En ce jour de la Journée mondiale de la liberté de la presse 2016, IFEX salue Khadija Ismayilova, lauréate du Prix 2016 de liberté de la presse UNESCO Guillermo Cano et attire l'attention sur quelques-unes des nombreuses personnes à travers le monde qui travaillent à faire en sorte que - tout en étant dans une prison - leurs voix sont plus fortes que jamais.
L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme stipule ce qui suit:
Chaque année, à la Journée mondiale de la liberté de la presse, le monde reconnaît la façon dont les médias aident à transformer ce droit en une réalité.
Monde, Presse et Liberté. Trois grands mots abstraits. Mais quand la liberté de la presse est limitée, l’impact est loin d’être abstrait. Les droits des journalistes à rechercher, à recevoir et à répandre des informations et des idées sont intimement liés à notre droit de faire la même chose.
Prenons encore trois mots de plus: Abus de pouvoir. Que vous acceptiez ou pas que le pouvoir corrompt, quand ceux qui sont au pouvoir arrive à être corrompus, ils ont une multitude de moyens pour garder fermement leurs secrets sous le tapis. Il y a une guerre permanente entre leur désir de cacher la corruption et la volonté des médias de la révéler.
Les chiffres peuvent être stupéfiants. Près de 800 journalistes tués au cours des 10 dernières années, dans l’exercice de leur métier. Rien qu’en 2015, 199 journalistes ont été emprisonnés. Et pour chaque journaliste tué, il y a d’innombrables autres qui sont harcelés, menacés ou attaqués.
Derrière les chiffres il y a des personnes réelles qui sont en danger – et à côté d’eux il y a des personnes réelles qui travaillent pour défendre leurs droits. Ainsi, aujourd’hui, nous distinguons un journaliste et les nombreuses personnes qui ont pris sur elles sa cause.
Khadija Ismayilova est une journaliste d’investigation primée qui a commencé à dévoiler la corruption au sein de la famille dirigeante de l’Azerbaïdjan. Elle purge actuellement une peine de prison de 7 ans.
Khadija – le récipiendaire du prestigieux prix 2016 de la liberté de la presse Guillermo Cano de l’UNESCO – est un cas relativement populaire. Au moment de la rédaction de cette note, Khadija est toujours emprisonnée – mais sa voix continue de résonner.
A partir du moment où Khadija a été harcelée la première fois en 2011 jusqu’à son actuel emprisonnement, des individus et des groupes à travers le monde se sont mobilisés pour défendre ses droits ainsi que le principe de la liberté de la presse qui est en jeu.
Faites la connaissance des équipes de soutien
1. Des journalistes et des collègues
Dès le début, le consortium dénommé Projet de Rapportage du Crime Organisé et de la Corruption (Organized Crime and Corruption Reporting Project – OCCRP) a été un élément essentiel pour garantir que les efforts des puissants pour faire taire Khadija ne vont pas aboutir. Le consortium OCCRP est un programme conjoint des centres régionaux d’investigation et des médias indépendants qui s’étend de l’Europe de l’est à l’Asie centrale. Ce consortium fonctionne avec des journalistes locaux pour soutenir le journalisme d’investigation et dévoiler la corruption. Au travers du consortium OCCRP, des collègues de Khadija dans les médias, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Azerbaïdjan, ont lancé Le projet Khadija comme un moyen de s’assurer que son travail pourrait se poursuivre en dépit de son emprisonnement. Avec l’appui d’un lanceur d’alerte anonyme et d’un réseau de journalistes citoyens, ils ont travaillé et publié des histoires au sujet de la corruption que Khadija avait commencé à dévoiler.
Le 7 avril 2016, Investigative Reporters and Editors, Inc., un organisme communautaire sans but lucratif dédié à l’amélioration de la qualité des rapports d’enquête dans le monde, a sélectionné Le projet Khadija pour recevoir le prestigieux Prix Tom Renner. Selon les propres mots des juges, les rapports du Projet Khadija « ont décodés une série compliquée des titres de propriété qui ont révélé que le président de la république et sa famille contrôlent des intérêts commerciaux puissants, en violation de la législation nationale qui interdit au président ou à la première dame de détenir des actions dans des entreprises privées ».
Proud to be part of #FreeKhadija @occrp @granskning @ttnyhetsbyran investigation awarded tonight #gräv16 pic.twitter.com/56Wa6Q6cdq
— Sven Bergman (@SvenOBergman) April 9, 2016
2. Les groupes de plaidoyer et les citoyens concernés
Des groupes de la société civile et des organisations de défense de la liberté de la presse – y compris des membres de IFEX – ont travaillé inlassablement à mettre en lumière son cas sur la plan mondial, par la publication de nombreuses déclarations appelant à la libération de Khadija et à l’abandon des poursuites contre elle, par l’organisation de campagnes d’envoi de lettres, et par sa reconnaissance à leurs cérémonies de remise des prix.
Les Jeux européens, organisés en juin 2015 à Bakou, en Azerbaïdjan, était une opportunité pour attirer l’attention sur la situation désastreuse des droits humains dans ce pays, y compris l’emprisonnement de Khadija. Avec les encouragements du réseau de IFEX et la campagne Sport pour des droits, des gens de partout dans le monde ont pris d’assaut le hashtag officiel # Baku2015. Des milliers de tweets ont inondé le tag condamnant la répression de la liberté d’expression en Azerbaïdjan et exigeant la liberté pour tous ces défenseurs de la libre expression injustement emprisonnés, y compris Khadija Ismayilova.
En plus, pour soutenir le plaidoyer au nom de Khadija, les ONGs de la libre expression ont conduit, cette année, deux interventions internationales à la Cour Européenne des Droits Humains. L’une le 19 janvier et l’autre le 19 avril. Les organisations impliquées dans cette intervention sont les suivantes : PEN International, Privacy International, ARTICLE 19, International Media Support (IMS), The International Partnership for Human Rights (IPHR), le Comité de protection des journalistes, Index on Censorship, the Institute for Reporters Freedom and Safety, PEN American Center, Frontline Defenders, La Fédération internationale des droits humains & l’Organisation mondiale contre la torture, Norwegian Helsinki Committee et Human Rights House Foundation.
#FreeKhadija, a pioneer in exposing large-scale corruption in #Azerbaijan. #panamapapers https://t.co/NSPdcRdyus pic.twitter.com/O5NptxKQvB
— IRFS Azerbaijan (@IRFS_Azerbaijan) April 12, 2016
3. L’animateur nocturne et la pop star
Le comédien britannique John Oliver, animateur de l’émission Last Week Tonight, se moquait de tout ce qui concerne les Jeux européens, des événements sportifs mis en vedette aux mascottes « ridicules ». Son commentaire incluait le fait que les autorités ne permettaient pas aux journalistes de The Guardian d’entrer en Azerbaïdjan et que ce pays maltraitait ses propres journalistes, y compris Khadija.
Agissant sur demande de la campagne Sport pour des droits, le groupe de rock irlandais U2 a interpellé les autorités azerbaïdjanaises contre toute tentative d’empêcher Amnesty International d’entrer dans le pays avant les Jeux européens. Lors d’un concert en juin 2015, Bono, pointant un écran montrant des images de prisonniers politiques de premier plan, y compris Khadija, a annoncé, « Et un message au président Aliyev. Et ce message est le suivant, monsieur : Si quelque chose arrive à l’un de nos amis, nous vous tiendrons pour responsable ! ».
4. L’Union européenne, le Parlement européen et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
Le 11 décembre 2014, l’Union européenne a publié une déclaration soulignant que l’arrestation de Khadija et sa détention préventive était « une étape contre la liberté d’expression qui est la clé de voute de toute société démocratique ».
Le 1er septembre 2015, le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias, Dunja Mijatović, et le commissaire pour les droits humains du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, ont condamné la peine de prison prononcée contre Khadija. « Khadija Ismayilova paie pour son travail courageux comme journaliste d’investigation dans un pays où les voix discordantes sont muselées l’une après l’autre. Cette phrase frappe encore déjà un autre coup de poing pour le respect des droits humains et la conformité à démocratie et à l’Etat de droit en Azerbaïdjan », a déclaré Muižnieks.
Ce même mois, le parlement européen a rendu publique une résolution condamnant fermement « … la répression sans précédent contre la société civile en Azerbaïdjan » et appelant à l’abandon des accusations et à la libération de Khadija et d’autres journalistes, activistes et voix de l’opposition. La résolution a également appelé les autorités de l’UE à enquêter sur les allégations de corruption contre le président Aliyev et sa famille révélées par Khadija Ismayilova, et « invite les autorités azerbaïdjanaises à respecter la liberté de la presse et des médias, aussi bien dans la législation que dans la pratique, et cela à la fois en ligne et hors ligne , dans le but ultime de garantir la liberté d’expression conformément aux normes internationales et de mettre fin à la censure de la critique des autorités par le billet des médias ».
5. La Commission Helsinki des États-Unis
En décembre 2015, en réaction de la poursuite de la répression du gouvernement azerbaïdjanais envers des journalistes indépendants, des groupes de la société civile et des politiciens de l’opposition, le président de la Commission Helsinki des Etats-Unis, le représentant Chris Smith, a présenté le projet de Loi de 2015 sur la démocratie en Azerbaïdjan. Ce projet de loi va refuser des visas d’entrée aux États-Unis aux membres importants du gouvernement azerbaïdjanais, à ceux des branches judiciaires ou de la sécurité ainsi qu’à ceux « qui tirent des avantages financiers importants de leurs relations d’affaires avec la haute hiérarchie du pays ».
Ce projet de loi fait également remarquer que des sanctions financières devraient être envisagées. « Il est inacceptable que des membres importants du gouvernement azerbaïdjanais soient libres de visiter les États-Unis alors que des femmes et des hommes courageux comme la journaliste d’investigation Khadija Ismayilova … .sont jetés en prisons avec un accès limité à l’assistance juridique ou même médicale » a dit le Représentant Smith dans un communiqué de presse présentant le projet de loi. « S’ils peuvent payer le prix pour défendre les droits humains, la moindre des choses que nous puissions faire est de rester solidaire avec eux ».
6. Les avocats
Le 14 mars 2016, Amal Clooney, une avocate primée spécialisée dans le droit international et les droits humains, et Nani Jansen, directrice juridique à l’organisation Media Legal Defence Initiative, ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme au nom de Ismayilova, en fournissant des observations sur la recevabilité et le fond de l’affaire Ismayilova c. Azerbaïdjan (requête no 30778/15). Clooney et Jansen soutiennent qu’il n’y a pas de soupçons raisonnables que Khadija a commis un des crimes pour lesquels elle a été poursuivie et que sa détention est motivée par des raisons politiques.
Les 21 et 22 avril 2016, Clooney a visité Washington D.C., où elle a rencontré l’ambassadeur azerbaïdjanais Elin Suleymanov, des représentants de la Maison Blanche et du Département d’Etat ainsi que des membres de la Chambre des représentants et du Sénat. À la suite de ces réunions, le Doughty Street Chambers renseigne que, le 26 avril 2016, le Département d’Etat a demandé la libération de Khadija et que le sénateur Ben Cardin a soulevé son cas au Sénat.
Jim McGovern, membre du Congrès américain sur le banc du parti Démocrate et co-président de la Commission Tom Lantos des droits humains, a également exprimé son soutien à Khadija à la suite d’une réunion avec Amal Clooney. « Notre monde est plus sûr quand les journalistes ont la liberté de dénoncer la corruption et de demander des comptes aux plus puissants », a déclaré McGovern, selon un communiqué envoyé par courriel à The Washington Post, « et ceci est exactement ce que Khadija Ismayilova a fait en Azerbaïdjan. Je suis fier de rejoindre Amal Clooney dans les pressions pour libérer Khadija et d’exhorter la Maison Blanche et chaque membre du Congrès à se joindre à moi dans cet effort ».
7. L’UNESCO
Chaque année, l’UNESCO décerne le Prix Mondial de la Liberté de la Presse Guillermo Cano pour honorer ceux qui ont apporté « une contribution exceptionnelle à la défense et/ou à la promotion de la liberté de la presse partout dans le monde, et surtout quand cela a été accompli dans des circonstances dangereuses ». Le 08 avril 2016, l’UNESCO a annoncé que Khadija est la lauréate pour l’année 2016. Le prix sera remis, le 03 mai 2016, lors de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de presse à Helsinki, en Finlande.
Khadija, qui est toujours en prison, ne sera pas en mesure d’être physiquement présente. Mais beaucoup de ces groupes et personnes engagés qui consacrent leur temps et des ressources pour défendre et soutenir des individus comme Khadija – qui mettent leur vie en danger pour la liberté de la presse – seront présents.
Veuillez noter ce qui suit: l’avocat syrien et défenseur de la libre expression Mazen Darwish était dans une prison syrienne quand il a reçu ce même prix en 2015. Il a été libéré le 10 août 2015.
Si, comme Darwish, Khadija est libérée, soyez assurés qu’un cri vibrant de victoire, venant de toutes ses équipes de soutien et de tous ceux qui savent que sans une presse libre nous ne pouvons jamais être libre, sera entendu dans le monde entier.
Toute personne a droit à la liberté d’opinion et d’expression; ce droit comprend la liberté d’avoir des opinions sans interférence et de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées par le moyen de tout support sans considération de frontières.
Notre monde est plus sûr quand les journalistes ont la liberté de dénoncer la corruption et de demander des comptes aux plus puissants, et ceci est exactement ce que Khadija Ismayilova a fait en Azerbaïdjan.
Le 28 janvier 2015. L’avocate des droits humains Amal Clooney arrive pour assister à une audition à la Cour européenne des droits humains à StrasbourgREUTERS/Vincent Kessler