C'est l'histoire de l'homme qui a poussé Wikipedia, Mozilla, Creative Commons et des milliers d'activistes du monde entier de se regrouper derrière le cri de ralliement: #WhereIsBassel?
La Syrie a l'un des scores les plus faibles dans le monde en ce qui concerne la liberté sur Internet. Ce fut pourtant dans ces circonstances que Bassel Khartabil a eu le courage de rêver d'une réalité différente. Bassel lui-même se définissait sur la scène mondiale comme un ardent défenseur de la liberté du savoir dans le monde arabe, en poussant pour une plus grande inclusion, la traduction et l'échange des idées.
Depuis son installation en 2000, l’Internet en Syrie a été soumis à un contrôle exceptionnellement serré par le régime autoritaire de Bachar al-Assad. Jusqu’au début de l’année 2012, lorsque le pays a commencé sa descente aux enfers avec un conflit armé brutal, le marché des télécommunications en Syrie était non seulement le plus contrôlé du Moyen-Orient mais aussi parmi les moins avancés.
Pleinement conscient de la nature périlleuse de la lutte à laquelle il consacrait sa vie, Bassel Khartabil, un développeur de logiciels libres d’accès d’origine palestinienne-syrienne, se mit à réaliser son rêve d’un Internet libre et accessible à tous. Il le faisait sur un air de défi, sous l’œil vigilant d’un régime syrien hostile à tout support médiatique qu’il ne pouvait pas contrôler.
Parmi les nombreuses contributions de Khartabil au mouvement de libre accès, il y a la création du premier espace de pirate en ligne de Syrie (hackerspace) dénommé Aiki Lab, une technologie de collaboration et un espace d’art basé à Damas qui permet le libre échange des idées et des opinions. Son implication dans Creative Commons a aidé des écrivains, des artistes et d’autres à travers le monde arabe de partager librement en ligne leurs travaux et de bénéficier de ceux des autres. Pour Wikipedia, il a contribué, modifié et traduit des articles en anglais et en arabe et il a rédigé, pour Mozilla, le code qui a permis à son navigateur Firefox de fonctionner en arabe.
Aujourd’hui, il reste un énorme écart entre le nombre de locuteur de l’arabe et la quantité de contenu disponible pour eux en ligne. Bassel Khartabil s’était consacré à réduire la taille de cet écart mais, le 15 mars 2012, quelques jours seulement avant qu’il n’épouse l’avocate syrienne des droits de l’homme Noura Ghazi, il a été interpellé dans le cadre d’une vague d’arrestations à Damas et jetés dans la tristement célèbre prison d’Adra. Cette même année, le magazine Foreign Policy l’a nommé comme l’un des 100 meilleurs penseurs du monde, et plus tard en 2013, Khartabil et Ghazi se sont mariés en prison.
En ce moment-là, le soulèvement syrien était bel et bien en voie de devenir une véritable guerre. Au cours des deux années qui ont suivi, cette guerre va dévaster les infrastructures de télécommunications de la Syrie et déconnecter complètement les deux tiers du pays des fournisseurs de services Internet.
En rétrospective, la plus grande contribution de Khartabil à ses compatriotes Syriens et au monde en général peut avoir été un projet qu’il envisageait déjà il y a onze ans: la reconstruction virtuelle de la ville historique de Palmyre. Aujourd’hui, réaliser ce projet a pris une nouvelle importance depuis que la ville a été prise par Daesh et détruite en grande partie. Sur la base de photos du site qu’il avait prises en 2005, un groupe d’activistes en ligne a décidé de le réaliser. Jusqu’au début du mois d’octobre 2015, Khartabil était encore en mesure d’offrir, à partir de la prison d’Adra, son expertise et sa large vision de ce que le groupe avait surnommé le Projet du Nouveau Palmyre. Mais le 3 octobre 2015, il a disparu sans explication. Son nom a été retiré du registre des pensionnaires de la prison, et personne ne voulait pas divulguer à sa femme troublée où elle pouvait le trouver.
Peu après, l’immense communauté de l’Internet, y compris les fondateurs de Wikipedia, Mozilla et Creative Commons, se sont regroupés pour mener une campagne agressive pour la libération de Khartabil. Le 19 mars 2016, ils ont organisé une manifestation mondiale à Londres, Paris, Berlin, San Francisco, Boston, et la Sicile. demandant à savoir #WhereIsBassel? (#OùestBassel)?
Le 1er août 2017, près de deux ans après sa disparition, des informations selon lesquelles Khartabil avait été exécuté peu après sa disparition en 2015 ont été confirmées par son épouse. Ces dernières années, le travail de Khartabil continue de résonner dans la communauté militante et en ligne de la région. Wikipédia a créé une bourse pour honorer ses contributions et faire vivre l’œuvre de sa vie. Il a également été présenté comme l’un des sujets du film documentaire « Ayouni » qui fait la lumière sur les disparitions forcées en Syrie.
Illustration de Florian Nicolle