Si vous comptez uniquement sur les traces numériques, vous pourriez ne pas être au courant de la contribution considérable de Zoe Titus au paysage des droits des médias sur le continent africain pendant deux décennies. Pour Titus, son travail a toujours consisté à faire exécuter le travail, souvent dans les coulisses.
« Ne jamais, alors jamais minimiser l'importance des personnes qui ne sont pas nécessairement d'accord avec vous. […] De mes 22 ou 23 ans dans cette industrie, vous ne pouvez pas travailler seul. Plus vous avez de partenaires et plus ces partenaires sont diversifiés, meilleures seront vos campagnes. »
L’attitude réfléchie et douce de Titus pourrait cacher la passion et l’engagement avec lesquels elle s’est battue pour la liberté des médias, la liberté d’expression et les droits d’accès à l’information sur le continent africain. Mais ceux qui ont travaillé avec elle connaissent et reconnaissent sa formidable énergie et son dynamisme. L’immense respect qu’elle suscite est attesté par les nombreuses fois où elle a été sélectionnée pour participer, en tant qu’intervenante, sur les plateformes locales, continentales et internationales sur diverses questions liées à la liberté des médias, la liberté d’expression et l’accès à l’information.
Deux ans après avoir été nommée coordinatrice stratégique du Namibia Media Trust (NMT), Titus a créé un précédent en faisant de cette organisation la première organisation africaine à apporter une contribution financière au Prix mondial de la liberté de la presse Guillermo Cano de l’UNESCO. « L’UNESCO est un partenaire de longue date et nous sommes fiers, en tant qu’organisation africaine, de montrer notre engagement en faveur de la liberté de la presse à travers cet effort », a-t-elle expliqué.
Lors de sa promotion à son poste de directrice du NMT, Titus a réitéré son engagement à se mobiliser pour le changement: « J’espère initier et soutenir, par la collaboration et d’autres moyens, des actions qui font progresser le droit à la liberté des médias, la liberté d’expression et l’accès à informations en Namibie et au-delà de ses frontières. »
Fidèle à son engagement de porter le travail du NMT au-delà des frontières, elle a contribué à faciliter une mission de plaidoyer en Namibie de l’ancien Rapporteur spécial de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), Lawrence Mute Au cours de sa visite, il a participé à la consultation en Afrique australe sur la révision de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique avec des experts et militants régionaux. L’inclusion des contributions de la région de l’Afrique australe a été conduite par Titus en se rendant compte que d’autres régions avaient contribué au processus de révision à l’exclusion des organisations de l’Afrique australe. La Déclaration révisée a été adoptée en novembre 2019 lors de la 65ème Session ordinaire de la CADHP.
Sa passion pour les médias et leur potentiel à apporter un changement positif et profond dans la vie des gens a été gonflée chez The Namibian où elle a travaillé comme journaliste avant de décrocher une promotion en tant que directrice de publication à The Weekender en 1995. Un poste qu’elle a occupé jusqu’en 2000.
Son engagement s’est encore renforcé lorsqu’elle a rejoint le secrétariat de Media Institute of Southern Africa (Institut des médias d’Afrique australe), où elle s’est engagée avec passion dans la promotion des droits des médias à travers un continent toujours aux prises avec la liberté d’expression et la liberté des médias. Titus a rejoint MISA-Regional en 2001, en tant que directrice régionale des programmes, avant d’être nommée directrice régionale par intérim. Elle a commencé à diriger l’organisation en 2012.
Au cours de ses 15 années au bureau régional de MISA, Titus a dirigé un certain nombre de projets visant à fournir un soutien pratique aux journalistes en péril. Ceux qui connaissent Titus connaissent son approche dans le développement de ces campagnes. Titus passe du temps à cogiter et à réfléchir attentivement aux problèmes qui ont un impact sur les journalistes, leur travail et le secteur des médias collectifs, avant de trouver une solution. L’une de ces campagnes est la campagne Journalists Under Fire (Journalistes sous le feu) de la SADC (South Africa Development Community).
Tout en rassemblant des rapports de violations de la liberté des médias et la persécution des journalistes au Zimbabwe au début des années 2000, Titus avait reconnu la nécessité d’une campagne de plaidoyer ciblée et soutenue pour lutter contre les attaques des services de l’État et les lois répressives sur les médias. Ses réflexions ont donné naissance à la campagne Zimbabwe Journalists Under Fire. Elle a décollé et a été étendue à la campagne à succès Journalistes de la SADC sous le feu. Grâce à cette campagne, MISA-Regional a pu assurer une approche coordonnée du travail de plaidoyer de ses chapitres, ce qui a rendu le lobbying plus efficace dans la région de la SADC. Elle a également eu le mérite d’engranger un soutien régional accru.
Avec tout ce qu’elle fait, Titus est peut-être mieux connu pour son travail sur les cadres politiques régionaux et continentaux qui façonnent le paysage de la liberté d’expression, de la liberté des médias et de l’accès à l’information (ATI). Au cours de son mandat en tant que directrice de MISA-Regional, l’une des contributions les plus remarquables de Titus a été dans l’arène de la promotion d’une législation sur l’accès à l’information à travers le continent, grâce à la création de la Plateforme africaine sur l’accès à l’information. L’idée de créer un réseau continental s’est développée au cours des travaux de MISA sur l’état et la mise en œuvre de la législation relative à l’Accès à l’information (ATI) dans les sections de différents pays.
Ce genre de concept à long terme et à plusieurs échelons est né lors de ses moments de réflexion. Titus met la proposition en action, en pilotant le processus en collaboration avec les partenaires concernés et en assurant une réflexion collective. Comme elle l’explique: « De [l’expérience] de mes 22 ou 23 ans dans cette industrie, vous ne pouvez pas travailler seul. Plus vous avez de partenaires et plus ces partenaires sont diversifiés, meilleures seront vos campagnes, car vous pouvez faire beaucoup avec très peu de ressources. Ne jamais, alors jamais, minimiser l’importance des personnes qui ne sont pas nécessairement d’accord avec vous », ajoute-t-elle.
MISA a été un plus important au réseau de l’IFEX, en mettant les préoccupations de la région sur la table et en partageant les meilleures pratiques avec les membres. Titus a siégé au Conseil de l’IFEX pendant quatre ans et a également été président du Comité directeur de l’African Freedom of Expression Exchange (AFEX).
Alors que MISA était le secrétariat du groupe de travail de la Plateforme africaine sur l’accès à l’information (APAI), apportant un soutien structurel, c’était le travail du groupe collectif qui a fourni le levier nécessaire pour augmenter le nombre de pays adoptant des lois sur l’Accès à l’information. D’une poignée seulement, le travail de l’APAI a connu une augmentation à 23 pays africains avec des lois sur la liberté de l’information promulguées à ce jour. Le travail de l’APAI a également abouti officiellement à la reconnaissance par l’ONU de la date du 28 septembre comme la Journée internationale de l’accès à l’information.
S’adressant à Paula Fray sur un épisode de Change Voices, un podcast hebdomadaire qui se concentre sur le leadership du point de vue de diverses femmes d’Afrique et d’ailleurs, Titus a été interrogé sur la mobilisation pour le changement social. Elle a insisté sur la nécessité d’inclure les voix marginalisées, les groupes marginaux, ainsi que ceux des femmes.
Ses réalisations de plus d’une décennie profiteront aux générations futures et sa raison de se battre si âprement est qu’elle est convaincue que chaque citoyen a droit à une presse libre, indépendante, pluraliste et diversifiée. En effet, titus considère que « Les médias sont au cœur de nos vies. La manière dont nous recevons nos informations se fait via l’une ou l’autre plateforme médiatique […] Pour qu’ils puissent faire leur travail, ils ont besoin d’un environnement propice, c’est pourquoi la liberté de la presse est fondamentalement importante pour nos vies, pour chaque citoyen effectivement. »
Elle souligne qu’on doit avoir une vision à long terme. Le plaidoyer n’est ni simple ni rapide. Comment maintient-elle son énergie? Comment se débrouille-t-elle?
« Parfois, c’est très difficile. Vous vous rappelez que vous travaillez pour le plus grand bien. Constituez un réseau. Entourez-vous de personnes partageant les mêmes idées que vous, mais aussi de ceux qui vous défient. Si vous regardez autour de vous, en particulier dans l’arène de la liberté de la presse, de la liberté d’expression, c’est une arène dominée par les hommes, et parfois le travail des femmes, même des femmes dirigeantes, est sous-estimé. Ce réseau de soutien est donc extrêmement important. Ayez votre rythme. Apprenez à dire non. »
En plus de tout son travail, Titus sert en tant que conseiller pour plusieurs initiatives régionales et internationales, y compris ARISA (le projet Advancing Rights in Southern Africa). Elle est également cofondatrice de la plateforme d’enseignement en ligne ouverte et massive unique sur la politique des médias en Afrique, le Jeanette Minnie Memorial Course in African Media Policy in the Digital Age, hébergé par le Link Center et la plateforme en ligne Wits, edX. Profondément touchée par la mort de Minnie, ce cours est sa [Titus] manière unique et durable de rendre hommage à son amie, collègue et mentor.
Illustration de Florian Nicolle