Après l'année la plus meurtrière pour les journalistes que l'on ait connue depuis plus d'une décennie, Guy Berger de l'UNESCO affirme que le but de la Journée mondiale de la liberté de la presse, à savoir de promouvoir et de défendre la liberté de la presse, est plus important que jamais.
Le 3 mai 2013, l’UNESCO soulignera le 20e anniversaire de la Journée mondiale de la liberté de la presse (JMLP) en tenant son congrès annuel à San Jose, au Costa Rica. Guy Berger, Directeur responsable de la Liberté d’expression et de l’expansion des médias à l’UNESCO, s’est entretenu avec l’IFEX des origines de la JMLP et de la façon dont la liberté de la presse est promue à l’échelle internationale, en particulier dans le monde virtuel.
Transcription audio
Pouvez-vous me donner un aperçu de l’histoire de la JMLP ?
Ça a commencé en 1991, lors d’une réunion de journalistes africains qui ont rédigé la Déclaration de Windhoek, qui énonçait ce que l’on entend par liberté de la presse, et qui insistait en outre sur la proclamation d’une journée internationale pour la célébrer. L’UNESCO, qui avait convoqué la tenue de ce séminaire, s’est enthousiasmée à ce moment-là et a transmis cette proposition aux États membres de l’UNESCO. L’idée a fait son chemin. Elle a été reprise conjointement par divers gouvernements qui l’ont soumise à l’Assemblée générale. Depuis, l’idée n’a cessé de grandir.
Jusqu’à quel point, au cours de ces vingt dernières années, les gouvernements se sont-ils montrés ouverts à l’idée d’observer une Journée mondiale de la liberté de la presse ou aux appels à une plus grande liberté de la presse ?
Avec la JMLP, ce qui se passe, c’est que l’UNESCO décerne aussi le Prix UNESCO/Guillermo-Cano de la Liberté de la presse et que les gouvernements dont les citoyens reçoivent cette récompense la célèbrent parfois. D’autres ne sont pas très heureux parce que le ou la journaliste primée se trouve en prison, et les gouvernements préféreraient plutôt ne pas recevoir toute cette attention. Sur le plan international, ils sont très chatouilleux. Et puis, sur la scène nationale, je dirais que cette journée particulière constitue vraiment une occasion pour les intéressés de tenir des réunions, de publier des articles, d’avoir des séances de presse, des manifestations, des expositions artistiques, de dédicacer une rue, de dévoiler une statue – toutes sortes de choses.
Quels ont été les principaux progrès, et les reculs, depuis la conférence de l’an dernier ?
Malheureusement, l’année dernière a été une année pendant laquelle le nombre des homicides de journalistes a atteint un niveau plus élevé qu’il n’avait jamais connu depuis de nombreuses années. Mais ce n’est là que la pointe de l’iceberg parce que, pour chaque homicide, il y beaucoup plus de menaces. L’an dernier n’a pas été non plus une bonne année pour la liberté d’expression en ligne parce que de plus en plus de gouvernements adoptent des lois qui ne sont pas examinées dans tous les détails autant qu’on pourrait le souhaiter. Toutes les lois sur la liberté d’expression, qu’elles portent sur l’Internet ou sur quoi que ce soit, devraient se conformer à des normes internationales.
Sur quoi les participants à la conférence se concentrent-ils dans le cadre des thèmes de cette année (qui sont : assurer la sécurité des journalistes et des travailleurs des médias et lutter contre l’impunité) ?
De façon particulière, au cours de la dernière année, le grand souci sur lequel on a insisté a été qu’il y a eu l’élaboration de ce que l’on appelle le Plan d’Action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité. Il s’agit de faire bouger ensemble toutes les agences qui ont un très grand intérêt au respect des droits de la personne ou à contrer la corruption, la drogue et le crime, ou même le Programme des Nations Unies pour l’environnement. C’est un côté du plan des Nations Unies. L’autre côté consiste à tenter vraiment de mobiliser d’autres groupes à l’extérieur des Nations Unies – les gouvernements, les groupes de la société civile, les médias eux-mêmes, les organisations régionales. Nous allons examiner plusieurs de ces questions en Amérique latine. Chacun sait que des pays comme le Mexique et le Honduras sont extrêmement dangereux pour les journalistes. En même temps, on avait l’habitude de considérer la Colombie comme vraiment dangereuse, et elle l’est toujours, mais le gouvernement colombien, en collaboration avec les médias, a instauré un mécanisme de protection tout à fait efficace. Quand un journaliste reçoit des menaces, il peut demander une protection et il l’obtient. Cela a vraiment réduit le nombre des homicides en Amérique latine. L’idée donc est de porter l’attention du Plan d’action des Nations Unies sur le contexte latino-américain.
Êtes-vous optimiste, croyez-vous que l’on aille dans un proche avenir vers une plus grande liberté de la presse dans le monde ?
Je pense que le simple fait qu’il y a pour les gens plus de plates-formes pour pratiquer la liberté de la presse constitue de toute évidence un progrès, et il est important que de combler davantage le fossé numérique et même que plus de gens aient accès pour publier à ce genre de plates-formes peu coûteuses. Je pense en fait que nous sommes à un sommet en quelque sorte en ce qui concerne la sécurité des journalistes, et que ce Plan d’action des Nations Unies devra faire ses preuves dans la prochaine année. Pour ce qui est de la liberté de l’Internet, nous nous approchons également d’un tournant, parce qu’il y a des pressions en faveur de la tenue d’un grand débat en 2015 à l’ONU, et je pense que le genre de travail qui est en train de s’accomplir affectera dans les années à venir la position de l’ONU sur la liberté d’expression sur Internet. [L’UNESCO] vient tout juste de publier un livre intitulé Pressing for Freedom: 20 Years of Wold Press Freedom Day (Favoriser la liberté : 20 ans de Jouirnée mondiale de la liberté de la presse). Le congrès du Costa Rica sera en outre diffusé en direct, et nous publierons ultérieurement un rapport, pour que vous puissiez voir ce qui se passe à l’échelon mondial. Mais en même temps, veuillez ne pas négliger vos possibilités au niveau local parce que si on ne chérit pas cette liberté, elle ne durera pas toujours.
Guy Berger, Directeur responsable de la Liberté d’expression et de l’expansion des médias à l’UNESCO, s’est entretenu avec Alex Derry, rédacteur en ligne à l’IFEX. La présente transcription a été révisée et condensée.