Le caricaturiste indien Aseem Trivedi sait ce que ça veut dire être censuré, être accusé de sédition, un cas d'insulte et la suspension de son site web pour ses commentaires politiques.
Commentant une caricature et son activisme dans un article du 10 juin 2015, le caricaturiste politique indien Aseem Trivedi a dit: Une caricature fait toujours dans l'exagération. Celle-ci qui rend la caricature puissante puisqu'elle donne plus de force pour plaider et possède également la possibilité d'offenser l'autre partie aussi!
Choqué d’apprendre que le blogueur Arabe saoudien Raif Badawi avait été condamné à une peine de mille coups de fouet, le caricaturiste politique indien Aseem Trivedi a fait ce qu’il fait le mieux: il a pris sa plume et a commencé à dessiner son désapprobation et à appeler à la libération de Badawi.
Trivedi sait ce que ça veut dire être censuré. Il avait été un phare dans le Mouvement indien de lutte contre la corruption, une campagne démarrée en 2010 avec la divulgation de deux grands scandales de corruption: l’un lié aux Jeux du Commonwealth organisés à New Delhi en 2010 et l’autre à l’octroi de licences d’exploitation de téléphonie mobile. Des millions de personnes ont été mobilisées à travers des médias sociaux et des pétitions en ligne, y compris le site web I Paid a Bribe (J’ai payé des pots de vin) qui donne aux citoyens un endroit pour enregistrer leurs propres expériences d’avoir à payer des pots de vin, à qui et pour quelles raisons. En février 2016, ce site web a enregistré plus de 72.000 rapports de paiements des pots de vin totalisant des dizaines de millions de roupies.
Trivedi, un caricaturiste populaire, a contribué à la campagne avec ses séries de dessins contre la corruption. Ses images percutantes comprenaient le parlement indien présenté comme une toilette purulente et l’emblème national du pays avec ses trois lions remplacés par trois loups aux crocs sanglants. Ces images ont été exhibées par les manifestants anti-corruption au cours de leurs manifestations. En décembre 2011, le site web de Trivedi a été suspendu en vertu d’une loi controversée récemment adoptée – IT Rules 211 (Règlements 211 sur les Technologies de l’Information) – qui contraint les entreprises d’Internet de retirer le contenu d’un site web sur ordre du gouvernement. Le site de Trivedi a été visé pour avoir publié des images qui insultent le drapeau indien et l’emblème national.
Puis, en janvier 2012, un mandat d’arrêt a été lancé contre Trivedi et, en septembre, il s’est rendu lui-même à la police. En vertu du code pénal, il a été accusé de sédition, et aussi d’autres infractions en vertu de la loi sur les Technologies de l’Information et de celle sur l’emblème national indien qui protège les symboles nationaux de l’insulte. Trois jours plus tard, il a été libéré sous caution. En octobre 2012, les accusations de sédition ont été retirées, mais le cas de l’insulte demeure et il fait toujours face à un maximum de trois ans de prison en cas de condamnation.
Pendant ce temps, Trivedi s’en est pris aux Règlements 211 sur les TI avec sa campagne intitulée « Sauve ta voix » hébergée sur Facebook. En mai 2012, Trivedi et le journaliste Alok Dixit, ont entamé une grève de la faim pour que la loi soit abrogée, une manifestation qui a pris fin lorsque leur état de santé s’était détérioré à tel point qu’ils ont dû être hospitalisés.
Une indication de l’esprit de Trivedi est sa décision, en octobre 2012, d’entrer comme un concurrent à l’émission de télé-réalité, Bigg Boss alors même que son cas était encore sous examen à la Haute Cour de Bombay. Plus tard, il a déclaré au Times of India qu’il avait agi ainsi pour soulever la question de la corruption en Inde à un public plus large, mais, plus tard, il l’a regretté lorsque ses commentaires politiques ont été expurgés des médias.
En mai 2012, il a reçu le prix International du Courage décerné par Cartoonists Rights Network.
Toutefois, pour un certain temps, Trivedi a mis de côté la caricature, mais, indigné par le blocage, par la police de Mumbai, de messages de médias sociaux aux lendemains des attaques de Charlie Hebdo en janvier 2015, et par l’arrestation d’un éditeur pour avoir reproduit une caricature de Charlie Hebdo, il a créé sa propre satire dessinée mettant en vedette un artiste dans une conversation avec le Prophète Mohamed. Il a continué à produire un magazine en ligne mettant en exergue des blogueurs, des artistes et d’autres personnes du monde entier qui sont ciblées pour leur travail.
Le premier numéro du magazine a mis en vedette une série d’images intitulée Une caricature contre tout coup de fouet dédiée à l’écrivain Saoudien Raif Badawi, emprisonné en 2012 pour insulte à l’islam. Condamné à une série de 1.000 coups de fouet – les 50 premiers ont été infligés en janvier 2015 – son cas a provoqué l’indignation dans le monde entier. Lorsque Trivedi a entendu parler de cela, il a contacté la femme de Badawi et lui a parlé de son projet de création d’une caricature pour chaque coup de fouet que son mari a reçu. Il est également entrain de dessiner pour le militant du Bahreïn, Hussain Jawad. Dans une interview de novembre 2015, Trivedi a expliqué qu’il avait eu « un large soutien du monde des arts et des militants. Alors … je fais mon devoir et aussi je paye ma dette envers le monde des militants ».
En décembre 2019, Trivedi a organisé Free Speech Talk, une plateforme où les participants peuvent discuter de sujets censurés. Ses deux premiers événements ont attiré de nombreuses personnalités à Delhi et à Mumbai qui ont parlé de la controversée loi d’amendement de la citoyenneté (Citizenship Amendment Act) et du Registre national des citoyens (National Register of Citizens), que le gouvernement a mis en œuvre alors que les critiques de plus en plus nombreuses disaient que ces mesures légitimaient la discrimination contre les musulmans et les autres minorités ethniques.
Malgré une ordonnance du tribunal de 2015 rejetant les accusations de sédition portées contre lui, Trivedi a continué d’être stigmatisé comme un « séditionniste ». En 2021, il s’est joint à plusieurs groupes et individus pour remettre en question la constitutionnalité de la loi sur la sédition devant la Cour suprême. En 2022, le tribunal a suspendu l’application de la loi et le gouvernement a reçu l’ordre de ne pas enregistrer de nouveaux cas de sédition. Dans une interview accordée à un média, Trivedi a souligné la nécessité d’abroger la loi. « Tant que des lois draconiennes comme l’article 124A seront en vigueur, il y aura peu de place pour une critique ou une dissidence saine, que ce soit par des mots, des écrits ou le parlé, ou par une représentation visuelle. »
Illustration de Florian Nicolle