procureurs avaient requis la peine de mort en raison des accusations d’“actes de terrorisme” ou de blasphème qui pesaient contre eux. Les peines prononcées en première instance n’ont finalement pas suivi ces réquisitions mortifères.
En Chine, qui est l’un des 54 Etats qui appliquent encore à ce jour la peine de mort et qui détient le record du plus grand nombre de condamnés exécutés, le dernier journaliste condamné à mort et exécuté a été, selon les informations recueillies par RSF, le correspondant de l’agence Associated Press, Yin-Chih Jao, en 1951. Cependant, les peines de prison de longue durée, voire à perpétuité prononcées contre les journalistes, associées aux conditions de détention déplorables et aux mauvais traitements, reviennent à les condamner à mort de facto. En 2017, le prix Nobel de la paix et prix RSF Liu Xiaobo et le blogueur Yang Tongyan sont ainsi décédés des suites de défaut de soins durant leur détention.
L’Amérique latine, où la plupart des pays ont, depuis plusieurs décennies, aboli ou partiellement aboli la peine de mort, ne compte pas non plus officiellement de journalistes condamnés à mort ces 50 dernières années. Toutefois, la participation directe ou indirecte des Etats dans des cas d’exécutions extra-judiciaires de journalistes par des tueurs à gage, des mercenaires ou les cartels, est une constante dans plusieurs pays de la région, et notamment en Argentine, au Chili, au Mexique, au Brésil et en Colombie.
Des journalistes sont également exécutés par des groupes non étatiques. Les barbares décapitations de deux journalistes américains, James Foley et Steven Sotloff, par le groupe Etat Islamique (EI) en août 2014 en représailles à l’intervention américaine en Syrie et en Irak ont marqué les esprits. En Afghanistan, une dizaine de journalistes locaux ou collaborateurs de médias ont également été exécutés par les Talibans depuis 2001. Parmi eux, le correspondant de la BBC, Abdul Samad Rohani, tué par balles en 2008. Le journaliste Adjmal Nashqbandi et Sayed Agha, qui travaillaient respectivement comme fixeur-interprète et chauffeur pour un journaliste du quotidien italien La Repubblica, ont tous deux été égorgés.