Zulkiflee Anwar Haque, mieux connu sous le nom de caricaturiste Zunar, utilise ses bandes dessinées comme une « arme pour lutter contre la corruption et l'abus de pouvoir dans le gouvernement malaisien ». Ceci lui a valu une grande popularité mais il a également conduit à l'interdiction de sept de ses livres, des arrestations, et des procès.
Dans son discours d'acceptation à la cérémonie de remise du Prix international de la Liberté de la Presse du CPJ en novembre 2015, Zunar a déclaré: Je veux donner un message clair aux prédateurs - ils peuvent interdire mes dessins, ils peuvent interdire mes livres, mais ils ne peuvent interdire mon esprit. Je vais continuer à dessiner jusqu'à la dernière goutte de mon encre.
Zunar a commencé jeune, affichant un talent pour la caricature qui a vu ses premières caricatures publiées à l’âge de 11 ans dans le magazine pour enfants. Vers les années 1980, il collaborait au magazine populaire de l’humour, Gila-Gila, entre autres. Au début, son travail n’était pas ouvertement politique mais, en 1998, il s’est impliqué dans l’opposition Reformasi, un mouvement de protestation pour lequel il a passé quelque temps en prison. A sa libération, Zunar a décidé que dorénavant son accent sera mis sur les caricatures politiques. Son intelligence vive et son flair pour la satire lui ont valu des fanatiques fidèles et il est devenu un collaborateur régulier à des publications indépendantes, notamment le site de nouvelles en ligne, Malaysiakini.
Inévitablement peut-être, Zunar se retrouva dans une confrontation avec l’autorité. En 2009, il a lancé le bimensuel Gedung Kartun (Magasin de BD). Tout de suite, son édition inaugurale a été saisie, apparemment parce qu’il n’avait pas reçu une autorisation de publication, une exigence que Zunar contestait. Le magazine avait inclus des dessins sur des questions sensibles, y compris la mort suspecte d’un conseiller politique qui travaillait sur la lutte contre la corruption.
Puis en septembre 2010, Zunar a été détenu pendant deux jours pour enquête dans une autre collection de ses dessins, Cartoon-o-phobia, en vertu de la loi sur la sédition. Ce livre a été interdit sous prétexte de subversion criminelle. Une autre accusation de sédition a été lancée contre Zunar en novembre 2014 pour Komplot Penjarakan Anwar (Complot pour Emprisonner Anwar). Il raconte que la police a exigé qu’il fournisse des détails sur le système de paiement en ligne qui pourrait ensuite leur donner accès aux noms de tous ceux qui avaient acheté le livre. Ses assistants ont également été interrogés ainsi que son gestionnaire du site. Quant aux distributeurs du livre, ils ont été menacés. Juste un mois auparavant, les appels de Zunar contre les saisies de ses livres en 2009 et 2010 avaient été acceptés. Le tribunal a déclaré que le gouvernement avait agi de manière « insensée » et que « ces politiciens ridicules ne menacent pas l’ordre public ».
Pourtant, le harcèlement ne s’était pas estompé là. En février 2015, Zunar a de nouveau été arrêté et détenu pendant trois jours sous la loi sur la sédition. Cette fois pour ses tweets (@zunarkartunis) commentant la condamnation du politicien de l’opposition Anwar Ibrahim à cinq ans pour des actes indécents.
Ensuite, en septembre 2015, une autre enquête a été ouverte en vertu de la même loi, cette fois en rapport avec son livre Supaman – Man of Steal. Cette fois-ci ce n’était pas Zunar mais son assistant de vente en ligne qui a été emmené pour interrogatoire.
Alors, le 26 novembre 2016, Zunar était de nouveau arêté, cette fois-ci au Festival littéraire annuel de Georgetown à Penang. Il a été libéré le lendemain en attendant les conclusions de l’enquête sur les allégations de sédition, à condition qu’il puisse pointer à la police tous les jours jusqu’au 27 décembre. Les raisons de son arrestation viennent de 20 caricatures, la plupart se moquant de la corruption dans le gouvernement malaisien. Juste la veille de son arrestation en novembre, Zunar a été forcé d’annuler une exposition de ses caricatures lorsque près de 30 hommes sont entrés dans son exposition, ont – verbalement et physiquement- attaqué l’artiste, et ont vandalisé ses œuvres. Le public est intervenu pour mettre fin à l’attaque et des policiers anti-émeute ont été appelés pour maintenir l’ordre. Juste trois semaines plus tard, il a de nouveau été arrêté, cette fois lors d’un événement de collecte de fonds qu’il organisait pour récupérer de l’argent qu’il avait perdu lors des saisies précédentes de ses livres. Il avait été libéré pour faire face à des accusations de « nuisance à la démocratie parlementaire », mais pas avant que 1000 de ses livres n’aient été saisis. En août 2017, il a porté plainte contre ceux qui le harceler et a exigé qu’on lui retourne ses livres et ses t-shirts.
La défaite du gouvernement Najib Razak lors des élections générales historiques de mai 2018 a ouvert la voie à la montée en puissance de la coalition Pakatan Harapan. Celle-ci s’est engagée à mettre en œuvre des réformes démocratiques, notamment la révision et l’abrogation de plusieurs lois draconiennes. L’interdiction de voyager contre Zunar a été levée ce mois-là. Le 30 juillet 2018, les neuf chefs d’accusation de sédition contre Zunar ont été abandonnées et les autorités ont annoncé qu’elles ne souhaitaient plus engager de poursuites pénales contre le caricaturiste.
@zunarkartunis
Dernières nouvelles du tribunal: toutes les accusations de sédition (9 chefs d’accusation) contre Zunar ont été abandonnées @crni @CartooningPeace @PatChappatte
Zunar a organisé une exposition « l’art de la liberté » et publié un mémoire intitulé « Fight Through Cartoons » [Lutter au travers de la carricature], qui raconte le harcèlement auquel il a été confronté pour avoir publié des caricatures politiques et posté des œuvres d’art sur les réseaux sociaux. Plus important encore, il a continué à commenter la politique à travers ses dessins. Il est resté critique malgré le changement de gouvernement et continue de souligner le rôle des artistes dans la société.
« En tant que caricaturiste, je ne cesserai pas d’exercer mes devoirs, d’être un chien de garde du gouvernement en place. Je continuerai encore mon combat à travers les carricatures dans mon pays. »
Après que la Malaisie a déclaré l’état d’urgence en janvier 2021, autorisant les autorités à arrêter les citoyens et les internautes qui « interfèrent » dans le travail du gouvernement pendant la pandémie, des groupes de la société civile ont averti que cela pourrait conduire à des violations des droits humains. En mai 2021, Zunar a été convoqué et interrogé par la police à propos de sa caricature ridiculisant un responsable local. Le téléphone de Zunar a été confisqué et il n’a pas été autorisé à voir la plainte déposée contre lui.
Dans un entretien avec Cartoonists Rights Network International en 2020, Zunar a mis en exergue ce que les artistes devraient faire face à la répression.
« La meilleure approche que les caricaturistes devraient adopter face aux régimes répressifs est de frapper fort sur leurs cibles, et que notre crayon doit viser les plus puissants. Les bons dessins devraient avoir cela; le bon but, une cible puissante frappée avec un coup de poing! »
Lors d’un entretien avec IFEX en février 2021, il a réitéré la responsabilité des artistes. Il a souligné pourquoi les artistes devraient servir de « de lignes de front (avant-gardistes) qui utilisent l’art pour protester et pour amplifier la voix du peuple.»
Illustration de Florian Nicolle