Le photojournaliste devenu militant et politicien, Boniface Mwangi, a été décrit comme le leader le plus populaire du Kenya dans la lutte contre la corruption et l'injustice du gouvernement.
« J'ai vu des choses que la plupart des gens n'ont jamais vues, et j'ai la responsabilité de ne pas me taire ».
Bien qu’il ait été expulsé de l’école à l’âge de 15 ans, Boniface Mwangi était un lecteur vorace. Cela lui a permis de passer des examens d’entrée au collège, ce qui lui a valu l’admission à l’école de journalisme. Il a débuté sa carrière en 2005 comme photographe pour un quotidien kenyan et a remporté plusieurs prix nationaux et internationaux, notamment le Prix du photojournaliste africain de l’année CNN Multichoice en 2008 et 2010.
Il y a eu un tournant très particulier dans la vie et la carrière de Mwangi: les événements en rapport avec les élections de 2007 au Kenya. Les résultats ont été vivement contestés, provoquant une violence sans précédent qui a entraîné la mort de plus de 1 100 personnes et le déplacement de 600 000 autres. Pendant ce temps, Mwangi a documenté des scènes horribles, dont des femmes qui ont été violées par la police et des enfants qui ont été assassinés. Il a été profondément affecté par cette expérience, éprouvant des cauchemars et des pensées suicidaires.
Il était convaincu que des politiciens avaient incité les gens à commettre des violences sur base des considérations tribales tout au long de leur campagne, et que les policiers étaient des auteurs, mais personne n’en parlait. Par frustration et colère, il a finalement quitté son emploi. Comme il l’a souligné dans une interview de 2015: « J’en étais au point où ma réponse était, essentiellement, de savoir comment faire pour faire tomber le gouvernement » ?
Mwangi a passé des mois avec des amis à planifier d’interpeller le président Mwai Kibaki lors d’un discours diffusé en direct, mais le 1er juin 2009, le jour du discours, ses amis ne se sont pas présentés. Il avait peur, mais il a procédé comme prévu en se levant et en criant que le président devait se souvenir des victimes post-électorales. Il a été battu par la police, mis en prison pendant toute la nuit, et a passé l’année suivante dans une bataille judiciaire. Des expériences qu’il a partagées dans une conversation à TED.
Après cela, Mwangi a commencé à utiliser sa photographie comme un support pour le changement social. Cette même année, il a créé un projet appelé Picha Mtaani où il a parcouru le pays, exposant ses photographies de l’élection. Ces événements visaient à susciter la réflexion, le dialogue et la réconciliation communautaire. Mwangi croit que des politiciens ont payé des gens pour démolir ses expositions, menant aux interruptions violentes, aux arrestations et à la saisie de ses photographies par la police.
En 2011, Mwangi a fondé PAWA254, un hub et un espace de travail d’équipe à Nairobi pour que les journalistes, les artistes et les militants puissent collaborer sur des projets de changement social. Il offre également une formation gratuite aux artistes et aux jeunes afin qu’ils acquièrent des compétences pour amplifier leurs voix. Les murs de l’espace sont décorés des graffiti des portraits des leaders dont Martin Luther King Jr et Malcolm X, ainsi que leurs citations inspirantes.
Mwangi continue à élever la voix contre la corruption politique et l’injustice au Kenya. Et, en tant que photojournaliste devenu militant, il sait attirer l’attention des médias. Il estime qu’un certain facteur choc est essentiel, car il n’a pas de budget pour les annonces dans les journaux ou les panneaux d’affichage. Par exemple, en 2012, il a déposé de faux cercueils au Parlement pour symboliser l’enterrement de l’impunité. En 2013, quand les politiciens ont voulu augmenter leurs salaires, Mwangi a organisé une manifestation où il a apporté des porcs couverts de sang au Parlement pour représenter des politiciens saignant à sec les contribuables.
Le 13 février 2020, jour des funérailles de l’ancien président Daniel Arap Moi, alors que des éloges affluaient de partout, Mwangi est allé sur les réseaux sociaux et a présenté une image plus véridique: le décrivant comme un voleur, un meurtrier et un dictateur.
En novembre 2016, Mwangi a annoncé son entrée en politique, dans le but de changer le système politique de l’intérieur. Il a fondé le parti Ukweli ( « vérité » en langue swahili) et a fait campagne pour un siège en tant que député aux élections de 2017. Mwangi a échoué dans sa tentative, mais a été largement félicité pour avoir mené une campagne éthique. Alors que certains politiciens kényans distribuent des cadeaux et de l’argent à leurs partisans, Mwangi lui demande des dons à ses partisans- et ils continuent à donner, même quand il a perdu le vote.
Son entrée dans le paysage politique est présentée dans un film primé intitulé « Softie ». Le docudrame jette un regard profond sur le feu qui alimente Mwangi pour pousser au changement. Il explore les complexités de mener une campagne propre contre des opposants corrompus et traite de cette question critique: le pays doit-il vraiment passer avant la famille, comme il l’a toujours cru?
Il y a eu un coût important à son courage et son franc-parler. Mwangi est régulièrement critiqué pour être anti-kenyan et il y a eu des accusations selon lesquelles il est soutenu par des donateurs occidentaux qui veulent déstabiliser le gouvernement du Kenya. Son activisme l’a placé en situation de cible des brutalités policières et des menaces de mort. « Je ne peux pas sortir seul tard dans la nuit. Je regarde constamment derrière moi. Lorsque je travaille tard ou que je traîne avec des amis, je dois m’assurer que je suis en compagnie des gens de confiance. Je ne peux pas parler librement sur mon téléphone », a-t-il partagé. « En temps normal, les amis qui me soutiennent et qui ont accès à l’information m’enverront des informations partagées par des gens qui ont été payés pour m’espionner. Malgré ces rapports effrayants, je refuse d’être forcé au silence. Je refuse d’être paralysé par la peur ».
En 2017, pour la première fois, les menaces de mort incluaient sa famille. Mwangi a trois enfants et sa femme Hellen Njeri Mwangi travaille à ses côtés. Il a critiqué la police kenyane pour n’avoir pas enquêté sur ces menaces, même lorsqu’il leur a fourni des preuves.
En 2016, Mwangi a publié ses mémoires, Unbounded (Incontrôlable), qui utilise la photographie pour transmettre les histoires des personnes et des événements qui l’ont inspiré. « Même si je voudrais être normal, je ne le suis pas », a-t-il déclaré dans une interview. « Il y a deux jours plus importants dans votre vie. Le jour de votre naissance et le jour où vous découvrez pourquoi. Ce jour-là, debout dans ce stade interpellant le président, je me suis levé dans le stade, j’ai découvert pourquoi j’étais vraiment né. Que je ne me tairais plus jamais face à l’injustice ».
Au cours des dernières années, Mwangi s’est concentré uniquement sur son activisme. Ces derniers mois, Mwangi a dénoncé de façon critique la conduite imprudente des VIP kenyans et des représentants du gouvernement. En janvier 2020, le militant a bloqué un cortège de voitures roulant du mauvais côté de la route. Il a garé sa voiture en travers de la route et a refusé de bouger, forçant le conducteur du député à suivre la circulation normale.
Les partisans et les critiques de Mwangi seraient d’accord sur une chose: il ne garde certainement pas silence.
Illustration de Florian Nicolle