L'accès à l'information vu sous une perspective de genre: avec un regard sur la prochaine Journée internationale de l'accès à l'information, le 28 septembre, José Peralta examine une initiative d'ARTICLE 19 qui utilise l'accès à l'information (ATI) pour résoudre deux problèmes graves dans les communautés autochtones et rurales au Mexique.
Les 3 000 habitants de Lázaro Cárdenas, une communauté dans le sud-est de l’état du Chiapas, disposaient d’un centre de santé sans médecin et sans médicaments. A Adolfo Ruíz Cortines, une autre communauté du Chiapas, les habitants ont été contraints de voter pour un parti politique spécifique. Dans le Plan de Ayala, un projet de soutien aux femmes autochtones a été suspendu sans explication.
Ces histoires auraient pu s’arrêter là-bas et faire partie du grand nombre d’exemples d’un État défaillant et des communautés sans défense. Cependant, un projet promu par ARTICLE 19 en collaboration avec Casa de la Mujer Ixim Antsetic (CAM, le Groupe de femmes d’Ixim Antsetic) a transformé ces cas et d’autres autour. En utilisant les demandes d’accès à l’information et en prenant les mesures de suivi nécessaires, les femmes de ces communautés ont réussi à s’en charger et à résoudre ces situations.
La campagne, appelée Transparence proactive (Transparencia Proactiva), a débuté en février 2015. Son objectif est de dispenser des formations aux femmes et aux hommes des communautés autochtones et rurales de la région de Selva Norte au Chiapas et de la région de Pantanos de Tabasco sur des sujets liés aux droits d’accès à l’information comme outils à utiliser pour défendre d’autres droits fondamentaux.
Avec plus de 100 ateliers organisés à ce jour et plus de 27 communautés touchées, la campagne vise à apporter la connaissance de ces outils aux habitants, leur permettant d’identifier et de résoudre les problèmes qui affectent leur vie quotidienne.
Dominique Amezcua, coordonnatrice de la campagne et le responsable adjoint du bureau du Programme de droit à l’information d’ARTICLE 19, ont déclaré à IFEX qu’un accent particulier est mis sur les problèmes qui affligent et entraînent une détérioration de la vie des femmes, leur permettant d’exiger le respect de leurs droits qui leurs ont été historiquement refusés.
Dans un pays avec l’un des pires indices de violence aussi bien dans la région que dans le monde et où les attaques contre la liberté d’expression sont récurrentes (cette année 1,5 attaques contre des journalistes ont été documenté par jour), un projet comme celui-ci est une lueur d’espoir dans ce panorama des énormes défis auxquels sont confrontés les Mexicains.
Amélioration des choses
L’impact du projet peut être observé dans les résultats des histoires décrites ci-dessus.
À Lázaro Cárdenas, au travers d’une demande d’information envoyée au Secrétariat d’état à la santé, la communauté a découvert qu’un médecin permanent avait été affecté son centre de santé, avec des heures de clinique allant de 8h00 à 15h00 du lundi au vendredi et avec un budget mensuel pour l’achat de médicaments et d’autres fournitures. Dès l’obtention de cette information, toute la population de la communauté s’est mobilisée pour exiger la présence effective d’un médecin et, en septembre 2015, elle a commencé à recevoir les services requis.
A Adolfo Ruiz, une demande d’accès à l’information a révélé des irrégularités dans les agissements d’un coordinateur régional, ce qui a entraîné une pression pour voter en faveur d’un parti politique donné. Les membres de la communauté ont déposé une plainte et le fonctionnaire a été, par conséquent, révoqué.
Dans le Plan de Ayala, Amezcua a dit que le projet de soutien aux femmes autochtones était coordonné par un promoteur qui a manqué de venir à la communauté au moment où le troisième versement du soutien pour le programme était demandé.
« Dans le cadre de nos ateliers, les femmes ont demandé des informations à la Commission Nationale pour le Développement des Peuples Indigènes (CDI) concernant l’état de leur projet. L’organisme a répondu en disant que le projet avait été suspendu jusqu’à ce que les femmes aient payé un solde dû de 10 000 pesos et fourni des documents sur la manière dont elles avaient dépensé cet argent », a déclaré Amezcua. Les femmes ont déclaré que l’argent en question faisait partie des fonds qu’elles avaient soumis au promoteur au titre de paiement pour une séance de formation.
Selon Amezcua, « le promoteur a reçu l’argent et a dit qu’il n’était pas nécessaire de délivrer une facture pour justifier cette dépense puisque la preuve de la formation pouvait être attestée par une liste des participants qu’il fournirait. Par une deuxième demande d’information, les femmes ont découvert que le promoteur, plutôt que d’organiser une formation par groupe bénéficiaire, a effectué une seule formation pour un montant de 10 000 pesos et a gardé les 70 000 pesos restants qui avaient été collectés ».
Les femmes se sont mobilisées et l’agent public a été révoqué. Cependant, les habitants de la communauté attendent toujours la reprise du soutien qui leur a été retiré injustement.
Les femmes concernées
Un objectif important du projet est de renforcer les capacités des femmes dans les communautés. Sans doute, les femmes représentent le groupe de loin le moins protégé dans les conditions déjà précaires rencontrées dans ces communautés.
« En général, la société mexicaine est caractérisée par des attitudes machistes et les communautés autochtones et rurales ne font pas exception. Dans ce contexte, l’idée selon laquelle les femmes ne devraient pas participer à la sphère publique ou à la prise de décision est encore répandue », a noté Amezcua.
En raison de ces attitudes, les ateliers et les formations n’étaient pas toujours en mesure d’atteindre les résultats escomptés. Lorsque les femmes formées au début ont voulu partager ce qu’ils y avaient appris avec leurs communautés, beaucoup se sont opposées et étaient méfiantes. Certaines ont même été accusées d’avoir tenté de tromper leurs communautés.
Par conséquent, une stratégie « d’appropriation ou d’adoption collective » d’informations a été mise en œuvre avec les femmes désignées comme « multiplicatrices », ce qui a contribué à leur donner plus de crédibilité.
Amezcua a ajouté qu’« en plus de la discrimination fondée sur le genre, un autre facteur qui a contribué à la méfiance au sein des communautés était qu’ils ne se considéraient pas comme des sujets ayant des droits, encore moins comme des interlocuteurs capables d’apporter leurs desiderata au gouvernement ».
Au fil des mois, les femmes impliquées dans le projet ont fait d’autres progrès au sein de leurs communautés. Être outillées d’informations leur a permis d’accéder à des espaces politiques qui n’existaient pas auparavant. Le rapport du projet de la campagne souligne le fait que le travail mené avec les « multiplicatrices » leur a permis de se faire reconnaitre par les hommes de leurs communautés, qui s’adressent maintenant à ces femmes avec reconnaissance et respect.
Amezcua a déclaré que ce projet a permis d’équilibrer la situation entre les hommes et les femmes, mais que beaucoup reste à faire. Elle a noté que bien que les femmes soient maintenant incluses dans de nombreux processus politiques et communautaires où leur participation était refusée jadis, cela ne répond pas à l’égalité.
Pour ce faire, Amezcua dit qu’il faudrait un paradigme et un changement culturel qui ne relève pas seulement du domaine juridique. À ce jour, dans plusieurs domaines, les femmes n’ont toujours pas le droit de voter sur les affaires de la communauté et se voient refuser le droit de posséder des terres.
Les défis et l’avenir
La campagne n’a pas seulement abouti à des résultats pratiques concrets, elle a encouragé des idées sur le droit à l’information et les inégalités au niveau de la communauté qui ont entraîné des percées dans la lutte contre la corruption et les abus de pouvoir.
Cependant, beaucoup reste à faire. Parmi les grands défis à venir, le rapport de la campagne souligne la nécessité pour ces communautés d’exercer leurs droits de manière autonome, sans des organisations comme l’ARTICLE 19 qui fournissent un soutien derrière le processus.
Ils doivent également continuer à lutter contre les menaces et les attaques associées aux efforts visant à remédier aux inégalités systémiques avec lesquelles elles vivent et à lutter contre le manque de volonté politique et d’intérêt de la part des organismes gouvernementaux.
« Quelque chose que nous avons apprise des communautés autochtones et, au dessus de tout, des femmes qui ont participé au projet, est que l’information publique est inutile si elle n’est pas lue, analysée et comparée avec la réalité de la vie des citoyens; que lorsque nous demandons quelque chose, nous devons être unis, nous devons nous approprier de l’information et utiliser tous les moyens dont nous disposons et que nous avons gagné afin de mettre en lumière la corruption et les déficiences de nos gouvernements à mettre fin à la violence institutionnelle », a déclaré Amezcua. « Nous croyons que la seule façon de lutter contre le manque de volonté politique est de persister dans nos efforts et de continuer à demander des comptes ».
Ces organisations persisteront dans leurs efforts, la seule question qui reste est celle de savoir combien d’autres intensifieront leurs efforts pour se joindre à leurs initiatives.
« En général, la société mexicaine est caractérisée par des attitudes machistes et les communautés autochtones et rurales ne font pas exception. Dans ce contexte, l’idée selon laquelle les femmes ne devraient pas participer à la sphère publique ou à la prise de décision est encore répandue ».
Un regroupement au centre de santé « Lázaro Cárdenas » à Nuevo EgiptoLucía Vergara
« En plus de la discrimination fondée sur le genre, un autre facteur qui a contribué à la méfiance au sein des communautés était qu’ils ne se considéraient pas comme des sujets ayant des droits, et encore moins comme des interlocuteurs capables d’apporter leurs desiderata au gouvernement ».