Vous pourriez être surpris d'apprendre que les bibliothèques sont parmi nos meilleurs alliés dans la défense de l'accès à l'information, le droit à la vie privée et la liberté intellectuelle. Mais cela n'a rien de nouveau parce que ces droits ont toujours été fondamentaux à ce que les bibliothèques représentent.
Comme l’a écrit le blogueur, journaliste et auteur de science-fiction Cory Doctorow dans un article sur les bibliothèques comme championnes de la vie privée, « Il y a une vue intellectuellement erronée des bibliothèques comme étant des endroits pour conserver ce qui n’intéresse pas l’Internet ». Toute personne qui a récemment visité une bibliothèque saura que cette vision des choses ne pouvait pas être plus éloignée de la vérité. Les bibliothèques ne sont pas seulement les fournisseurs d’accès à Internet, ils sont aussi les défenseurs d’un filet sécuritaire et inviolable.
Cette semaine, célébrée au Canada comme la semaine de la liberté de lire, est pour vous l’occasion de découvrir les différentes façons par lesquelles les bibliothèques sont de libres porte-paroles – et sous-estimés- défenseurs de vos droits. L’accès à l’information, la vie privée et la liberté intellectuelle sont tous défendus, de manière à la fois significative et symbolique, par les bibliothèques et leur personnel.
1. L’accès
Pour beaucoup de gens, la bibliothèque est le seul endroit où ils peuvent accéder gratuitement à l’Internet. Cet accès est tout aussi essentiel pour un étudiant dans une communauté rurale reculée pour faire ses devoirs que pour un travailleur assaini dans une ville qui est à la recherche d’un emploi en ligne. Comme les lecteurs de livres électroniques deviennent plus fréquents, les bibliothèques sont les premières ressources à contacter pour des téléchargements gratuits de livres électroniques. Aussi, le personnel des bibliothèques conçoit et gère des programmes gratuits pour aider les utilisateurs à développer leur maitrise du numérique et des médias sociaux.
Mais l’accès ne va pas nécessairement sans restriction et les bibliothèques doivent relever des défis en matière de filtrage de contenu. Aux États-Unis, selon la loi sur la Protection des Enfants sur Internet (CIPA) adoptée par le Congrès en 2000, les bibliothèques qui reçoivent une aide financière du gouvernement sous la forme de réductions pour l’accès à Internet doivent se conformer à des règles spécifiques établies par la Commission Fédérale des Communications (FCC). La bibliothèque doit avoir une politique de sécurité sur Internet qui intègre des mesures de protection de la technologie. Cette politique doit bloquer ou filtrer l’accès à des images considérées comme préjudiciables aux mineurs telles que la pornographie.
Les intentions sont bonnes mais, dans certains cas, les bibliothèques mettent en place des politiques de filtrage trop zélés, conscientes que si elles ne filtrent pas largement tous les sites potentiellement inappropriés, elles risquent de perdre leur financement.
Il y a d’autres préoccupations avec le filtrage de contenu. Les programmes sont automatisés et on ne sait pas toujours clairement ce qui est bloqué. Comme l’a noté Alvin Schrader, un membre du Comité consultatif de la liberté intellectuelle de l’Association canadienne des bibliothèques dans l’Examen 2016 de la Liberté de Lire, cette situation a souvent conduit à des discours garantis par la Constitution d’être aussi bloqués.
Mais les bibliothèques et les associations de bibliothèques ne se laissent pas faire. Des organisations comme l’Association Américaine des Bibliothèques (ALA, American Library Association) ont travaillé pour clarifier les exigences de la loi CIPA. Comme l’a écrit Deborah Caldwell-Stone, directrice adjoint du Bureau de la liberté intellectuelle de l’ALA, « Le défi est de se conformer à la loi CIPA et la décision de la Cour suprême, tout en accomplissant en même temps, la mission de la bibliothèque qui est de fournir du contenu, pas de le supprimer, et d’augmenter l’accès, pas de le limiter ».
En 2014, l’organisation La Fondation Frontière Electronique (EFF) a organisé un évènement dénommé Jour 404: Une journée d’action contre la censure dans les bibliothèques, afin d’attirer l’attention sur les problèmes créés par la loi CIPA et de donner aux bibliothèques des directives sur la façon de mettre correctement en œuvre cette politique.
Nous ne pouvons pas parler de l’accès à l’Internet sans parler de la sécurité numérique, un domaine dans lequel des bibliothèques ont du mal à suivre. C’est là que la bibliothécaire Alison Macrina de l’organisation Projet pour la Liberté de la Bibliothèque (Library Freedom Project) est intervenue. Son projet, bénéficiaire en 2015 d’une subvention de la Fondation Knight pour les Défis de l’Information, vise à former les bibliothécaires et leurs communautés sur les « menaces de la surveillance, les droits à la vie privée et la loi, et des outils technologiques de protection de la vie privée pour aider à protéger les libertés numériques ». Le projet organise des ateliers individualisés pour les bibliothécaires et leur fournit du matériel pédagogique afin qu’ils puissent organiser des sessions pour leurs clientèles.
2. La vie privée
Alors que l’accès à l’information est quelque chose que vous pourriez vous attendre à voir des bibliothèques s’en préoccuper, leur souci de votre droit à la vie privée peut paraitre au contraire plus surprenant. En 2004 aux États-Unis, la Campagne pour la Confidentialité de la Lecture a été lancée pour « rétablir les garanties pour la confidentialité des lecteurs qui ont été supprimées par la loi américaine sur le Patriotisme (Patriot Act) ». En 2013, le groupe, qui comprend le Centre Américain de PEN et l’ALA, a publié une déclaration appelant le Congrès à adopter une loi qui rétablirait la protection de la confidentialité pour les dossiers de prêt en bibliothèque.
L’article 215 de la loi américaine sur le Patriotisme (Patriot Act) est inquiétant pour les bibliothèques parce qu’elle permet au gouvernement de demander des dossiers de la bibliothèque au moyen des réquisitions judiciaires secrètes, sans aucune preuve que la personne dont les dossiers sont demandés a des liens quelconques avec le terrorisme. Cet article peut aussi interdire au bibliothécaire de parler de la réquisition à quiconque.
Le Patriot Act concerne non seulement des documents empruntés dans les bibliothèques, mais aussi l’historique de navigation des personnes qui accèdent à l’Internet à la bibliothèque. Dans le premier mois qui a suivi l’adoption du Patriot Act, quatre-vingt-cinq cas de bibliothèques à qui il a été demandé des informations de leurs clients en rapport avec les attentats du 11 septembre ont été signalés à l’Université de l’Illinois.
Pour aider leurs utilisateurs, les bibliothèques ont affiché des avertissements à leurs clients au sujet de la surveillance possible du gouvernement, tandis que d’autres ont organisé des séances de cryptage pour enseigner aux gens comment utiliser le logiciel de protection de la vie privée. Dans son travail, Alison Macrina a encouragé les bibliothèques à résister aux exigences du gouvernement, notant au passage que le pouvoir du gouvernement de recueillir des renseignements personnels dépend aussi de combien nous révélons.
Macrina a dit à IFEX que « De la purge des dossiers pour contourner les demandes d’information du gouvernement à la bataille contre les autorisations intempestives de surveillance comme la loi américaine PATRIOT Act et à l’offre des cours gratuits de protection de la vie privée sur ordinateur aux membres de la communauté, les bibliothèques sont parmi les plus farouches défenseuses de nos libertés civiles essentielles et le font souvent sans attirer trop d’attention ».
Un exemple de la façon dont une bibliothèque est en train de faire cela est en hébergeant un nœud Tor (un routeur dénommé The Onion Router). À l’été 2015, la Bibliothèque publique Kilton dans le New Hampshire est devenue la première bibliothèque aux Etats-Unis à installer un nœud Tor de sortie Tor, partie intégrante du réseau de serveurs qui permet aux utilisateurs d’ « améliorer leur confidentialité et leur sécurité sur Internet » en détournant l’origine de la connexion, et en permettant aux gens de naviguer sur Internet de manière anonyme. Bien qu’il n’y ait rien d’illégal dans l’installation d’un nœud Tor de sortie, les autorités qui cherchent la source de certaines navigations peuvent remonter jusqu’ à l’opérateur du nœud qui est dans ce cas la bibliothèque. Puisque les bibliothèques ont une longue histoire de soutien à la liberté de l’information, le fait qu’ils voudraient faire partie du projet Tor leur ressemble parfaitement.
Lorsque le ministère de la Sécurité intérieure des Etats-Unis (DHS) a fait pression sur la bibliothèque Kilton pour qu’elle ferme son nœud Tor, elle l’a fait brièvement. La bibliothèque a demandé au public de commenter sa décision d’installer le nœud, puis a utilisé les nombreux soutiens de ses utilisateurs communautaires et des bibliothèques en général pour justifier sa décision de le restaurer. Un intervenant a écrit que nombreux sont ceux qui estimaient que « les bibliothèques étaient particulièrement indiquées pour faire fonctionner » des nœuds Tor, tandis qu’un membre du conseil d’administration de la bibliothèque a dit que l’arrêter pourrait remettre en cause « notre mission en tant que fournisseur d’accès libre à l’information sans crainte de représailles ».
Dans la semaine, après que l’histoire du bras de fer entre la bibliothèque Kilton et le DHS a été rendue publique, au moins une douzaine d’autres bibliothèques aux Etats-Unis ont exprimé leur intérêt dans l’installation des nœuds. Soutenir cet intérêt est devenu l’une des dernières tâches assumées par l’organisation Projet pour la Liberté de la Bibliothèque.
3. La liberté intellectuelle
Une des façons les plus visibles que les bibliothèques sont des héros de la libre expression est dans la défense de leurs matériaux.
Chaque année, le Comité consultatif de la liberté intellectuelle de l’Association Canadienne des Bibliothèques (CLA) publie l’Enquête sur les défis aux ressources et politiques dans les bibliothèques canadiennes. Les bibliothèques prennent au sérieux chaque défi. Ils doivent peser le point de vue du plaignant contre le droit à la libre expression et le droit du public de savoir. La synthèse de l’enquête 2014 faite par la CLA a noté que « Chaque défi au contenu expressif dans les documents de bibliothèque est considérée dans le cadre du mandat de la bibliothèque » et de ses politiques sur la liberté intellectuelle et l’accès.
Le personnel de la bibliothèque utilise également des défis comme des opportunités d’apprentissage. Comme l’a dit à IFEX Alvin Schrader « Lorsque des matériaux dans la collection d’une bibliothèque sont mis au défi, le personnel explique et enseigne l’importance de protéger le droit de chacun d’avoir ces matériaux disponibles et d’être capable de réfléchir sur les pensées et les opinions qu’ils contiennent ».
L’enquête 2014 de la CLA a révélé que seulement 3% des matériaux contestés ont fini par être retirés de la collection, alors que 43% ont été gardés et 26% ont été soit déplacés ou reclassé.
Dans un cas notable, le livre pour enfants Battle Bunny (Bataille de lapin) de Jon Scieszka – qui était le premier américain Ambassadeur National pour la Littérature de la Jeunesse, nommé par le bibliothécaire du Congrès pour les années 2008 et 2009 – a été contesté. Une bibliothèque publique dans la province du Québec a reçu une demande de le voir interdit au motif d’être inapproprié pour cet âge, violent et non humoristique. Après un examen minutieux, la bibliothèque a décidé de garder Battle Bunny dans sa collection.
Compte tenu du fait que les bibliothèques sont également des partisans de la transparence, de nombreux autres exemples de documents de bibliothèque contestés peuvent être trouvés dans les examens annuels des institutions et des organisations telles que la Bibliothèque publique de Toronto et l’Association Américaine de Bibliothèques, qui organise annuellement en septembre une Semaine des Livres Interdits.
Lorsqu’on a demandé de quelle façon les bibliothèques sont sous-estimées en tant que défenseuses de la liberté d’expression, Martyn Wade, de la Fédération Internationale des Associations de Bibliothèques et d’Institutions (IFLA), a dit à IFEX que « Les bibliothèques sont fondées sur le principe qui permet à chacun de bénéficier et de profiter de la liberté d’accès à la connaissance et de la liberté d’expression dans un environnement physique et numérique sûr et confidentiel ».
En bref, les bibliothèques ne sont pas des dépotoirs tout justes bons pour prendre de la poussière. Elles sont à l’avant-garde et au centre de la défense de la liberté d’expression et du droit d’accéder à l’information sans crainte de représailles. Ces droits sont fondamentaux à ce que les bibliothèques ont toujours défendu, et sont quotidiennement gagnés par ces dignes institutions.
« Le défi est de se conformer à la loi CIPA et la décision de la Cour suprême, tout en accomplissant en même temps, la mission de la bibliothèque qui est de fournir du contenu, pas de le supprimer, et d’augmenter l’accès, pas de le limiter ».
-Deborah Caldwell-Stone, directrice adjoint du Bureau de l’ALA pour la liberté intellectuelle
« L’article 215 de la loi américaine sur le Patriotisme (Patriot Act) est inquiétant pour les bibliothèques parce qu’elle permet au gouvernement de demander des dossiers de la bibliothèque au moyen des réquisitions judiciaires secrètes, sans aucune preuve que la personne dont les dossiers sont demandés a des liens quelconques avec le terrorisme ».