En 2002, Radio Okapi est devenue la première station de radio en RDC à diffuser dans les territoires contrôlés aussi bien par le gouvernement que par les rebelles. Quatorze ans plus tard, son directeur se penche sur la façon dont l'engagement de la station de radio à la pluralité a contribué à la consolidation de la paix et de la réconciliation dans la région.
Dans une interview en 2004 sur la Radio Netherlands, David Smith – à l’époque chef de l’information à la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) – a décrit un projet qui changerait fondamentalement le rôle de la radio dans le République démocratique du Congo (RDC):
Smith décrivait ainsi Radio Okapi – une station qui avait été créée deux ans seulement plus tôt, en 2002, suite à un partenariat entre la MONUC (maintenant appelée MONUSCO) et l’ONG suisse Fondation Hirondelle.
Cette station de radio multilingue – créée dans les dernières années du conflit interne sanglant en RDC que certains ont décrit comme étant la « première guerre mondiale de l’Afrique » – a été fondée avec l’intention de devenir « le premier média à fournir une couverture nationale, sans tenir compte de l’affiliation politique ».
Au moment de sa création, la radio était le principal instrument par lequel les gens étaient informés en RDC, en raison de sa grande accessibilité et de son faible coût. Mais la diversité des opinions et des informations disponibles pour les citoyens était limitée à l’époque. Selon Michelle Betz, auteur de « Radio artisane de paix » – une étude de cas académique de Radio Okapi – au début de l’année 2002, seules neuf autres stations de radio émettaient à Kinshasa. Jusqu’à ce moment-là, Betz note que les partis de l’opposition avaient des difficultés à accéder aux médias d’Etat, et les stations de radios privées étaient souvent moins critiques à l’égard du gouvernement que les journaux privés.
Depuis qu’elle a commencé à émettre, Radio Okapi, une station de la base qui a été fondée dans le but de « convaincre les gens qu’il est dans leur intérêt de déposer leurs armes », s’est développée au point d’atteindre environ 25 millions d’auditeurs et d’employer 191 personnes, à en croire son directeur Amadou Ba.
Cela ne veut pas dire que la liberté d’expression et l’accès à l’information ne posent plus de problèmes en République démocratique du Congo. Loin de là. La RDC est toujours considérée comme l’un des pires pays pour la liberté d’expression, classé 152e sur une liste de 180 pays dans le classement mondial 2016 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
L’organisation membre de IFEX Journaliste en Danger rapporte régulièrement les attaques et arrestations de journalistes, les interdictions des médias et la législation qui constitue un obstacle à l’accès à l’information. Il y a même eu des cas de journalistes tués à cause de leur travail ou de leur qualité de journaliste.
Néanmoins, Radio Okapi travaille à changer les choses. Elle est la première station de radio à diffuser en ondes courtes et FM aussi bien dans les territoires sous contrôle du gouvernement que dans ceux tenus par les rebelles. Bien plus, la station diffuse dans les cinq principales langues du pays (français, Lingala, Swahili, Tshiluba et Kikongo), chose qui la rend beaucoup plus inclusive que les stations qui n’émettent que dans une seule langue ou pour un seul groupe culturel.
Cela fait maintenant 14 ans depuis la création de Radio Okapi – et avec la fin officielle de la guerre – le moment est propice pour réfléchir sur comment et pourquoi cette station de radio est connue comme étant « la radio de la paix ». Dans les questions et réponses ci-dessous, M. Amadou Ba, directeur de Radio Okapi, a répondu aux questions de IFEX sur le rôle de la station de radio dans la société congolaise ainsi que sur l’avenir de celle-ci.
Quel est le rôle de la radio pour garder la population de la RDC informée des actualités et développements politiques ?
Radio Okapi joue un rôle important dans le traitement et la circulation de l’information des populations. En même temps, elle est devenue la principale source, et joue le rôle d’une agence de presse pour alimenter les journaux et même les autres radios du paysage médiatique congolais. Son site web ne fait que monter en puissance avec plus de deux millions et demi de visiteurs par mois. Sa page Facebook a dépassé le demi-million d’amis.
Radio Okapi est un moyen pour les citoyens d’accéder aux faits, aux données, aux idées et réflexions nécessaires à l’exercice de leur libre arbiter. Radio Okapi demeure le seul média qui permet à l’immense majorité de la population de s’exprimer sur les grands et les petits événements de la vie locale et nationale du pays.
Comment Radio Okapi se différencie-t-elle des autres stations de radio en RDC?
Radio Okapi a conscience du rôle qu’elle joue dans le processus de réconciliation nationale du peuple congolais.
Elle est actrice majeure du dialogue et du vivre ensemble dans toute la République, et accompagne les efforts des gens du pays pour promouvoir un Etat de droit, le développement de la vie économique, sociale et culturelle de la RDC.
La deuxième caractéristique, c’est que Radio Okapi fait preuve constamment d’un grand professionnalisme en allant chercher l’information à la source. Elle s’efforce à une plus grande rigueur dans le traitement de l’information et dans le choix des intervenants.
Radio Okapi dérange l’ordre établi. Elle donne la parole à tous, du porte-parole du gouvernement au paysan du coin le plus reculé du pays.
Elle donne l’opportunité aux citoyens non seulement de faire connaitre leurs besoins ou leur opinion, mais d’avoir une tribune pour faire connaitre leurs idées constructives.
Le rôle que joue Radio Okapi; a-t-il évolué depuis sa creation?
Depuis sa création le 25 févier 2002, Radio Okapi s’est toujours définie comme la radio de la paix en RDC. Sa raison d’être réside précisément dans la volonté d’instaurer la paix et de promouvoir la culture de la paix. Une volonté farouche de prendre à contre-pied cette instrumentalisation des médias à des fins guerrières qui font légion dans cette partie de la sous-région à l’image de la Radio Télévision Libre des Milles Collines du Rwanda voisin.
De cette dimension historique de la radio de la paix, Radio Okapi évolue depuis quelques années vers un radio du développement. Elle mène une fonction sociale majeure en tentant de contribuer au quotidien des citoyens, à la reconstruction du pays, à l’établissement d’un Etat de droit à travers sa mission essentielle de préservation d’une information médiatique impartiale, pertinente, crédible et vérifiée.
Quelles sont les critiques formulées à l’égard de Radio Okapi? Qui est à l’origine de ces critiques?
Elles émanent le plus souvent de la classe politique, tantôt de la majorité tantôt de l’opposition. C’est en fonction du contexte politique qui prévaut. Invariablement, il est reproché à Radio Okapi de n’avoir pas donner suffisamment de temps d’antenne à tel ou tel parti politique dans un pays qui en compte plus de 500.
Fort heureusement que Radio Okapi a mis en place tout un dispositif du monitoring des journaux mais aussi un inventaire mensuel des invités de Dialogue Entre Congolais et de l’émission interactive de Parole Aux Auditeurs.
Étant donné que Radio Okapi a été fondée conjointement par l’ONU et la Fondation Hirondelle, est-il capable d’être vraiment indépendant?
Jamais à ma connaissance, des injonctions ou des directives précises ont été instruites sur la ligne éditoriale de Radio Okapi.
Bien au contraire, dès sa création, cette radio a été conçue comme médium de la population congolaise. Ce n’est pas un hasard que le démarrage des émissions a coïncidé le 25 février 2002, avec la date d’ouverture du dialogue entre les Congolais à Sun City en Afrique du Sud. Ces assises, qui œuvraient justement pour la pacification du pays qui était complètement morcelé. De cette manière, Radio Okapi a contribué grandement à la réunification de la RDC.
Au fil du temps, cette radio a su habilement intégrer dans un même espace public des discussions entre les différents acteurs du conflit.
Pour revenir à votre question, je suis tenté de rajouter que 15 ans après, il y a ce que j’appelle l’effet Radio Okapi. Loin d’attiser des jalousies, Radio Okapi semble avoir agi comme un modèle à imiter et non pas à accuser comme « agent de l’extérieur ». Il y a une réelle émulation dans la mesure où beaucoup des médias veulent faire comme Radio Okapi.
Pendant combien de temps pensez-vous que Radio Okapi continuera-t-elle d’émettre?
Dans l’immédiat, il paraît difficile de répondre avec précision à votre question. Ce que je peux vous dire c’est que tant que la MONUSCO est présente en RDC, Radio Okapi continuera à émettre. Seul le Conseil de sécurité des Nations Unies est en mesure de prédire la fin de la MONUSCO. Son mandat vient d’être prorogé jusqu’au 30 juin 2017. Ce qu’il faut ajouter, c’est qu’il y a une réelle volonté des Nations Unies de parvenir à la pérennisation de Radio Okapi au-delà du retrait de la MONUSCO. Des réflexions sont en cours sur cette pérennisation.
Il n’y a pas une seule voix qui unit tous les Congolais. Ce projet de radio permettra, pour la première fois depuis le début de la guerre, aux gens dans les territoires sous contrôle des rebelles de parler aux gens dans les territoires contrôlés par le gouvernement.