Les activistes, les groupes de défense des droits des autochtones et les journalistes des Philippines sont visés parce qu'ils démasquent et critiquent l'exploitation minière et les autres violations de l'environnement qui sévissent depuis des années
En septembre 2012, un garçon de 11 ans, Jordan Manda, vêtu de son uniforme de scout, se rendait à l’école quand il a été abattu dans une embuscade par des hommes armés dans la région de Mindanao, au sud-ouest des Philippines, une région riche en ressources. Jordan était le fils de Timuay Locencio Manda, une leader communautaire opposé à une exploitation accrue d’une mine d’or et de cuivre de la région.
Manda protestait contre l’extension des opérations minières par TVIRD, la société philippine affiliée de la minière TVI Pacific (TVI), basée au Canada, à Canatuan, province de Zamboanga del Norte, dans l’île de Mindanao. Depuis l’assassinat de son cousin en 2002, il avait pris la tête de la communauté autochtone des Subanen, qui réclament la protection de leur domaine ancestral sacré autour du Mont Canatuan. Pendant des années, la famille a refusé d’accorder le consentement de la communauté à diverses compagnies d’exploitation minière et forestière sur leurs terres ancestrales.
Selon un témoignage rendu devant un comité parlementaire canadien, la police locale qualifie Manda d’activiste « illégal » contre l’industrie minière afin de le discréditer et de le faire taire. Neri Colmenares, député à la Chambre des Représentants des Philippines et avocat spécialiste des droits de la personne, s’est plaint auprès des Canadiens : « non seulement y a-t-il eu une autre attentat contre la vie d’un militant environnemental, a-t-il dit, non seulement cela constitue-t-il un autre exemple de répression dirigée contre un peuple autochtone, mais c’est un enfant innocent qui a été assassiné dans cet incident. »
L’exploitation minière, en particulier de l’or et du cuivre à Mindanao, est la clé de la stratégie du gouvernement en matière de développement. En 2011, Jerry Treñas, membre du gouvernement philippin et président du Comité de la Chambre sur le bon gouvernement et la responsabilité publique, a déclaré que Mindanao pouvait receler des richesses minérales non exploitées dont la valeur se situerait entre 840 milliards et 1 trillion de dollars US. Il a affirmé que les gisements de Mindanao « pouvaient sortir le pays tout entier de son état de nation du tiers monde et le catapulter au rang de puissance économique majeure en Asie. »
L’armée et la police nient toute implication dans le meurtre de Jordan, et la société TVIRD l’a condamné. Cependant, les attaques contre les défenseurs de l’environnement et leurs familles – souvent aux mains des forces de sécurité – sont fréquentes aux Philippines. En octobre 2012, des soldats du 27e Bataillon d’infanterie ont tiré sur la maison du militant autochtone Dagil Capion dans la province de South Cotabato, dans le sud de Mindanao. Le gouvernement avait traité Capion d' »ennemi de l’État » en raison de ses actions contre les opérations minières d’une autre entreprise, Xstrata-SMI. Capion a échappé à la mort mais sa femme, qui était enceinte, et deux jeunes fils ont péri.
Les activistes, les groupes de défense des droits des autochtones et les journalistes des Philippines sont visés depuis des années parce qu’ils démasquent et critiquent les déprédations de l’environnement. Sous le précédent gouvernement de Gloria Macapagal Arroyo, 36 militants environnementaux ont été assassinés et deux autres ont disparu, selon ce qu’indique Kalikasan, un réseau philippin de groupes de défenseurs de l’environnement et de défenseurs des droits des gens.
Cela n’a pas beaucoup changé sous le Président Benigno Aquino, au pouvoir depuis juin 2010. Aquino a promis aux familles des victimes de rendre justice rapidement. Mais son programme de réformes n’a servi qu’à perpétuer l’impunité et à encourager les attaques contre les activistes. D’après des dirigeants ecclésiastiques et des défenseurs des droits de la personne, l’approche d’Aquino à la lutte contre-insurrectionnelle, « centrée sur les gens » et « l’ensemble de la nation », est tout aussi brutale que le programme d' »Arroyo, un échec notoire« . Comme l’alliance de défense des droits de la personne Karapatan l’a fait remarquer, « il y a toujours des incidents de bombardement et des fusillades sans discernement, on utilise toujours des écoles, des chapelles, des installations médicales et d’autres lieux publics à des fins militaires. Les gens sont toujours contraints de quitter leurs foyers à cause des atrocités commises par l’armée dans leurs communautés. »
Sept chefs communautaires et religieux dirigeant des campagnes de défense de l’environnement à Mindanao font état de harcèlement incessant par des agents militaires. Les groupes autochtones affirment qu’au moins 30 autochtones ont été victimes d’exécutions extra-judiciaires aux Philippines sous le gouvernement Aquino, et que les autres ont de plus en plus peur. Une plainte à propos de ces homicides a été déposée auprès de James Anaya, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Le conflit entourant la mine de TVI à Canatuan, qui remonte à 20 ans, se concentre sur l’affirmation que cette mine détruit un site sacré de l’ethnie subanen. La destruction de Canatuan reflète « le manque total de respect de TVI pour les coutumes et les traditions autochtones, » a déclaré Timuay Jose « Boy » Anoy, chef de l’assemblée subanen locale (« Timuay » signifie « chef » en langue subano; Anoy n’a pas de lien de parenté avec Manda). TVI soutient que la montagne n’est pas sacrée parce qu’elle ne figure pas parmi les sites répertoriés dans l’inventaire du patrimoine dressé par l’Institut historique national.
Il y a aussi les préoccupations environnementales. Canatuan est déjà gravement dénudée par suite d’une déforestation réalisée sans discernement et sans réglementation. Bien que la présence des peuples autochtones dans la région ait préservé une partie des terres, l’exploitation minière à ciel ouvert menace ce qu’il reste de la rivière et de la forêt. En août 2012, le mois précédant la mort de son fils, Timuay Manda s’était joint aux évêques catholiques et à des groupes intéressés et avait déposé un acte judiciaire afin de protéger une des dernières parcelles de forêt qui restait dans la Péninsule de Zamboanga. Plusieurs compagnies minières avaient déjà soumis des demandes en vue d’exploiter ces mêmes zones.
D’après le témoignage de villageois entendus devant le parlement britannique, des membres de la communauté, y compris des enfants, qui vivaient à proximité du site de TVI au mont Canatuan, se sont mis à avoir des plaies et des éruptions cutanées. Des pêcheurs locaux ont aussi déclaré à une source de nouvelles catholique qu’ils attrapaient moins de poissons parce que la rivière est maintenant extrêmement polluée (« Subanen » signifie « peuple de la rivière »).
Les communautés autochtones des Philippines jouissent d’une série de droits qui sont protégés à l’échelle nationale et internationale en vertu du principe appelé « Consentement libre, préalable et éclairé ». Les Philippines, en tant que pays signataire en 2007 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, se sont engagées à promouvoir ce principe dans les lois du pays. En plus de leur droit de s’exprimer sans violence, les communautés ont le droit de dire « oui » ou « non » aux développements qui influent directement sur leur vie et leurs moyens d’existence. Alors comment TVI, ainsi que les gouvernements philippin et canadien, répriment-ils ces droits, ainsi que la couverture générale de l’évolution de la situation autour de Canatuan ?
Le gouvernement philippin fait souvent, explicitement ou implicitement, le lien entre activisme et terrorisme, et réprime l’activisme par des mesures antiterroristes. Pour protéger les bureaux gouvernementaux et les investissements stratégiques contre les insurgés, le gouvernement est connu pour faire appel à des milices privées, comme les unités d’Auxiliaires armés civils spéciaux (SCAA). En vertu du décret-loi No 546, Arroyo avait appuyé les unités paramilitaires comme « multiplicateurs de forces » dans les opérations contre-insurrectionnelles. Le sommet atteint dans le nombre des homicides d’activistes environnementaux en 2005-2006 a coïncidé avec le point culminant du programme contre-insurrectionnel d’Arroyo.
Pour sa part, Aquino s’est engagé à « neutraliser » les groupes et à révoquer le décret-loi, mais, d’après Human Rights Watch, il n’a pris aucune mesure pour démanteler les paramilitaires. En fait, l’an dernier, Aquino a émis un autre décret-loi qui permet aux sociétés transnationales de recourir aux services des groupes paramilitaires pour protéger leurs opérations. D’après des témoignages qu’ont reçus des ONG locales, neuf journalistes et deux défenseurs des droits de la personne ont été harcelés en juillet 2012 par des milices privées embauchées par TVIRD tandis qu’ils tentaient de vérifier des rapports de démolition de maisons près d’un site en expansion. Vers la fin de 2012, Karapatan avait documenté 137 cas d’homicides extra-judiciaires sous le gouvernement Aquino.
Les compagnies minières ont également recours à d’autres tactiques. TVI menace les partisans des communautés de poursuites judiciaires parce qu’ils rapportent la nouvelle sur le conflit. L’ONG canadienne MiningWatch s’est vu servir des lettres de menaces par les avocats de la société TVI basés à Toronto.
Les médias sociaux sont également sous la loupe. En novembre dernier, un militant de 62 ans opposé à l’exploitation minière dans la province de Cagayan a été arrêté à cause d’une page sur Facebook qui condamnait un maire local parce que celui-ci harcelait les dirigeants communautaires qui préparaient une manifestation de protestation contre l’exploitation minière.
Les dirigeants religieux philippins demandent une réforme du Code des mines – la législation qui a libéralisé le secteur minier, ce qui a causé une ruée d’investissements et de contrôles étrangers, y compris d’investissements par TVI. L’Église affirme que le Canada a exercé une grande influence dans la formulation du Code. Le gouvernement canadien, pour sa part, défend activement TVI par l’entremise de son ambassade à Manille, faisant valoir tant aux dirigeants de l’Église qu’au gouvernement philippin que la société TVI est une entreprise responsable, en dépit des graves violations rapportées au sujet de la compagnie.
On ne rapporte déjà pas assez, non plus, les préoccupations des gens de Mindanao, selon ce qu’indique le Centre pour la liberté et la responsabilité des médias (Center for Media Freedom & Responsibility). L’exploitation minière et les questions environnementales retiennent peu l’attention, et les mesures prises contre les médias et les communautés par des groupes comme les SCAA et TVI rendent la couverture des nouvelles presque impossible. Les groupes communautaires ne peuvent se faire entendre, surtout lorsque leur avenir est en jeu. Et leurs droits sont encore plus facilement bafoués – parfois avec des conséquences tragiques.
Pendant ce temps, à Canatuan, un petit garçon de 11 ans est mort. Manda a dû déménager sa femme et deux autres enfants et quitter leur terre ancestrale pour trouver la sécurité. « Pour mettre les choses au clair, je ne suis pas contre l’exploitation minière, » dit Manda. « J’attire l’attention de ceux qui la font, de ceux qui planifient l’exploitation minière sur nos terres ancestrales sans documentation valide ou légale, pour qu’ils cessent maintenant. Vous n’apportez que des ennuis dans notre paisible communauté et la destruction de notre environnement. »
John Lewis est un défenseur des droits de la personne et éducateur basé à Toronto.