Samm Farai Monro, alias Camarade Fatso, réfléchit à la façon dont la satire, le hip hop et l'activisme des jeunes ouvrent la voie à l'expansion de la liberté d'expression et de la démocratie au Zimbabwe.
Il faut un certain degré de talent pour faire rire une salle pleine de journalistes sérieux et des défenseurs de la liberté de la presse lors d’une présentation sur la liberté d’expression au Zimbabwe. Ce pays de l’Afrique australe est l’un des pays les plus répressifs au monde, classé 128ème sur 180 pays dans l’Indice mondial 2017 de la liberté de la presse de Reporters sans frontière.
Mais l’artiste du hip hop et comédien Samm Farai Monro – également connu sous le nom de Camarade Fatso – a réussi à susciter des fous rires quand il a pris la parole à la conférence 2016 de Highway Africa à Grahamstown, en Afrique du Sud.
Pour être clair, les participants à la conférence – moi-même y compris – ne riaient pas de l’état d’esprit de la liberté d’expression au Zimbabwe.
Nous riions plutôt des façons originales par lesquelles Monro et son organisation – le Réseau Magamba – défient la censure, la corruption et les politiciens assoiffés de pouvoir au travers de la satire, le hip hop et d’autres formes d’art.
« Magamba » – un terme dans la langue locale Shona qui signifie « héros » ou « combattants de la liberté » – a été co-inventé par Monro et le modérateur du concours de récital de poemes des artistes dénommé Outspoken en 2007, lorsque le Zimbabwe vivait une hyperinflation, le niveau de vie s’était rapidement détérioré et les soutiens du parti au pouvoir le ZANU-PF était en train de diminuer sensiblement.
Monro et ses collègues y ont vu une opportunité pour les jeunes de s’impliquer dans le changement et ont décidé que la mission du Réseau Magamba sera « d’utiliser des formes originales d’activisme des jeunes pour étendre l’espace démocratique au Zimbabwe ».
Cette quête n’est pas une mince affaire. Sous le règne du président Robert Mugabe âgé de 93 ans – qui est au pouvoir depuis plus de 37 ans – des journalistes et des militants ont été détenus, tués, portés disparus et torturés simplement pour avoir partagé des informations ou avoir critiqué pacifiquement le gouvernement.
Mais Monro et ses collègues ont courageusement préparé la voie pour les générations futures afin de fonder un pays où ils peuvent s’exprimer. Les différents projets du Réseau Magamba incluent le Festival annuel Shoko – « un espace dynamique de liberté d’expression, de culture urbaine de pointe et de bons moments! », B. the Media, qui forme et donne le pouvoir d’agir aux jeunes journalistes citoyens, Moto Republik, un espace de travail en groupe où des jeunes créatifs « peuvent se rencontrer, collaborer et rêver grand », et Magamba TV, qui produit une satire politique de pointe.
Magamba a reçu une couverture internationale pour son travail novateur de terrain – y compris une mention particulière pour son spectacle satirique, Zambezi News dans le journal The Guardian et un court documentaire sur Channel 4 intitulé « Standing up to Mugabe (Résister à Mugabe)».
Je me suis récemment entretenu avec Monro au sujet de l’approche originale de Magamba à l’égard de l’activisme, des défis auxquels il est confronté et des projets passionnants à venir.
Pourquoi Magamba utilise-t-il la satire et la musique comme moyen de promouvoir la discussion et d’encourager la liberté d’expression?
Il s’agit d’utiliser des formes d’activisme qui parlent aux jeunes gens avec leur langage. C’est pourquoi nous avons commencé à faire beaucoup de hip hop et de récital de poèmes, et d’organiser des événements hip hop souterrains. De là, nous nous sommes lancés dans la satire, la comédie, les nouveaux médias et l’innovation – en utilisant simplement de nombreuses formes d’activisme qui s’adressent aux jeunes gens qui peuvent les inspirer et les motiver à faire partie du changement de leur pays.
Comment le paysage de la libre expression au Zimbabwe a-t-il changé depuis la création du Réseau Magamba?
Je pense que Magamba a été un acteur clé dans l’expansion de l’espace pour la libre expression au Zimbabwe, et l’incitation des jeunes gens à croire qu’ils peuvent dire ce qu’ils pensent. Lorsque nous avons commencé avec Zambezi News en 2011, il n’y avait pas de satire politique dont on pouvait parler, mais nous avons été des pionniers.
Maintenant, il y a une prolifération de jeunes gens qui sortent des contenus critiques et produisent des émissions télévisées en ligne qui traitent des problèmes sociaux et politiques. Beaucoup d’entre eux tirent leur inspiration de Zambezi News pour leur avoir fait prendre conscience qu’ils pouvaient dire la vérité au pouvoir. Par le biais d’autres initiatives telle que Kalabash, et beaucoup de nos réalisations dans le journalisme citoyen, nous avons élargi l’espace pour l’expression en ligne, formé de nouveaux blogueurs, soutenu de jeunes et nouveaux médias qui débutaient.
Le Festival Shoko – que nous avons également lancé en 2011 – a évolué au point de devenir l’un des plus grands festivals du pays et un espace incontournable pour les arts et la culture de pointe aussi bien qu’un lieu d’expression très libre.
Moto Republik – Le nouvel espace de travail en groupe de Magamba pour les jeunes créatifs – a été presque détruit récemment par la ville de Harare. Pourquoi cela est-il arrivé, et comment votre communauté a-t-elle réagi?
Nous ne sommes pas sûrs de l’origine de toute la tentative de démolition de Moto Republik. De notre côté, nous avions nos plans en ordre – nous avions approuvé des plans du conseil et nous avions payé les frais de régularisation. Donc, pour nous, cela n’a aucune explication.
Moto Republik est le premier centre créatif en Afrique australe et c’est vraiment un espace incroyable de liberté d’expression. C’est un espace de travail en groupe pour les jeunes créateurs, les militants, les journalistes citoyens, les blogueurs, les concepteurs, les jeunes militants, etc.
C’était vraiment inquiétant de connaitre cette attaque sur un tel espace, qui est tellement essentiel pour générer de nouvelles idées afin de faire progresser notre pays. Mais je pense que la chose la plus formidable fut la réaction de notre communauté et la manière dont nous avons résisté à la démolition. Nous avons lancé une vaste campagne sur les médias sociaux pour mettre la pression sur les politiciens, nous avons aussi lancé une grande pétition et mis beaucoup de pression sur le conseil et le gouvernement au point qu’ils ont dû reculer et parvenir à un compromis avec nous.
Quels genres de critiques Magamba reçoit-il?
Le gouvernement et les sympathisants du parti au pouvoir Zanu-PF nous lancent toutes sortes de critiques pour saper ce que nous faisons. Alors, bien sûr, ils disent que « nous sommes parrainés par l’Occident, financés par l’impérialisme ».
Ils nous balancent beaucoup d’insultes typiques anti-opposition.
Parfois, vous avez des partisans de ZANU-PF qui se demandent pourquoi un blanc est impliqué dans la politique zimbabwéenne. Mais à la fin de la journée – nous sommes une organisation très mixte au Réseau Magamba – il s’agit d’obtenir que les jeunes gens soient impliqués au-delà des limites de race et de classe afin d’être partie intégrante du changement et d’un nouveau Zimbabwe. Et nous ne pouvons le faire que si nous travaillons et nous battons tous ensemble.
Nous nous faisons souvent taper par le gouvernement et l’Etat. Nous avons reçu des menaces, la police nous a harcelés, nous avons beaucoup de nos contenus sur une liste noire. L’année dernière pendant le Festival Shoko, la police a menacé de nous arrêter à cause du contenu politique que nous étions en train de présenter. Ils nous avaient harcelés auparavant lorsque nous avons lancé de nouvelles saisons de Zambezi News. Mais cela montre justement l’impact que nous avons. Et le fait est que – tant mieux! – s’ils veulent bloquer le lancement de Zambezi News, cela signifie que même la police regarde notre émission.
Vous êtes-vous déjà sentis en danger?
Nous sommes restés relativement en sécurité. Nous disons toujours que « nous nous cachons dans un site simple ». Nous ne cachons rien de ce que nous faisons. Nous produisons des spectacles de satire politique, nous nous en prenons au gouvernement. Mais je pense aussi que, dans une certaine mesure, nous avons accumulé une très grande présence et une réputation au Zimbabwe de sorte que si nous disparaissons ou sommes arrêtés, il y aurait un mécontentement général.
Evidemment, comme je l’ai dit, on a déjà été menacé d’arrestation par le passé. J’ai déjà été arrêté pour mon activisme. Nous avons été harcelés par la police. Nous avons notre contenu bloqué par toute radio ou TV entièrement contrôlée par l’état. Mais je pense que vous voyez également le genre de désagrément public qui s’en suit. Comme quand, par exemple, ils ont essayé de démolir Moto Republik, et il y avait juste ce grand désagrément public et une énorme campagne sur les médias sociaux qui les a fait réfléchir par deux fois.
Comment Magamba fait-il le lien entre la liberté d’expression et d’autres droits humains?
Je pense qu’une des manières est juste d’amplifier auprès des jeunes gens combien la liberté d’expression est importante en elle-même. Et être capable de s’exprimer soi-même librement. Nous le faisons – je veux dire, nous l’incarnons en quelque sorte – dans notre hip-hop, dans notre récital de poèmes, dans notre satire, dans notre comédie engagée. C’est la liberté d’expression pure, sans censure, sans édulcoration, montrant ainsi aux jeunes ce que c’est de dire la vérité au pouvoir; de dire ce qu’on a à l’esprit; fondamentalement, ce qu’est et devrait être une société libre.
Mais, bien entendu, à travers cette liberté d’expression, nous abordons tant d’autres luttes politiques et questions de droits humains dans notre pays. Nous abordons tout, de la lutte contre le sexisme à la lutte contre la corruption en passant par les élections frauduleuses et le droit de grève.
Comment les Zimbabwéens ont-ils accès aux messages de Magamba?
Le Zimbabwe a plus de 100% de densité de téléphone mobile. Fondamentalement, tout le monde a un téléphone portable. Et ainsi nous sommes en mesure d’atteindre de plus en plus de personnes grâce à l’Internet haut débit mobile qui est assez répandu au Zimbabwe.
Nous partageons nos clips et vidéos sur YouTube, mais surtout sur Facebook, parce que c’est la plus grande plate-forme de partage de vidéos au Zimbabwe – il y a environ 1 million de Zimbabwéens sur Facebook.
WhatsApp est également un moyen vraiment indispensable de partager des informations. De toute la capacité de données utilisée au Zimbabwe, 80% sont utilisés pour WhatsApp. Nous nous assurons de réutiliser les clips et de les partager sur WhatsApp, afin qu’ils soient viraux là-bas.
Pour Zambezi News, Saisons 1-3, nous les avons fait diffusées en Afrique australe et au Zimbabwe sur la télévision par satellite.
Quelques années auparavant, nous distribuions des dizaines de milliers de DVD, mais maintenant les médias sociaux sont très répandus.
Qu’est-ce que Magamba a en réserve pour 2017?
Nous travaillons beaucoup en vue des élections présidentielles de 2018. Nous travaillons avec de nombreuses organisations variées de jeunesse, de mouvements sociaux et de la société civile pour motiver les jeunes gens à s’inscrire pour voter et à défendre leur vote lors des prochaines élections.
Une autre chose que nous faisons en 2017, c’est de se développer sur le continent africain. Il y a beaucoup de prototypes et de projets créatifs différents que nous faisons au Zimbabwe qui ont réussi et qui s’exportent maintenant en Afrique de l’Est.
Quelques conseils pour les autres collègues militants de la liberté d’expression?
Si vous vous battez pour la liberté d’expression, soyez créatif. Et soyez novateur. Et, bien sûr, cherchez des exemples globaux intéressants qui peuvent fonctionner. Mais vous devez tenir compte du contexte local. Si vous êtes axé sur les jeunes de votre pays, alors assurez-vous que votre activisme soit actuel, original, pertinent, et crédible dans la rue. Assurez-vous que c’est organique, qu’il est participatif et implique tout le monde.
En savoir plus sur le Réseau Magamba en visitant son site Web, en le suivant sur Twitter et en cliquant « j’aime » sur Facebook.
Samm Farai Monro, alias Camarade Fatso, parlant lors d’un événement à Berlin, en AllemagneSamm Farai Monro
… dans notre hip-hop, dans notre récital de poèmes, dans notre satire, dans notre comédie engagée. C’est une liberté d’expression pure, sans censure, sans édulcoration, montrant ainsi aux jeunes ce que c’est de dire la vérité au pouvoir…