Une décision de la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité d'une loi de 2009 sur les médias, ce qui signifie que le conglomérat de médias Grupo Clarín doit finalement se départir d'une portion de ses avoirs.
La constitutionnalité de la Loi sur les services de communication audiovisuelle, que le Congrès national a adoptée en 2000 mais qui n’est toujours pas entrée en vigueur, a été confirmée par la Cour suprême d’Argentine. Cette décision rendue récemment est le résultat d’un appel interjeté par le conglomérat indépendant de médias Grupo Clarín, et elle signifie que celui-ci doit finalement se départir d’une portion importante de ses avoirs dans le domaine des médias afin de se conformer à la réglementation incluse dans la loi et qui porte sur la concentration de la propriété des médias. La décision annoncée le 29 octobre 2013 met fin à une bataille judiciaire qui aura duré cinq ans entre le gouvernement fédéral et Clarín. Il y a presque un an, les tentatives d’appel de Clarin étaient bloquées par le ministère de la Justice.
Clarín a pu repousser tout retranchement de ses avoirs depuis 2009 grâce à une injonction qui a expiré au début de décembre 2012. N’eût été du plus récent appel de Clarín, la loi aurait pris effet pour le groupe l’an dernier, dit Reporters sans frontières (RSF). RSF dit soutenir les principes généraux de la loi et croit que « sa mise en œuvre constituera un important pas en avant en faveur du pluralisme en Argentine et dans la région », tout en mettant en garde que l’Agence fédérale des services de communication audiovisuelle (AFSCA), le nouvel organisme créé en vertu de la loi, doit fonctionner de manière indépendante du gouvernement si on veut apporter quelque amélioration que ce soit.
L’Article 45 de la Loi sur les services de communication audiovisuelle limite les entreprises, qui ne peuvent posséder que 24 permis d’exploitation de télévision par câble, plus 10 permis d’exploitation de radio ou de télévision à fréquence ouverte. Au dernier décompte, Clarín possédait 240 communicateurs sur la télévision par câble, 10 stations de radio et quatre chaînes de télévision, en plus du journal Clarín. L’appel de Clarín se fondait sur l’affirmation selon laquelle certains articles de la loi, notamment les articles 45 et 161 (qui prévoient la procédure de désinvestissement), nuiraient à la rentabilité de l’entreprise, mais la cour a décidé que Clarín n’avait pas fourni suffisamment de renseignements à l’appui de sa plainte.
Un article d’Eleonora Rabinovich, directrice adjointe de l’Asociación por los Derechos Civiles (ADC), indique que la cour a déterminé en outre que Clarín n’était pas parvenue à prouver que les articles litigieux violaient sa liberté d’expression. Cet argument reposait en partie sur le concept d’un droit collectif à la liberté d’expression, en faveur duquel l’État peut intervenir afin de garantir un environnement de pluralité et de couverture équilibrée. La préoccupation était qu’en imposant cette loi à Clarín, le gouvernement s’immiscerait dans sa capacité à présenter des informations et son droit à la libre expression.
La cour a également indiqué que tout environnement qui espère défendre la pluralité nécessite une politique transparente et non discriminatoire en ce qui concerne l’attribution des contrats de publicité officielle (gouvernementale). Cela est important parce que, comme le fait remarquer la Société interaméricaine de la presse (SIP), le gouvernement tente de pénaliser la presse indépendante et critique en accordant arbitrairement ces lucratifs contrats et en exerçant des pressions auprès des compagnies privées pour qu’elles « s’abstiennent de placer de la publicité dans les médias qui ne sont pas favorables au gouvernement » .
La lutte en cours entre le gouvernement et Clarín attire l’attention sur la question de la concentration de la propriété des médias, mais elle révèle aussi un certain biais de la part du gouvernement contre ce groupe de médias. Alors que la réduction de la concentration de la propriété des médias peut être une bonne chose pour la pluralité des médias et l’accès du public à des points de vue différents, quand cette réduction est défendue par un gouvernement dont les officiels, notamment la Présidente Kirchner, « sont vus lors de rassemblements officiels portant ballons, banderoles et affiches sur lesquelles on peut lire ‘Clarín miente’ (Clarín ment)« , on peut s’interroger sur les motifs derrière la décision de la loi sur les médias.
Ce jugement de la Cour suprême pourrait avoir été le plus fortement attendu dans la communauté des médias du pays, mais alors que les tensions entre le gouvernement et les médias indépendants demeurent, ce n’est pas la fin de l’histoire. Clarín a épuisé ses recours dans le pays, mais on entend dire dans certains milieux que le groupe envisage d’interjeter appel de cette affaire au niveau international.