Carmen Aristegui est une journaliste d'investigation de radio-télévision qui a participé à la fondation de Mexicoleaks, une plate-forme qui a pour objectif de mettre en relation les informateurs et les organes de presse. Sa position courageuse contre la corruption et sa détermination (obstinée) à servir la société mexicaine n'a cessé de mettre sa carrière en péril.
Le 13 mars 2015, pendant ce qui s'avèrera être sa dernière émission sur MVS, Carmen Aristegui s'exprima sur le climat actuel de la presse au Mexique et déclara : Il n'est plus l'heure de se rendre. Il n'est plus l'heure d'accepter les retours en arrière. Il n'est plus l'heure de faire marche arrière pour la société mexicaine qui a pris son temps pour faire de la place à la liberté d'expression, aux débats de société, à la présence sociale, à la sensibilisation et aux droits fondamentaux.
Carmen Aristegui est née le 18 janvier 1964 à Mexico et a étudié les sciences de la communication à l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM). Elle est connue pour ses enquêtes sur la corruption et sur des affaires impliquant des officiels haut-placés au Mexique, attirant l’attention du public sur certains des agissements les plus douteux de ses représentants élus. Aristegui présente un programme en semaine sur CNN México qui couvre régulièrement des sujets politiques brûlants tels que la disparition et le meurtre présumé de 43 étudiants en pédagogie à Ayotzinapa en septembre 2014. En novembre 2014, c’est son équipe d’envoyés spéciaux de Primer Emision MVS qui avait révélé que la première dame du Mexique avait acheté une villa à un fournisseur du gouvernement soulevant ainsi les problèmes de conflit d’intérêts au sein de l’administration du Président Enrique Peña Nieto. Elle a aussi participé à la création du site internet lanceur d’alerte Mexicoleaks, au début du mois de mars 2015.
Cinq jours après le lancement du site le 10 mars, Aristegui était congédiée de MVS Radio 102.5 FM à Mexico, après avoir lutté pour réintégrer des collègues licenciés de manière controversée. En février, l’émission avait été classée comme étant le troisième talk-show d’information le plus écouté dans le pays. Le jour suivant son licenciement, des manifestations ont eu lieu dans la ville de Mexico et le 23 mars le hashtag #MexicoWantsAristeguiBack (Le Mexique exige le retour d’Aristegui) était utilisé plus de 130 000 fois. Des célébrités mexicaines ont même réagi en produisant une vidéo expliquant pourquoi Aristegui devrait être de retour sur les ondes. Elle avait été précédemment congédiée de MVS en 2011 après avoir appelé le président Felipe Calderón à répondre aux rumeurs selon lesquelles il avait un problème d’alcoolisme. À l’époque, MVS avait reconnu que des pressions politiques avait joué un rôle dans leur décision. En avril 2015, un juge fédéral a ordonné à MVS de rencontrer Aristegui pour la reprise de son programme radiophonique. En juillet, un tribunal a rejeté la demande de protection requise par Aristegui, mettant fin à sa bataille judiciaire pour récupérer son emploi.
Mais la bataille juridique ne s’est pas arrêtée là, alors que le président de MVS, Joaquín Vargas, a intenté une action en justice contre Aristegui, alléguant que son honneur avait été souillé dans son livre La maison Blanche de Peña Nieto (Peña Nieto’s White House).
Malgré les affrontements, les menaces et les poursuites judiciaires, Aristegui a continué d’être très impliquée dans les enquêtes sur la corruption au Mexique, en plus d’écrire pour plusieurs médias et d’animer sa propre plate-forme d’information, Aristegui Noticias.
Bien plus, le 21 août 2016, elle a publié une enquête intitulée Peña Nieto, du plagiat à la présidence, dans laquelle elle a révélé que près de 30 % du contenu de la thèse de droit du président étaient tirés d’autres textes sans citer les sources.
Aristegui a reçu nombre de prix et de reconnaissance pour son travail. Parmi les plus récents figurent l’édition 2015 du Prix du journalisme Gabriel García Márquez et l’Ordre du mérite de la République fédérale d’Allemagne. En 2016, elle a reçu le prestigieux Prix international Knight du journalisme.
En 2017, elle a été désignée comme l’un des 50 « plus grands leaders du monde » par le magazine Fortune, selon lequel «[s] i le quatrième pouvoir est assiégé dans le monde entier, Aristegui constitue un pilier immuable.»
En 2019, le documentaire Radio Silence a été lancé. Il raconte sa longue lutte contre la censure. La description du film par Human Rights Watch déclare:
« Pour des millions de personnes au Mexique, la journaliste incorruptible et présentatrice de nouvelles Carmen Aristegui est considérée comme la voix alternative crédible face au discours officiel du gouvernement. Elle lutte quotidiennement contre la désinformation délibérée propagée par le canal des sources d’information, la corruption gouvernementale et le trafic de drogue qui y est associé. Lorsqu’elle est licenciée par une station de radio en 2015 après avoir révélé un scandale impliquant le président de l’époque Enrique Peña Nieto, Carmen – avec ses collègues journalistes dévoués – décide de créer une plateforme d’information distincte. Confrontés à des menaces de violence à la suite du meurtre brutal d’un journaliste de renom, ils doivent surmonter la peur pour leur bien-être personnel pour continuer le combat commun pour la démocratie et la justice.
« La peur ne doit pas nous vaincre. Nous ne devons pas laisser place au silence et permettre à cette situation de terroriser les journalistes. » – Carmen Aristegui, Radio Silence
En 2020, Aristegui a rendu compte de l’utilisation des ressources publiques par le directeur de Notimex (l’agence de presse de l’État), nommé par le président López Obrador, pour s’attaquer aux journalistes. Pour ses reportages, elle a subi une série de menaces et d’attaques en ligne et de critiques de la part des partisans d’Obrador. Selon le Washington Post, « la critique n’a jamais porté sur la véracité de son travail. (…) Il s’agit d’attaquer le messager. Le Mexique est déjà le pays le plus dangereux du continent pour les journalistes. Beaucoup de journalistes régionaux ont été plus tués ici que dans tout autre endroit de l’hémisphère occidental. À cette situation alarmante, nous ajoutons les campagnes numériques sophistiquées pour discréditer leur travail, ce qui met également leur vie en danger. »
Aristegui Noticias reste l’une des sources d’information les plus populaires et les plus fiables au Mexique, selon le Digital News Report du Reuters Institute de l’Université d’Oxford.
Illustration de Florian Nicolle