Huit ans de prison et une amende de 327 000 $ US. C'est la peine qu'encourait l'étudiant en biologie Diego Gómez avant qu'il ne soit déclaré non coupable de l'infraction criminelle de violation du droit d'auteur.
Je commence ma carrière avec la conviction que l’accès à la connaissance est un droit universel.
Diego Gómez est un étudiant de la Colombie de troisième cycle en biologie. En 2011, pendant qu’il étudiait des reptiles et des amphibiens à l’Université de Quindío – et sans permission – il avait téléchargé le document de recherche d’un autre universitaire qu’il avait trouvé sur Internet sur le site Web Scribd. L’intention de Gómez était d’aider les autres collègues étudiants en mettant gratuitement à leur disposition un article utile. Cependant, lorsque l’auteur du papier l’a découvert, il a porté plainte. Gómez a été accusé d’avoir violé les « droits économiques et autres » de l’auteur, et est maintenant en procès. S’il est reconnu coupable, il risque des sanctions extrêmement sévères, dont une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à huit ans et une éventuelle amende de 327 mille $US.
Dans de nombreuses régions du monde, en particulier dans les pays en développement, les étudiants font face à des obstacles majeurs en ce qui concerne l’accès aux matériaux académiques. De nombreuses bibliothèques universitaires sont sous-financées, et le coût financier prohibitif pour obtenir l’autorisation d’accéder à des bases de données de recherches spécialisées signifie que les étudiants doivent trouver d’autres moyens pour lire les documents pertinents. Gómez est l’un de ces étudiants. Il a commencé – avec ses collègues dans son domaine – à partager en ligne des documents intéressants qu’ils trouvaient. Leur seul but était de s’entraider mutuellement: « L’important, c’est de faire une citation correcte », a-t-il déclaré en Juillet 2014, « en ne s’appropriant pas le travail d’un autre chercheur …. Ce que nous faisons, c’est de référencer les sources de nos trouvailles et de les rendre disponibles à ceux qui en ont besoin ».
Au cœur des difficultés de Gómez, il y a la législation extrêmement dure du droit d’auteur en Colombie (connu sous le nom el derecho de autor, ou « droits d’auteur »). En 2006, dans le cadre d’un ensemble de mesures visant à se conformer aux demandes américaines en vertu d’un accord de libre-échange, la Colombie a accepté de renforcer ses mesures de dissuasion en matière de violation de droit d’auteur en augmentant considérablement les sanctions pénales. Bien que l’objectif global fût de lutter contre le piratage à des fins commerciales, la loi est trop large et elle met dans la ligne de mire des individus qui n’ont jamais cherché à tirer profit financièrement du partage de l’information.
À certains égards, Gómez est victime d’une incapacité générale de la loi à suivre le rythme avec Internet. Alors que les États-Unis ont développé un système flexible d’utilisation équitable, la Colombie travaille toujours avec la dure législation conçue il y a plusieurs années. Carolina Botero de la Fundación Karisma, le groupe des droits numériques colombien qui soutient Gómez, la décrit comme:
« … Un recueil de lois imaginées il y a plusieurs décennies à l’ère de l’analogie et de peu de ressources, ne prenant en compte que la protection et la logique et du marché …. Des lois qui ne reconnaissent pas les mutations générées par Internet en tant qu’outil de création, de production et de distribution de contenu ».
Gómez étudie actuellement au Costa Rica. Son procès avait été fixé pour novembre 2014 mais a été annulé en raison de la grève en Colombie des travailleurs du système judiciaire. Une nouvelle date avait été fixée pour avril 2015 mais celle-ci a également été reportée. Deux audiences ont eu lieu en mai 2016 et une autre en août dernier.
La Fundación Karisma estime que la défense de Gómez est très forte. Premièrement, disent-elle, Gómez n’a pas agi avec une intention malveillante. Deuxièmement, il n’a tiré aucun gain monétaire de son action et l’auteur de l’article n’a subi aucun préjudice financier. A l’avantage de Gómez, il y a aussi une décision de 2008 de la Cour suprême colombienne disant que la violation du droit d’auteur ne peut être jugée au pénal que s’il y avait intention de profiter.
Le cas de Gómez a reçu le soutien de plusieurs organisations de défense des droits numériques. Outre la Fundación Karisma, il y a Electronic Frontier Foundation, Creative Commons, Internet Archive, Knowledge Ecology International, Open Access Button, Derechos Digitales, Open Coalition, Open Knowledge et la Coalition pour le droit à la recherche. Son cas a déclenché un grand débat sur la nature d’Internet, la recherche universitaire et l’accès libre.
D’une manière générale, le grandissant mouvement d’accès libre fait valoir que les progrès de la connaissance nécessite l’échange facile de matériel spécialisé. Pour cela, le mouvement exige que la recherche soit disponible en ligne gratuitement et qu’elle soit réutilisable au travers de l’utilisation des licences ouvertes.
Ce processus juridique a transformé Gómez d’un étudiant des amphibiens en un activiste de l’accès libre, comme il l’a dit dans une lettre publique d’octobre 2014:
« Sans aucun doute, c’est en étant confronté à des poursuites pénales pour le partage d’informations à des fins académiques et en étant ignorant de la rigueur de la loi sur les droits d’auteur que j’ai été encouragé dans mon engagement pour des initiatives favorisant l’accès libre et dans plus d’apprentissage sur ses principes éthiques, politiques et économiques. Je commence ma carrière avec la conviction que l’accès à la connaissance est un droit universel ».
Et pour Carolina Botero, avocat dans l’équipe du personnel à la Fundación Karisma, les droits humains sont le terrain sur lequel la bataille pour l’accès libre doit être menée:
« Il devrait être clair que les actions des utilisateurs, les activités à but non lucratif et le partage ne sont pas des crimes. Karisma fait valoir que la réglementation devrait être développée dans le cadre des droits garantis de base. Dans une société qui a une technologie à l’influence perturbatrice comme Internet, l’exercice des droits à l’éducation, l’accès à la science et à la culture, et la liberté d’expression doivent être respectée ».
MISE À JOUR : Depuis que ce profil a été publié pour la première fois, Gómez a été déclaré non coupable le 24 mai 2017 et un non lieu a été décidé pour des accusations portées contre lui. Alors que pour l’instant cela signifie qu’il peut se détendre, le procureur dans cette même affaire fait appel du verdict.