Sur l’ensemble des journalistes tués en 2020, 84 % ont été sciemment visés et délibérément éliminés. Si le nombre de journalistes tués sur les terrains de guerre continue de diminuer, de plus en plus sont assassinés dans des pays en paix.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 28 décembre 2020.
Reporters sans frontières (RSF) publie la deuxième partie de son Bilan annuel des exactions commises contre les journalistes dans le monde. En 2020, 50 journalistes ont été tués. Si le nombre de journalistes tués sur les terrains de guerre continue de diminuer, de plus en plus sont assassinés dans des pays en paix.
RSF a recensé 50 journalistes tués dans le cadre de leur profession- entre le 1er janvier et 15 décembre 2020. Ce chiffre reste stable par rapport à l’année précédente (53 tués en 2019) malgré la réduction des reportages du fait de l’épidémie de Covid-19. De plus, un nombre croissant de journalistes sont tués dans des pays dits “en paix ». En 2016, 58% étaient tués dans des zones de conflit. Aujourd’hui, la proportion des journalistes tués dans des zones déchirées par la guerre (Syrie, Yémen) ou minées par des conflits de basse ou moyenne intensité (Afghanistan, Irak) s’élève à 32%. Autrement dit, 68% (plus des deux tiers) des journalistes tués le sont dans des pays en paix, notamment au Mexique (8 tués), en Inde (4), au Pakistan (4), aux Philippines (3) et au Honduras (3).
Sur l’ensemble des journalistes tués en 2020, 84 % ont été sciemment visés et délibérément éliminés, contre 63 % en 2019. Certains l’ont été dans des conditions particulièrement barbares.
Au Mexique, le journaliste du quotidien El Mundo Julio Valdivia Rodríguez, a été retrouvé décapité dans l’Etat du Veracruz, son collègue Víctor Fernando Álvarez Chávez, rédacteur en chef du site d’information locale Punto x Punto Noticias, a lui été découpé en morceaux dans la ville d’Acapulco. En Inde, le journaliste au quotidien Rashtriya Swaroop, Rakesh Singh “Nirbhik” a été brûlé vif après avoir été aspergé de gel hydro-alcoolique, hautement inflammable, tandis que le journaliste, Isravel Moses, correspondant d’une chaîne de télévision du Tamil Nadu, a été tué à coups de machettes.
En Iran, c’est l’Etat qui s’est fait bourreau : l’administrateur de la chaîne Telegram Amadnews, Rouhollah Zam, condamné à mort à l’issue d’un procès inique, a été exécuté par pendaison. Même dans ce pays qui pratique encore la peine capitale, aucun journaliste n’avait été victime de ce châtiment archaïque et barbare depuis 30 ans.
“La violence du monde continue de s’abattre sur les journalistes, déplore le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Une partie du public considère que les journalistes sont victimes des risques du métier, alors même qu’ils sont de plus en plus attaqués lorsqu’ils enquêtent ou effectuent des reportages sur des sujets sensibles. Ce qui est fragilisé, c’est le droit à l’information, qui est un droit pour tous les êtres humains.“
Les sujets les plus dangereux à couvrir restent traditionnellement les enquêtes sur des cas de corruption locale et de détournement de fond public (10 tués en 2020 ) ou sur la mafia et le crime organisé (4 tués). Fait nouveau en 2020 : 7 journalistes ont été tués alors qu’ils couvraient des manifestations. En Irak, c’est toujours le même mode opératoire : 3 journalistes ont été abattus d’une balle dans la tête par des hommes armés non identifiés pendant les rassemblements, un quatrième est mort au Kurdistan en essayant d’échapper aux affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants. Au Nigeria, 2 journalistes ont aussi été victimes du climat de violence dans lequel se déroulent des mouvements de protestation, qui dénoncent notamment la brutalité d’une unité de police chargée de la lutte contre la criminalité. En Colombie, 1 journaliste d’un média communautaire a été tué par balle alors qu’il couvrait une manifestation de communautés indigènes protestant contre la privatisation de terres dans leur région. Dans ce cas aussi, le rassemblement avait été violemment dispersé par la police, l’armée et les forces anti-émeutes.
Dans son Bilan annuel 2020 des journalistes détenus, otages et disparus, publié le 14 décembre dernier, RSF recensait 387 journalistes emprisonnés pour avoir exercé leur métier d’information, un nombre historiquement haut de journalistes détenus. L’année 2020 s’est également caractérisée par une augmentation de 35% du nombre de femmes détenues arbitrairement et une multiplication par quatre du nombre d’interpellations au début de la propagation du virus à travers le monde. De même, 14 journalistes, arrêtés dans le cadre de leur couverture de l’épidémie de Covid-19, se trouvent toujours sous les verrous à ce jour.