Şanar Yurdatapan est un auteur compositeur et porte-parole de l'Initiative pour la Liberté d'Expression en Turquie - un paisible « mouvement de désobéissance civile qui enfreint les règles anti-démocratiques ». Le 13 janvier 2017, l'activiste primé a été condamné avec sursis à 15 mois pour avoir été editeur invité du quotidien kurde Özgür Gündem. En avril 2018, les accusations de "propagande terroriste" portées contre lui ont été abandonnées.
Dans un message à IFEX en octobre 2016, Şanar Yurdatapan a décrit ce que valait d'être une partie du réseau mondial de défense et promotion de la liberté d'expression: « Rencontrer IFEX et en devenir partie prenante a changé beaucoup de choses dans nos relations avec le monde. Outre le soutien direct à nos projets, IFEX nous donne la possibilité de contacter les militants de la liberté d'expression sur d'autres continents, d'échanger des expériences et de soutenir les activités des uns et des autres, et même y prendre part ».
Şanar Yurdatapan est un auteur compositeur et porte-parole de l’Initiative pour la Liberté d’Expression en Turquie – un organisme sans but lucratif, sans comité exécutif et sans aucune structure juridique qui se définit lui-même comme étant un « un mouvement de désobéissance civile qui enfreint les règles anti-démocratiques ». Le groupe est membre de IFEX depuis 2007.
Né à Susurluk en 1941, Yurdatapan est devenu actif en politique dans les années 1960, quand il a adhéré au Parti travailliste turc. Dans les années 1970, il est devenu célèbre pour ses compositions de musique pop. Sa chanson primée « Arkadaş » – écrite pour un film du même nom – est toujours jouée à ce jour.
En 1980, Yurdatapan et son (ex)-femme Melike Demirağ ont été contraints à l’exil pour plus de 11 ans, période au cours de laquelle ils ont été dépouillés de leur citoyenneté turque. Pendant qu’ils étaient en exil, la musique est devenue un support important de l’engagement de Yurdatapan à la libre expression et au plaidoyer. En 1982, il a enregistré « Songs of Freedom from Turkey : Behind Prison Bars » (Des chansons de la Turquie pour la liberté : derrière les barreaux de la prison), un album engagé qu’on peut trouver aujourd’hui dans de nombreuses bibliothèques.
En 1991, ils ont été amnistiés et autorisés à retourner en Turquie. L’année suivante, leur citoyenneté leur a été retournée mais, il n’a pas fallu longtemps à Yurdatapan pour se lancer à nouveau dans l’activisme.
En 1995, le célèbre romancier Yaşar Kemal a été inculpé, en vertu de la loi anti-terroriste, pour un article paru dans le journal Der Spiegel sur l’oppression de la population kurde en Turquie. Cette situation a poussé Yurdatapan et d’autres militants de monter une forme unique de désobéissance civile. Plus de 1000 intellectuels, dont Kemal, ont apposé leurs noms en tant qu’éditeurs d’un livre contenant des textes interdits. Ils ont informé de leur « crime » le procureur général de l’Etat et se sont alignés en « rangs d’expression » devant son bureau. Un dossier de masse a ensuite été ouvert contre 185 d’entre eux, mettant l’accent sur le cas de Kemal et sur la censure en général.
L’originalité de cet acte de désobéissance civile est devenue une marque importante de la lutte continue de Yurdatapan pour la liberté d’expression.
En 2003, Yurdatapan, qui s’identifie comme un athée, et Abdurrahman Dilipak, théologien de l’Islam, ont publié ensemble « Opposites: Side by Side » (Des opposés : côte à côte). Divisé en deux parties, le livre donne aux deux auteurs l’opportunité de discuter de sujets controversés comme le genre, la foi, les droits humains et le fondamentalisme. « Nous voulions montrer que nous pouvons vivre ensemble avec nos différences, en s’y accrochant ».
L’approche novatrice de Yurdatapan à la défense de la liberté d’expression ne s’arrête pas là. En 2014, lui et ses collègues ont fondé le Musée des crimes de la pensée, un projet de campagne numérique qui documente les violations de la libre expression en Turquie.
L’espace numérique permet aux visiteurs de naviguer dans les couloirs comme un touriste dans un musée réel. Ils peuvent voir le bureau du Procureur général de l’Etat, marcher à l’intérieur d’une représentation réaliste d’une salle d’audience de la Turquie et en apprendre davantage sur la façon dont la loi turque a été conçue en vue d’étouffer la liberté de la presse.
Mais la forme la plus récente d’activisme de Yurdatapan n’apparait pas en ligne – et ses conséquences vont bien au-delà de la portée de notre écran. Le 23 septembre 2016, Yurdatapan et 30 autres militants ont assisté à leur premier procès pour avoir signé une déclaration en faveur de Mlle Ayşe Çelik, une enseignante de Diyarbakir, une province du sud-est de la Turquie, qui a plaidé publiquement pour plus d’attention des médias sur les meurtres et autres abus contre des civils en cours dans le sud-est de la Turquie. En avril 2017, Çelik a été condamnée à un an et trois mois de prison, et ses supporters, dont Yurdatapan, ont été acquittés.
Yurdatapan est l’un des plus de 50 personnes qui sont venues soutenir le journal martyrisé Özgür Gündem, en se proposant comme « éditeurs invités ». Le 13 janvier 2017, il a été condamné à 15 mois de prison avec sursis pour avoir été éditeur d’un jour du quotidien. Il était également accuse de mener la ‘propagande terroriste’ pour sa défense de trois autres éditeurs d’un jour du quotidien, Erol Önderoğlu, Şebnem Korur Financı et Ahmet Nesin, qui ont été arrêtés en juin 2016 et ont passé 10 jours en prison avant d’être libérés pour être jugés. Le 3 avril 2018, Yurdatapan a été acquitté de cette accusation.
Le courage et l’engagement à la libre expression de Yurdatapan ne sont pas passés inaperçus. La reconnaissance internationale de son travail comprend le prix 2002 du « Contournement de la censure » lui décerné par Index on Censorship et le prix « Mondial du défenseur des droits humains » par Human Rights Watch. Il est également récipiendaire du prix turc 2015 de la liberté d’expression de l’Association des journalistes de Turquie, l’Association des droits humains, l’Association des opprimés et l’Association des journalistes modernes.
Depuis fin de 2019, Yurdatapan présente “What’s Goin’ On?”, une émission vidéo mensuelle pour le compte de Initiative for Freedom of Expression – Turquie, dans laquelle des journalistes et des militants discutent de l’évolution récente de la situation des droits humains en Turquie.
Illustration de Florian Nicolle