Aujourd'hui, sous prétexte de combattre le terrorisme, le gouvernement d'Abdel Fattah el-Sisi a sévèrement sévi dans les universités – l'un des derniers refuges pour les débats et les différences d'opinion.
De hauts murs en béton doublés de barres en métal encerclent les environs. Les membres d’une société privée de sécurité équipés de détecteurs de métaux montent la garde en face des portes installées pour contrôler l’accès aux bâtiments. Des véhicules blindés appartenant aux forces de sécurité du gouvernement occupent les rues aux alentours. Des soldats sont en poste, prêts à être déployés.
Voilà à quoi ressemble aujourd’hui l’université du Caire, l’une des universités publiques les plus anciennes d’Égypte. Chaque jour, des milliers d’étudiants passent cette zone lourdement militarisée pour se rendre en classe.
Depuis que Mohammed Morsi a été chassé de la présidence le 20 juin 2013 les universités ont été en première ligne des manifestations anti-gouvernementales. La plupart des étudiants manifestants sont affiliés aux Frères Musulmans et considèrent la tournure des évènements comme un coup militaire. Mais l’instabilité ne se limite pas aux Frères Musulmans, d’autres groupes étudiants les ont également rejoint pour protester contre les actuelles répressions et les restrictions toujours plus nombreuses contre la liberté des universités.
Les affrontements entre étudiants et forces de police ne se limitaient plus uniquement à l’extérieur des universités. Ils ont rapidement intégré les campus et même les résidences étudiantes. Un jour de novembre 2013, la cour de la Faculté de Mécanique à l’université du Caire fut le théâtre d’une scène de terreur et de chaos.
Des policiers, des officiers et des conscrits tiraient des gaz lacrymogènes et des tirs de chevrotine. Les étudiants fuyaient en toutes directions. Un étudiant, après avoir entendu le bruit d’un coup de feu assourdissant, s’est retourné et a vu son collègue gisant sur le sol. “Je l’ai trouvé allongé en face de moi, Muhammed Rida, qu’il repose en paix. Les gens étaient rassemblés autour de lui. Il convulsait violemment. Certains ont regardé son flanc gauche et ont vu un trou dans son corps. Ils ont soulevé son T-shirt et j’ai vu sa blessure. Je n’arrivais pas à stopper le saignement” déclare-t-il devant le procureur.
Muhammed Rida est décédé simplement parce qu’il était présent à la Faculté de mécanique au moment de la répression. Son assassin n’a pas encore été traduit en justice.
En juin 2014, Abdel Fattah el-Sisi a pris ses fonctions. Déterminé à supprimer toute forme d’opposition en Égypte, il a renforcé la répression sécuritaire dans les universités publiques, qui à ce moment-là apparaissaient comme l’un des derniers espaces pour exprimer son opposition. Dans son rapport annuel de 2014, L’Association for Freedom of Thought and Expression a enregistré 88 cas de répression policière dans les universités publiques d’Égypte et l’université Al-Azhar. Douze étudiants ont été tués sur les campus et dans les zones aux alentours. 760 étudiants ont été arrêtés et jusqu’à maintenant seulement 99 d’entre eux ont été relâchés.
Alors qu’on attend des universités qu’elles protègent leurs étudiants et leurs employés sur les campus, il n’est pas envisageable d’assurer une telle protection sans assurer d’abord un environnement qui facilite et respecte leur liberté et leur indépendance.
Pendant les années qui ont suivi la révolution de janvier 2011, et même peu de temps avant, les universités égyptiennes avaient bénéficié de larges avancées en matière de liberté académique et d’indépendance.
En octobre 2010, seulement quelques mois avant le renversement de l’ancien président Hosni Mubarak, une décision du Tribunal Administratif suprême interdisaitla présence de forces de sécurité sur les campus universitaires. Tous les bureaux du ministère de l’intérieur présents dans ces zones étaient fermées. “Selon la constitution et la loi sur l’indépendance des universités et, afin que les universités remplissent leur rôle, il est exigé de s’impliquer dans le maintien de l’indépendance de leurs universités et des institutions d’enseignement,” stipule la loi.
Le retour des forces de sécurité sur les campus et leurs attaques contre l’indépendance des institutions universitaires n’est pas le seul signe du déclin des universités d’Égypte en matière de liberté au cours des dernières années.
Pendant quelques années avant l’entrée en fonction d’el-Sisi, les responsables universitaires étaient élus par les doyens et les membres de la faculté. En 2014 il a amendé la loi sur les universités pour s’octroyer le droit de nommer les présidents universitaires et même les responsables de facultés. Au début 2015, grâce un autre décret qui permet de congédier les membres des facultés en fonction de leurs actions au sein des universités, des professeurs accusés de participer à des activités politiques sur les campus ont été démis de leurs fonctions. Plus récemment, des universitaires ont été interdits de voyage sans l’autorisation préalable du Ministre de l’Enseignement Supérieur.
Le gouvernement impose des contrôles de plus en plus stricts des institutions de l’enseignement supérieur et interfère dans leurs affaires. Les forces de sécurité ont les mains libres pour traiter les manifestations étudiantes, qu’elles soient pacifiques ou violentes. Alors comment les universités sont supposées protéger efficacement leurs étudiants et leurs équipes ?
Il est impossible d’ignorer l’utilisation de la violence par les étudiants appartenant au mouvement des Frères Musulmans, ou même leurs tentatives pour prendre le contrôle lorsque l’organisation était aux commandes du pays. Mais il n’y a aucune comparaison possible entre la situation actuelle et le court règne des Frères Musulmans au cours duquel le mouvement a essayé de renforcer son contrôle sur les universités – notamment par leurs efforts pour supprimer les conversations au nom de la religion. Les Frères Musulmans ont tenté d’usurper les syndicats étudiants en limitant et restreindre quiconque s’oppose à eux, mais au moins les membres des communautés universitaires étaient capables de contester de telles actions sans risquer de lourdes représailles. Au cours de l’année universitaire 2012/2013, les groupes étudiants indépendants ont mêmegagné les élections syndicales étudiantes face à la branche étudiante des Frères Musulmans.
Lors de la toute première conférence mondiale des présidents d’université qui s’est tenu à l’université de Columbia en 2005, les participants ont rédigé et publié un document intitulé “Déclaration de liberté académique” dans lequel ils déclarent : “malgré la présence de menaces potentielles pour la liberté académique provenant d’un large spectre de sources, intérieures et extérieures à la communauté universitaire, l’histoire a prouvé que la menace vient généralement des états dont le pouvoir politique et les positions hiérarchiques sont la plupart du temps diamétralement opposés au besoin d’indépendance institutionnelle des universités.
Aujourd’hui, sous prétexte de combattre le terrorisme, avoir des opinions contraires et manifester sont devenus des crimes et le droit constitutionnel du peuple à la liberté d’expression a été banni. Nous avons de nombreux exemples qui montrent clairement que l’Égypte est revenu à la case départ. En fait, on peut même dire que nous sommes revenus encore plus en arrière en ce qui concerne la protection des campus universitaires face aux attaques, la détérioration générale des conditions des universités, la suffocation de la liberté d’expression dans des espaces qui devraient être des lieux exemplaires pour les discussions et les débats.
La communauté académique égyptienne doit bénéficier d’une indépendance totale pour la gestion de ses affaires et de ses futurs défis en utilisant des moyens qui assurent droit et liberté aux universités, sans aucune intervention de l’état. Un tel changement ne peut prendre place sans la mise en place d’une approche plus démocratique envers la sphère publique et le respect de la loi et de la constitution.
Aujourd’hui, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, avoir des opinions contraires et manifester sont devenus des crimes et le droit constitutionnel du peuple à la liberté d’expression a été banni.
Emad Mubarak est le directeur exécutif de l’Association for Freedom of Thought and Expression (AFTE), une organisation basée au Caire qui lutte pour l’indépendance des universités égyptiennes. L’AFTE est membre du réseau de l’IFEX.