Certains de ces “prédateurs de la liberté de la presse” agissent depuis plus de deux décennies quand d’autres rejoignent cette année cette liste noire, qui a la particularité, en 2021, de comprendre pour la première fois deux femmes et un Européen.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 2 juillet 2021.
Reporters sans frontières (RSF) publie une galerie de sombres portraits : ceux de 37 chefs d’État ou de gouvernement qui imposent une répression massive de la liberté de la presse à travers le monde. Certains de ces “prédateurs de la liberté de la presse” agissent depuis plus de deux décennies quand d’autres rejoignent cette année cette liste noire, qui a la particularité, en 2021, de comprendre pour la première fois deux femmes et un Européen.
L’édition 2021 de la galerie des “prédateurs de la liberté de la presse de RSF compte 37 chefs d’Etat et de gouvernement, dont près de la moitié (17) y figurent pour la première fois, cinq ans après la précédente liste publiée en 2016. Tous sont des chefs d’État ou de gouvernement qui imposent une répression massive, via la mise en place d’appareils de censure, de l’incarcération arbitraire de journalistes, d’incitation à la violence contre ces derniers, quand ils n’ont pas du sang de journalistes sur les mains pour avoir directement ou indirectement poussé à leur assassinat. Seize des prédateurs mentionnés dans la liste figurent dans des pays classés en noir sur la carte de la liberté de la presse et 19 dans des pays en rouge, c’est à dire dans des pays où la situation est considérée comme très grave ou difficile pour l’exercice du journalisme. Les prédateurs, dont la moyenne d’âge est de 66 ans, sont notamment originaires de la région Asie-Pacifique, qui fournit à elle seule 13 des 37 tyrans recensés par RSF.
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« Ils sont désormais 37 chefs d’Etat ou de gouvernement à travers le monde à figurer dans la galerie des prédateurs de la liberté de la presse de RSF, déplore le secrétaire général de l’organisation, Christophe Deloire, et personne ne saurait dire que cette liste est exhaustive. Chacun de ces prédateurs a une méthode particulière. Certains font régner la terreur à coup d’ordres irrationnels et paranoïaques, d’autres mettent en place des stratégies très construites sur la base de lois liberticides. Un enjeu majeur aujourd’hui est que ces prédateurs paient le prix le plus élevé possible pour la répression. Ne laissons pas leurs manières de faire devenir le “new normal”, la nouvelle normalité.
LES NOUVEAUX ENTRANTS
Parmi les nouveaux venus, le plus notable est sans doute le prince héritier saoudien Mohamed ben Salmane, 35 ans, qui concentre tous les pouvoirs et se trouve à la tête d’une monarchie ne tolérant aucun média libre. Il exerce une répression multiforme, faite d’espionnage, de menaces qui conduisent parfois à des enlèvements, des actes de torture, voire à l’inimaginable. Le terrible assassinat, en 2018, de l’éditorialiste Jamal Khashoggi a révélé un mode de prédation tout simplement barbare. Apparaissent également dans la liste pour la première fois, dans un genre très différent, le président brésilien Jair Bolsonaro, dont la rhétorique guerrière et ordurière à l’encontre de la presse s’est décuplée depuis le début de la crise sanitaire, ainsi qu’un chef de gouvernement européen, le Hongrois Viktor Orbán. Partisan autoproclamé de la « démocratie illibérale », il n’a eu de cesse, depuis son retour au pouvoir en 2010, de s’attaquer avec efficacité au pluralisme et à l’indépendance des médias.
LES PRÉDATRICES DE LA LIBERTÉ
C’est en Asie que l’on compte, pour la première fois, deux prédatrices, dont l’une, Carrie Lam, dirige un régime qui était encore démocratique quand elle est arrivée à sa tête. Cheffe de l’exécutif de la région administrative spéciale de Hong Kong depuis 2017, elle s’est révélée être une marionnette aux mains du président chinois XI Jinping, dont elle soutient aujourd’hui ouvertement les politiques liberticides contre la presse qui ont conduit à la disparition, le 24 juin dernier, du principal quotidien indépendant hongkongais Apple Daily et à l’emprisonnement de son fondateur, Jimmy Lai, lauréat en 2020 du Prix spécial de la liberté de la presse de RSF. L’autre prédatrice est Sheikh Hasina, qui dirige le Bangladesh depuis 2009. La fille du héros de l’indépendance a notamment fait passer, en 2018, une loi sur la sécurité numérique qui a entraîné des poursuites contre plus de 70 journalistes et blogueurs.
LES PRÉDATEURS HISTORIQUES
Certains prédateurs figurent dans cette sinistre liste établie par RSF depuis 20 ans. Le président syrien Bachar al-Assad et le guide de la révolution iranienne Ali Khamenei figuraient déjà dans la toute première liste de prédateurs – tout comme, dans la zone Europe de l’Est-Asie centrale (EEAC), les présidents russe Vladimir Poutine et biélorusse Alexandre Loukachenko, dont on connaît l’inventivité récente en matière de répression. En tout, 7 chefs d’Etat sur 37 étaient déjà qualifiés de prédateurs en 2001 par RSF. Trois d’entre eux sont originaires d’Afrique, qui est la zone géographique où des prédateurs sévissent depuis le plus longtemps : Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, 79 ans, règne sur la Guinée équatoriale depuis 1979 ; le président Issaias Afwerki, dont le pays, l’Érythrée, figure bon dernier dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2021, est au pouvoir depuis 1993 ; quant à Paul Kagamé, d’abord désigné vice-président du Rwanda en 1994 avant d’accéder à la fonction suprême en 2000, il sera en mesure de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2034.
Pour chacun des prédateurs, RSF a établi une fiche dévoilant “les méthodes de prédation”, qui détaille la façon dont la censure ou la répression est organisée, ainsi que “les cibles de prédilection”, qui précisent quel type de journalistes et de médias se trouvent dans leur collimateur. Des extraits de discours ou d’interviews des prédateurs “justifiant” la répression sont également cités, comme le positionnement des différents pays au Classement mondial de la liberté de la presse.
En 2020, RSF a publié une liste des « Prédateurs numériques de la liberté de la presse». Une liste des prédateurs non-étatiques sera publiée avant la fin de l’année.