Stella Nyanzi est l'une des plus importantes militantes des droits des femmes en Afrique; ses critiques colorées contre le président Museveni lui ont valu sa renommée internationale, mais l'ont également conduite en prison.
« Le langage est un outil et je refuse d'être réduite au silence par quiconque »
Universitaire, écrivain et militante des droits des femmes, Stella Nyanzi est une critique farouche du président ougandais, Yoweri Museveni. Elle est également une partisane de « la grossièreté radicale », une stratégie ougandaise traditionnelle pour déstabiliser les puissants par le biais de l’utilisation tactique de l’injure publique.
Au cours des deux dernières années, Nyanzi a soumis le président Museveni à une série d’engueulades publiques, utilisant souvent un langage qui ferait rougir un camionneur. Ces agressions verbales, qu’elle publie généralement sur Facebook, sont très originales, parfois sexuellement explicites et toujours très passionnées. Ses attaques les moins explosives – décrivant le président comme « une paire de fesses » et la première dame (qui se trouve être également ministre de l’Education) comme « une tête vide » – l’ont conduite en prison en 2017. En novembre 2018, elle était à nouveau derrière les barreaux pour son utilisation originale de l’insulte; elle risque actuellement une peine d’un an de prison si elle est reconnue coupable de « communication offensante » et de « cyber harcèlement » du président.
Ses séjours périodiques en prison ont, espérons-le, pris fin, car Nyanzi et sa famille ont déménagé en Europe, après avoir été acceptée dans le programme Ecrivains-en-exil géré par le PEN Center allemand.
En Ouganda, exprimer librement une opinion est une entreprise risquée. Sous le président Museveni (au pouvoir depuis 1986), les violations des droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association sont légion. Des membres de l’opposition politique sont parfois détenus et se voient souvent refuser l’accès aux rassemblements publics et aux médias. Les journalistes critiques sont ciblés pour être arrêtés, enlevés et passés à tabac par les services de sécurité. Parfois ils sont accusés de trahison. Dans leur tentative de réduire la dissidence en ligne, les autorités bloquent également Internet pendant les périodes électorales. En 2017, les services de sécurité ont mis en place une équipe chargée de traquer les médias sociaux à la moindre critique du gouvernement.
En plus de la suppression du discours politique, il existe également de forts tabous culturels contre le fait de parler ouvertement et graphiquement du sexe et de la sexualité. Certains de ces tabous sont inscrits dans la loi: l’homosexualité est illégale et l’éducation sexuelle est interdite dans les écoles.
Nyanzi, qui enseigne à l’Université de Makerere et est titulaire d’un doctorat en sexualité et orientation sexuelle et genre, parle ouvertement – et de manière colorée – du sexe, des organes génitaux et de la politique. Pour cela, elle est adorée par beaucoup de ses concitoyens mais perçue avec dégoût par certains des éléments les plus conservateurs de l’Ouganda.
Le sexe, la politique et « l’impolitesse radicale » étaient mélangés lors de l’arrestation de Nyanzi en avril 2017.
Plus tôt cette année-là, Nyanzi avait lancé la campagne #Pads4girlsUg (Serviettes hygiéniques pour les filles de l’Ouganda) qui collecte des fonds du public pour l’achat et la distribution de serviettes hygiéniques à un million de filles en Ouganda. Elle avait été révoltée par le fait que le gouvernement n’avait pas honoré l’engagement pris en 2016 de fournir ces serviettes à toutes les écolières (au moins 30% d’elles s’absentent de l’école quand elles ont leurs règles) et avait décidé de s’attaquer elle-même au problème. Sa campagne a été couronnée de succès: des dons sont venus de partout en Ouganda et de l’étranger; l’objectif d’un million a été vite atteint.
Mais Nyanzi a également choisi de diriger sa frustration vers Museveni (et la première dame) via une série de critiques cinglantes et d’insultes postées sur Facebook. Pour cela, Nyanzi a été arrêtée le 7 avril 2017 lors d’une collecte de fonds au Rotary Club de Kampala. Elle a par la suite été inculpée de « communication offensante » et de « cyber-harcèlement » du président en vertu de la loi de 2011 sur l’utilisation abusive de l’ordinateur.
Lorsqu’elle a comparu devant le tribunal, trois jours après son arrestation, Nyanzi était provocante. Selon un éminent militant LGBTQI + ayant assisté au procès, Nyanzi a déclaré au juge:
« Communication offensante ? Qui est offensé ? Combien de temps les Ougandais vont-ils se taire à cause de la peur… Je suis universitaire, poète et écrivain. J’utilise mon écriture métaphoriquement. J’ai qualifié le président d’impuissant, de violeur, d’une paire de fesses pathétique. Il a menti aux électeurs pour qu’il fournirait des serviettes [hygiéniques] et les Ougandais sont offusqué qu’il soit un homme aussi déshonorant. C’est nous qui sommes offensés, pas lui ».
Nyanzi a plaidé non coupable et s’est vu refuser la libération sous caution. Le juge l’a envoyée dans une prison à sécurité maximale où elle devrait passer les 33 prochains jours. En prison, les autorités ont tenté de contraindre Nyanzi (sans succès) à se soumettre à un examen psychiatrique. Parfois, elles lui ont également refusé l’accès à son avocat, à du matériel d’écriture et aux visites de ses enfants. Sa détention a fait les gros titres de la presse internationale et un hashtag – #FreeStellaNyanzi – a rapidement commencé à évoluer sur les médias sociaux en Ouganda et dans d’autres pays africains.
Lorsque Nyanzi a été libérée, elle souffrait de paludisme. Elle a déclaré que qu’elle et ses codétenus étaient privés de moustiquaires parce que les autorités pensaient qu’elles pourraient les utiliser pour se pendre. Son procès est toujours en cours.
Mais la dure expérience de la prison de Nyanzi n’a pas mis fin à son « impolitesse radicale ». Le 2 novembre 2018, elle a été arrêtée et inculpée (encore une fois) de « communication offensante » et de « cyber harcèlement » du président. Cette fois-ci, les accusations étaient fondées sur un poème qu’elle avait écrit et publié sur Facebook à l’occasion de l’anniversaire du président, dans lequel elle suggérait – à l’aide de descriptions graphiques fortes du canal de naissance de la mère de Museveni – que l’Ouganda aurait été mieux si le président était mort à la naissance.
Nyanzi est restée en détention depuis sa première audience le 9 novembre 2018 jusqu’à sa condamnation définitive le 2 août 2019. Elle a été condamnée à 18 mois d’emprisonnement pour des accusations de cyber-harcèlement et acquittée pour la deuxième accusation de communication offensante.
Anticipant les protestations bruyantes de ses partisans, les autorités ougandaises ont choisi de ne pas la conduire devant le tribunal de Buganda Road. Au lieu de cela, ils l’ont emmenée dans l’aile des hommes de la prison de Luzira où elle a été forcée suivre sa condamnation par vidéoconférence. Pas du genre à accepter tout, Nyanzi a arraché ses vêtements, a flashé ses seins à l’écran, tout en vociférant des grossièretés et en faisant un doigt d’honneur. Ses partisans au tribunal l’ont applaudie et encouragée.
Dans une longue bataille judiciaire, Nyanzi a contesté sa condamnation en demandant son annulation et sa peine retirée au motif que le magistrat a prononcé une peine illégale et disproportionnée.
Pour ne pas être en reste dans ses efforts de répression contre la féministe radicale, le gouvernement ougandais s’est adressé à la Haute Cour pour contester l’acquittement du Dr Nyanzi pour communication offensante.
Illustration de Florian Nicolle