Bien qu’il ait longtemps été considéré comme ayant l’un des environnements médiatiques les plus ouverts et les plus diversifiés dans une région dominée par les dictatures, le Liban n’est pas étranger aux restrictions à la libre expression.
Bien qu’il ait longtemps été considéré comme ayant l’un des environnements médiatiques les plus ouverts et les plus diversifiés dans une région dominée par les dictatures, le Liban n’est pas étranger aux restrictions à la libre expression.
Ce qui rend le cas libanais si unique, c’est que, contrairement aux autres pays arabes où l’ingérence du gouvernement constitue l’obstacle le plus important entre le journaliste et sa liberté de couvrir la nouvelle, les restrictions au Liban trouvent leur origine dans les structures sectaires et politiques du pays.
Les médias libanais sont relativement libres d’ingérence gouvernementale le pays étant gouverné par une coalition de personnages issus des institutions tribales et sectaires qui sont souvent en conflit les uns avec les autres lorsqu’il est question de l’exercice des pouvoirs.
Ces dirigeants politiques et religieux possèdent et contrôlent en outre la plupart des stations de télévision, des réseaux de radio et des journaux du Liban, ce qui explique pourquoi les Libanais jouissent d’un accès à un vaste éventail d’opinions et de perspectives. Toutefois, cela ne laisse pas de place dans les médias grand public à une couverture objective ou neutre susceptible de servir la société libanaise dans son ensemble.
Pendant que s’amenuise l’espace de la libre expression dans les médias traditionnels du Liban, la popularité des blogues s’accroît. Depuis l’assassinat de Rafik Hariri en 2005, qui a creusé encore davantage le fossé sectaire, de plus en plus de Libanais se sont mis à chercher des blogues pour accéder à des commentaires indépendants et sans parti pris sur la situation politique et sociale du pays.
Mais les blogueurs et les journalistes en ligne n’échappent pas entièrement aux pressions que vivent les médias grand public du pays. La menace la plus sérieuse à laquelle ils sont confrontés au Liban à l’heure actuelle, ce sont les lois du pays sur la diffamation.
Un Bureau de lutte contre le cyber-crime a été créé en 2006 dans le but de fournir au ministère public l’expertise technique nécessaire pour s’attaquer à la criminalité liée à l’Internet. Le bureau est rattaché à l’Unité spéciale des enquêtes criminelles des Forces de sécurité intérieure (FSI), mais n’a pas été créé selon les règles. Il y a en outre absence générale de clarté en ce qui concerne les attributions et le mandat du bureau. Depuis quelque temps, plusieurs journalistes et blogueurs sont convoqués par le bureau pour subir des enquêtes criminelles exhaustives au sujet d’affirmations faites en ligne.
Maharat News, une plateforme multimédia dirigée par la Fondation Maharat du Liban, groupe membre de l’IFEX, a rapporté ces derniers mois trois affaires dans lesquelles des blogueurs ont été la cible de harcèlement judiciaire pour des propos publiés sur leurs blogues.
Le 13 mars, l’éminent blogueur et journaliste en ligne Imad Bazzi a été interrogé pendant trois heures par le Bureau de lutte contre le cyber-crime, après que l’ancien ministre d’État Panos Mangyan eut déposé contre lui une poursuite en diffamation. Dans sa plainte, Mangyan vise un texte affiché sur un blogue que Bazzi a écrit en décembre dernier, dans lequel il citait un abus de pouvoir qu’aurait commis l’ancien ministre. Cette affaire a été déférée à la cour pour être poursuivie.
Ce n’est pas la première fois que Bazzi est harcelé à cause de ce qu’il écrit. À plusieurs reprises ces dernières années, il a été arrêté, interrogé et intimidé, comme d’autres le sont qui critiquent un personnage public ou une institution au Liban.
Le 20 mars 2014, Reporters sans frontières (RSF) a publié un long article qui relate de manière exhaustive les verdicts rendus récemment contre des journalistes et des entreprises de presse par le tribunal des publications du pays, créé pour régler les litiges en matière de diffamation.
Trois des journalistes mentionnés dans le dossier de RSF ont été poursuivis pour diffamation après avoir publié des articles qui dénonçaient la corruption.
Selon Maharat News, l’affaire de la blogueuse et activiste Rita Kamel, poursuivie pour avoir traité dans son blogue d’une possible tentative de fraude par les organisateurs des récompenses décernées par l’Académie Panarabe du Web, a également été déférée au tribunal des publications.
Layal Bahnam, agente de programme à Maharat, a souligné que, mis à part le fait qu’ils ont maintenant une certaine influence dans la formation de l’opinion publique de par leur présence sur les sites de réseautage social, les blogueurs du Liban subissent de plus en plus de harcèlement judiciaire parce qu’ils sont indépendants. « Ils ne sont affiliés à aucun parti politique, ce qui fait d’eux le maillon le plus faible, par opposition aux journalistes qui ont le soutien des entreprises de presse pour lesquelles ils travaillent », indique-t-elle.
Les blogueurs et les activistes n’ont pas manqué de dénoncer cette violation de leur droit de s’exprimer librement.
Gino Raidy, autre éminent blogueur, identifié en septembre 2013 par le magazine Rolling Stone comme « le plus gros blogueur de Beyrouth », a publié une relation détaillée de sa rencontre avec le Bureau de lutte contre le cyber-crime. Une plainte a été déposée contre Raidy par une entreprise de commerce électronique qui l’accusait de diffamation suite à un article dans lequel il critiquait un de ses produits.
Pour conclure, Raidy a souligné la gravité de la situation que vivent les blogueurs à l’heure actuelle au Liban. « Qu’une affaire de calomnie et de diffamation soit déférée à un tribunal pénal et qu’une enquête criminelle soit ouverte est tout simplement affreux. Vous n’avez pas le droit d’être accompagné d’un juriste, et cela fait peur. Il faut se présenter en personne pour inscrire une déposition sous peine d’être détenu pendant 48 heures, peine qui est renouvelable, et on tente en plus de vous piéger en vous faisant signer un engagement qui par son libellé vous incrimine. Tout cela constitue nettement de l’intimidation, et cela arrive beaucoup trop souvent au Liban. »
Les blogueurs et les activistes de partout au Liban ont en outre exprimé leur indignation en se joignant à une campagne en ligne lancée par Maharat. Au moyen du mot diésé #NotACriminal, en arabe et en anglais, les gens se tournent vers Twitter pour protester.
Lorsque vient le temps d’illustrer avec quelle détermination les citoyens libanais protègent leur droit à la libre expression et luttent pour le préserver, c’est Bazzi qui le résume le mieux en disant dans sa biographie sur Twitter : « Changer le Liban, un kilo-octet à la fois ».