Des attaques d'après 11 septembre contre les libertés civiles à l'enquête de l'éminent Leveson, Chakrabarti a joué un rôle clé dans certains des plus importants débats sur les droits humains et la liberté d'expression au Royaume-Uni au cours des 15 dernières années.
« J'ai commencé à Liberty la veille du 11 septembre. Il était très évident que nous allions devoir répondre à toutes ces mauvaises politiques à courte vue qui ont été adoptées au nom de la liberté ».
Pour une certaine partie réactionnaire des tabloïdes britanniques, il y a un peu plus d’exaspération qu’une « bonne âme ». S’il y a une personne qui les pousse régulièrement à des indignations, c’est Shami Chakrabarti, ancien directeur de la principale ONG de défense des droits humains Liberty et, d’après The Sun, « la femme la plus dangereuse de Grande-Bretagne ».
Chakrabarti est l’un des avocats les plus connus du Royaume-Uni. Sa renommée est due en partie à ses prestations médiatiques habituelles, mais surtout parce qu’elle a joué, au cours des 15 dernières années, un rôle clé dans certains des débats les plus importants du Royaume-Uni sur les droits humains et la liberté d’expression. Il s’agit notamment des débats sur la liberté d’information, la surveillance gouvernementale et la régulation de la presse.
Née à Londres des immigrants indiens, Chakrabarti ostensiblement cite son père comme étant celui qui a suscité son intérêt précoce pour les droits humains. À l’âge de 12 ans, elle a soutenu devant lui que Peter Sutcliffe (le celebre meurtrier de Yorkshire) devrait recevoir la peine de mort pour ses crimes; cependant, son père, en lui expliquant l’immoralité de prendre la vie d’une autre personne, réussit à changer son avis. Chakrabarti a ensuite étudié le droit et est finalement devenue d’avocate.
Son premier emploi a été au Home Office où elle a travaillé sur la Loi sur les droits humains sous l’ancien ministre de l’intérieur, Jack Straw. En 2001, après cinq ans de service – et désabusée à l’époque par la bureaucratie qui fait partie intégrante de la fonction publique – elle a quitté et a rejoint Liberty en tant qu’avocat interne. Le lendemain, ce fut le 11 septembre.
Il est largement reconnu que les attentats terroristes de 2001 contre les États-Unis ont radicalement changé l’équilibre entre la sécurité et les droits dans le monde entier, avec comme conséquence beaucoup de restrictions pour les droits : beaucoup de travail de Liberty après le 11 septembre était en réponse à ce nouvel ordre mondial. Comme l’a déclaré Chakrabarti en 2013: « Il était très évident de savoir quelles seraient les priorités – nous devrions répondre à toutes ces politiques horribles à court-terme qui ont été adoptées au nom de la liberté mais qui visaient à restreindre la liberté et en fait plutôt contre-productif à la lutte contre le terrorisme ».
Chakrabarti a été nommé directrice de Liberté en 2003 et a rapidement émergé comme une voix importante de protestation à côté d’une batterie variée d’avocats, de journalistes et de politiciens qui ont été alarmés par les tentatives du gouvernement Travailliste de l’époque d’introduire des lois qui nuisent aux libertés publiques, telles que l’obligation de la carte d’identité, les 90 jours de garde à vue, les restrictions aux protestations publiques et la nouvelle infraction d’ « apologie du terrorisme ».
Peut-être que le rôle le plus important de Chakrabarti a été celui de conseillère de l’Enquête Leveson à partir de 2011-2012 – une autre cause de tensions entre la liberté d’expression et d’autres droits.
Annoncée en 2011 par l’ancien Premier ministre britannique David Cameron, cette enquête visait à examiner la culture et l’éthique de l’industrie de la presse au Royaume-Uni suite au scandale de piratage téléphonique de News International. Des enquêtes antérieures avaient révélé que divers journaux britanniques publiés par le groupe News International de Rupert Murdoch avaient participé à des activités illégales, y compris la corruption de la police et le piratage des téléphones des célébrités et des victimes de crimes. Des journalistes et des policiers de haut niveau avaient été contraints de démissionner; le directeur de publication de News of the World, Andy Coulson, avait finalement été emprisonnée.
La face hideuse de la presse britannique avait été exposée, et la tâche de l’Enquête Leveson était d’examiner comment ce comportement pourrait être empêché de se reproduire à l’avenir.
L’enquête a fait une série de recommandations pour la régulation de la presse. Ces recommandations – qui comprenaient la création d’un nouvel organisme indépendant de régulation de la presse et des « dommages exemplaires » pour des actions telles que la violation de la vie privée, la diffamation et les imputations – ont reçu une réponse mitigée de la presse et des politiciens.
Cependant, la vraie pomme de discorde a été semée par le Premier ministre Cameron, qui, au lieu d’appliquer les recommandations de Leveson, a proposé la création d’un organe de surveillance de la presse appuyé par une charte royale (ce qui signifie effectivement qu’il serait approuvé par l’Etat).
Les journalistes et les défenseurs de la libre expression, y compris Index on Censorship, ont rejeté l’idée considérée comme une menace pour une presse indépendante.
Chakrabarti a fait des interventions publiques, critiquant farouchement Cameron pour son inaction face à Leveson et décrivant sa proposition comme « constitutionnellement inappropriée, antidémocratique, opaque et en aucun cas adapté à cette fin ».
Un autre rôle de haut niveau est venu lorsque Chakrabarti a quitté Liberty en 2016 et a été invitée à présider une enquête sur l’ antisémitisme au sein du Parti travailliste. Elle a conclu que l’antisémitisme et le racisme existaient dans le cadre de l’adhésion au Parti travailliste, mais pas dans une plus grande mesure qu’il n’en existait dans d’autres institutions britanniques. Chakrabarti a ensuite occupé le poste de procureur général occulte dans le cabinet du chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn de 2016 à 2020.
Chakrabarti continue de pratiquer le droit et de défendre les droits humains contre les tentatives du gouvernement britannique de les restreindre. Elle a vivement critiqué la soi-disant « Bill of Rights » du Royaume-Uni (projet de loi introduit en 2022 pour remplacer la loi sur les droits humains), qu’elle a décrite comme une « boucherie constitutionnelle » et « une confiscation de pouvoir par l’État » qui rendrait les citoyens du Royaume-Uni moins libres. Elle a été tout aussi virulente dans sa critique du projet de loi sur la nationalité et les frontières (adopté en mars 2022), qui, entre autres, renforce la capacité du gouvernement à priver les gens de citoyenneté et fait, dit Chakrabarti, « des gens comme nous, nés en Grande-Bretagne mais avec des parents nés à l’étranger… des citoyens de seconde zone ».
Chakrabarti a reçu de nombreux honneurs pour son travail et a été classée parmi les « cent fabricants du 21 Siècle » par The Sunday Times en 2014.
Illustration de Florian Nicolle