Nisha Ayub a consacré sa vie à la lutte pour les droits des personnes transgenres dans son pays, en exigeant l'abolition des lois discriminatoires et la mise en place des organisations qui travailleraient avec des groupes marginalisés.
« Vous pouvez me couper les cheveux, me déshabiller, me priver de ma dignité ou même me tuer, mais vous ne pouvez pas m'enlever mon identité de transgenre ».
Première femme transgenre à recevoir le prix international des femmes courageuses décerné par le secrétaire d’état américain, Nisha Ayub a été façonnée par ses expériences acquises en Malaisie où elle a grandi et où les personnes transgenres sont victimes de discrimination instituée par la loi. Nisha a consacré sa vie à lutter pour les droits des personnes transgenres dans son pays, en exigeant l’abolition des lois discriminatoires et la mise en place des organisations qui travailleraient avec des groupes marginalisés – en particulier les personnes transgenres et d’autres communautés LGBTQI+.
Nisha a grandi à Malacca, en Malaisie. Très tôt, elle a fait face à la discrimination, à la maison et à l’école, alors qu’elle n’était qu’un enfant explorant encore son identité sexuelle. À 21 ans, les autorités religieuses l’ont arrêtée et condamnée à trois mois d’enfermement dans une prison réservée aux hommes pour violation du code d’habillement. En prison, elle a été abusée et humiliée sexuellement par le gardien et plusieurs prisonniers. Ces expériences traumatisantes de discrimination et de persécution ont façonné sa détermination à lutter contre l’injustice et l’ont orientée vers l’activisme et la défense des droits humains.
Outre le fait d’être le fer de lance de l’activisme sur les questions des transgenres en Malaisie, Nisha a également fondé deux ONG importantes : SEED Foundation (la Fondation SEED) et Justice for Sisters (Justice pour les Sœurs). Les deux organisations travaillent pour l’abrogation en Malaisie des lois discriminatoires contre les personnes transgenres et pour la mise en place des services de soutien aux transgenres, aux travailleurs du sexe et aux personnes vivant avec le VIH.
En 2014, Justice for Sisters a remporté une bataille juridique importante lorsque la Cour d’appel leur a donné raison dans leur défi contre une loi de la charia ciblant les personnes transgenres. La loi en question était l’article 66 du code pénale de 1992 dit Negeri Sembilan Syariah qui interdisait à tout musulman de sexe masculin de porter une tenue vestimentaire propre aux femmes et d’apparaître comme une femme.
La Cour d’appel a déclaré nulle cette loi, eu égard au fait qu’elle violait les dispositions constitutionnelles qui garantissent la liberté individuelle, l’égalité, la liberté de mouvement et liberté d’expression. Cette décision de la Cour a été considérée comme un tournant décisif pour les droits des transgenres en Malaisie.
Cependant, dans un revirement majeur juste un an plus tard, une cour fédérale a infirmé cette décision. Nisha ainsi que d’autres activistes LGBTQI+ continuent de plaider en faveur de l’abolition de ces lois discriminatoires qui violent les engagements internationaux de la Malaisie en matière des droits humains.
La Malaisie demeure l’un des 74 pays à travers le monde qui pénalise les relations des personnes de même sexe. Dans un rapport de 2014, Human Rights Watch a appelé la Malaisie l’un des pires pays pour une personne transgenre en raison de l’ostracisme social, la discrimination, les abus sexuels et le harcèlement que subissent régulièrement les personnes transgenres.
La lutte et les contributions de Nisha ont été reconnues à l’échelle nationale et internationale, y compris par plusieurs prix des droits humains. En mars 2016, Nisha a reçu le Prix international des femmes de courage du secrétaire d’état américain qui reconnaît « Les femmes qui ont fait preuve d’un courage et d’un leadership exceptionnel dans leur plaidoyer pour la paix, la justice, les droits humains, l’égalité des sexes … ». Elle est la première femme transgenre à recevoir ce prix.
En remettant le prix à Nisha, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a déclaré: « Nisha Ayub, pour votre travail extraordinaire pour promouvoir des sociétés plus justes, équitables et tolérantes nonobstant l’orientation sexuelle et l’identité de genre, nous vous honorons en tant que femme de courage ».
En 2015, Nisha a reçu le prix Alison Des Forges de Human Rights Watch (HRW) pour son activisme hors du commun. Parlant de son engagement et de sa contribution à l’activisme pour les droits humains, Boris Dittrich de HRW a déclaré: « Nisha Ayub a été victime de violations graves des droits humains par les autorités Malaisiennes. Au lieu de se découragés et d’être craintive, elle a décidé de devenir une défenseure des droits humains. Inlassablement, elle défend, d’une manière positive et respectueuse, les droits des personnes transgenres, inspirant ainsi les autres à suivre son exemple.
Le succès de Nisha dans sa quête d’attirer l’attention nécessaire à la situation des personnes transgenres en Malaisie lui a également valu l’animosité des détracteurs. En 2015, Nisha a été agressée dans la rue par des inconnus. Une attaque qu’elle qualifie de représailles pour son travail. Cependant, elle reste ferme dans son engagement à lutter pour les droits de la communauté transgenre en Malaisie.
Les espoirs et les vœux de Nisha sont assez claires: « Mon espoir pour la communauté LGBT en Malaisie est fondamentalement que le gouvernement puisse reconnaître, accepter et admettre que nous faisons partie intégrante de la société ».
« Et en même temps, j’espère que nous serons protégés au même titre que tous les autres citoyens. En tant que femme transgenre, la seule chose que nous demandons est notre droit à l’éducation, à l’emploi et à tous les autres avantages reconnus à tous les citoyens », a ajouté l’activiste musulmane.
Le 6 avril 2016, louant ses contributions aux droits des transgenres, la ville de San Diego a proclamé le 5 Avril, date de son anniversaire, la journée pour Nisha Ayub. L’intégrité et la vitalité de Nisha ainsi que son engagement indéfectible pour les droits humains sont une inspiration pour tous.
En 2018, l’écologiste marine malaisienne Leena Wong de l’Université Putra Malaysia a découvert une nouvelle limace de mer qui se cache comme une algue. Elle l’a nommé Sacoproteus nishae (S. nishae) en l’honneur de Nisha. Cette dernière a déclaré que cet honneur de la communauté scientifique est une reconnaissance de son travail. « La première chose qui m’est venue à l’esprit est de savoir comment nous, la communauté transgenre, avons fait de notre mieux pour faire partie de la société », a-t-elle déclaré dans une interview à Malay Mail.
En novembre 2019, Nisha a annoncé qu’elle travaillait avec la Commission des droits de l’homme de Malaisie (Suhakam) sur un rapport sur la discrimination à l’égard des personnes transgenres dans le pays. Elle a noté avec inquiétude que 19 personnes transgenres avaient été assassinées en Malaisie depuis 2007.
Nisha était la seule Malaisienne reprise sur la liste 2019 de BBC des 100 femmes les plus inspirantes et les plus influentes. La chaîne de radiotélévision britannique l’a décrite comme une « défenseure infatigable des droits des personnes transgenres en Malaisie, co-fondatrice de Seed, la toute première organisation du pays dirigée par une trans et qui a créé « T-Home », laquelle aborde la question du manque d’abris pour les femmes âgées transgenre qui se retrouvent sans soutien familial. »
Illustration de Florian Nicolle