Dans un pays déchiré par des décennies de conflit et dont la transition politique a été soudainement interrompue par un autre coup d'État militaire en 2021, Nan Paw Gay a pour mission de créer un espace pour les médias indépendants qui représentent les voix et les préoccupations des minorités ethniques.
« Je dois me consacrer 24 heures sur 24 à ma carrière dans les médias. Je pense qu'il est de ma responsabilité d'améliorer ma région ».
Ressortissante de la communauté Karen, Nan Paw Gay a travaillé sans relâche pour faire entendre les voix des minorités ethniques du Myanmar (anciennement Birmanie). Elle continue à inspirer et à former de jeunes gens à documenter les questions importantes qui affectent leurs communautés.
Sa propre histoire est une grande source d’inspiration. Après avoir obtenu son diplôme en 1995, Nan Paw Gay a choisi d’aller s’installer à Bangkok et de travaille comme enseignante dans une école maternelle et, plus tard, comme domestique, parce qu’elle voulait expérimenter par elle-même ce que des millions de ses compatriotes vivent pour gagner leur vie. Elle est brièvement retournée chez elle pour prendre soin de son père malade. Après la mort de ce dernier, elle a déménagé pour la frontière avec la Thaïlande dans le but de comprendre les luttes des milliers de réfugiés Karen qui y vivent. C’est aussi là-bas qu’elle a entamé sa carrière de journaliste.
En effet, Nan Paw Gay a travaillé avec l’agence de nouvelles Karen Informations Centre (KIC). Elle a vécu et couvert l’actualité pendant plusieurs années à partir de la frontière entre la Thaïlande et le Myanmar. Elle a également travaillé pour l’Organisation des femmes Karen (KWO) afin d’approfondir sa compréhension des questions de genre, et elle continue à collaborer avec la KWO.
Son travail a non seulement coïncidé mais aussi a fortement contribué à la croissance de l’enracinement du journalisme au Myanmar où les minorités ethniques ont lutté pour se faire entendre face à l’influence de la communauté dominante.
L’histoire post-coloniale du Myanmar a été une longue histoire de lutte pour la démocratie et la stabilité. Les groupes ethniques ont combattu leurs propres batailles pour préserver leur identité et assurer l’égalité. Ces luttes se sont manifestées de plusieurs façons, y compris sous forme d’insurrections armées, de luttes politiques et autres actions de la société civile. Ce fut l’une des périodes les plus sombres de l’histoire moderne du Myanmar, avec de nombreuses allégations de crimes graves tels que les exécutions extrajudiciaires, les violences sexuelles et la torture.
En dépit des risques et des intimidations, Nan Paw Gay a toujours écrit avec consistance sur les violations des droits humains au Myanmar, y compris l’usage des violences sexuelles contre les femmes comme une arme de guerre.
En dehors d’affuter ses propres compétences journalistiques, Nan Paw Gay a également travaillé à former les jeunes de la communauté Karen au journalisme. Bien que beaucoup des jeunes qu’elle a formés se soient, depuis, réinstallés dans d’autres pays, elle continue son travail dans l’espoir que certains vont choisir de rester et de travailler au Myanmar.
En 2011, Naw Paw Gay a fondé Karen Nouvelles (Karen News( – le service en langue anglaise de la KIC – afin de toucher un monde plus large. Karen News a joué un rôle important, à l’intérieur et à l’extérieur du Myanmar, dans la mise en exergue des questions qui touchent la communauté Karen. Karen Nouvelles et KIC ont couvert les questions à des violations des droits humains, la transition politique, les conflits armés et le cessez-le-feu d’après 2012, ainsi qu’à des questions socio-politiques complexes telles que les droits fonciers, le développement et l’environnement.
Nan Paw Gay, qui croit que les « voix ethniques sont absente du discours public au Myanmar », collabore également Birmanie Nouvelles International (BNI) – une coalition importante des médias ethniques qui réunit des groupes de médias indépendants qui couvre les communautés ethniques au Myanmar. La BNI apporte une des points de vue croisés sur la façon dont les changements socio-politiques au Myanmar affectent diverses minorités ethniques.
En tant que directeur exécutif et porte-parole de BNI, Nan Paw Gay éveille la communauté internationale, y compris les médias et la société civile. Grâce à la plate-forme BNI, Nan Paw Gay couvre les défis auxquels sont confrontés les groupes privés de médias ethniques indépendants qui ont été autorisés à publier à l’intérieur du Myanmar pour la première fois après 1962. BNI a également largement couvert les questions en rapport avec les ressources et les conflits fonciers dans l’après transition au Myanmar, qui touchent presque tous les groupes ethniques minoritaires et qui ont alimenté plusieurs conflits.
Être une organisation indépendante de nouvelles dans un pays déchiré par des disputes politiques et des conflits sporadiques n’est pas facile. Les journalistes de Karen News se retrouvent souvent dans des situations où soit l’État, soit de puissants groupes rebelles armés sont mécontents de leur travail. Pourtant, Naw Paw Gay et son équipe continuent de parler des questions importantes qui affectent non seulement la communauté Karen, mais aussi l’ensemble du Myanmar. En dépit de ses liens historiques avec l’Union Nationale Karen (KNU), Karen News et KIC ont également joué un rôle crucial contre des individus au sein de la KNU ou de sa branche armée qui ont abusé de leur position. Cependant, l’un d’entre eux continue de gérer une plate-forme comme Karen News, une entité pérenne.
Parmis tous ces défis majeurs, l’un des plus gros est d’essayer d’assurer la pérennité financière de telles plateformes.
Des individus comme Nan Paw Gay jouent un rôle essentiel dans le renforcement et l’élargissement des espaces démocratiques au Myanmar. Non seulement elle a contribué à attirer une attention significative à des problèmes rencontrés par les diverses minorités ethniques du Myanmar, mais aussi ses efforts ont également contribué à faire ressortir le point de vue et le rôle des femmes dans la transition socio-politique du Myanmar.
Le travail de Nan Paw Gay et d’autres médias indépendants est devenu plus crucial dans la diffusion d’informations après que l’armée a organisé un autre coup d’État en février 2021. Lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse, elle a noté que « la liberté de la presse est actuellement la plus faible de notre histoire moderne » entre fermetures de journaux, révocation de licences et arrestations arbitraires visant des journalistes. Elle a condamné les violences perpétrées par les forces de la junte contre des journalistes.
« Lorsque le conseil militaire arrête et détient des journalistes, la torture est à la fois physique et psychologique. Avant même d’être détenu, des menaces sont proférées, puis lors de l’arrestation, la violence devient réelle – des coups de feu, des personnes reçoivent des coups de pied et sont traînées par les cheveux hors de chez eux et bastonnées.
Malgré ces difficultés, les médias indépendants ont essayé de remplir leur devoir d’information du public. Nan Paw Gay fait partie des voix fiables qui amplifient non seulement la situation des communautés ethniques, mais aussi la lutte pour la restauration de la démocratie au Myanmar.
En décembre 2023, elle a été élue présidente de l’Independent Press Council Myanmar, dont la conférence fondatrice a réuni 77 personnes de 38 médias indépendants du pays et de l’étranger ainsi que des professionnels des médias indépendants. En mai 2024, elle figurait parmi les récipiendaires du Prix Women in News Editorial Leadership décerné par la World Association of News Publishers lors du Congrès mondial des médias d’information.
Illustration de Florian Nicolle