Parmi les choses particulièrement gênantes pour les défenseurs de la liberté d'expression, il y a la législation qui criminalise le large concept et vaguement défini d'« apologie du terrorisme ». A la suite des poursuites en Espagne et en France, cette tendance semble vouloir s'étendre à l'échelle de l'UE.
L’une des fonctions les plus importantes d’un gouvernement démocratique est celle de protéger notre droit de nous exprimer librement en nous assurant d’un niveau de sécurité suffisant qui puisse nous permettre de jouir de ce droit sans que ce dernier ne soit indûment restreint par ces mêmes mesures de sécurité. Cette équation liberté-sécurité est l’une de celles qui ont été longuement débattues par les philosophes politiques et les avocats. C’est aussi celle au sujet de laquelle les gouvernements se trompent souvent. Et ils sont plus susceptibles de se tromper lorsque le terrorisme intervient dans l’équation.
Parmi les choses particulièrement gênantes pour les défenseurs de la liberté d’expression, il y a la législation qui criminalise le large concept et vaguement défini d’« apologie du terrorisme ». En 2016, Ben Emmerson, le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits humains et des libertés fondamentales en rapport avec le terrorisme, a mis en garde contre la « tendance troublante de pénaliser ‘l’apologie’ du terrorisme ». « Les gouvernements, a-t-il dit, « doivent faire attention dans leurs réponses à la dangereuse zone grise de l’expression où la parole n’est pas un appel direct à l’action, mais plutôt elle prépare le terrain à une action violente ». Mettant l’accent sur la menace potentielle à la liberté d’expression, il a noté que certains États avaient exploité « ces concepts mal définis pour supprimer l’opposition politique ou la dissidence idéologique ».
Cette problématique a fait les manchettes des médias du monde en janvier, lorsqu’un tribunal espagnol a condamné un rappeur, Cesar Montaña Lehman (également connu sous le nom de Cesar Strawberry), à une peine d’emprisonnement d’un an pour « apologie du terrorisme » et « humiliation de ses victimes ». Lehman a été reconnu coupable sur base d’une série de tweets d’un humour noir qu’il a envoyés en 2013- 2014. Parmi les tweets considérés comme criminels, il y avait une déclaration selon laquelle il voulait envoyer au roi d’Espagne une « bombe en guise de gâteau » pour son anniversaire et une question: « Combien d’autres devraient suivre le vol de Carrero Blanco »? (Carrero Blanco était un premier ministre de l’époque de Franco qui a été tué par l’explosion d’une bombe de l’ETA en 1973).
L’Espagne prend très au sérieux l’« apologie du terrorisme ». En mai 2015, Lehman a été arrêté dans le cadre de l’« Opération Araignée » (dans laquelle la police a ratissé les médias sociaux à la recherche de déclarations qui pourraient être qualifiées d’« apologie du terrorisme »). D’autres ont également été condamnés. En 2015, il y avait eu 19 condamnations pour « apologie du terrorisme »; en 2016, il y en avait eu 27 autres. Présentement, Cassandra Vera, une étudiante de 21 ans qui a également tweeté des blagues sinistres sur Carrero Blanco risque jusqu’à deux ans et demi de prison pour « humiliation des victimes » du terrorisme. Dans ce cas, la petite-fille de la victime a condamné les poursuites les qualifiant de « folie ».
Ces affaires sont instruites en vertu de l’article 578 du Code juridique espagnol, qui prévoit des peines allant d’un à trois ans de prison. Au Royaume-Uni, la loi de 2006 sur le terrorisme criminalise aussi l’ « apologie du terrorisme » en usant de ce qui a été critiqué comme étant un langage « vague » (telle que « louer ou célébrer ») pour définir l’infraction. Mais la législation du Royaume-Uni contient une clause selon laquelle l’accusation ne devrait être appliquée seulement quand « le public pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce qui est célébré soit glorifié comme un comportement qui devrait être émulé par eux dans les circonstances données ». La loi du Royaume-Uni met en exergue l’intention.
Il y a un argument très solide à faire valoir, à savoir que le droit de Lehman à la liberté d’expression, tel que garanti par l’article 19 du PIDCP, a été violé. Et il est peu probable qu’une personne raisonnable soutienne sérieusement qu’il incitait intentionnellement à commettre des actes terroristes. Mais le Code pénal espagnol ne fait aucune référence à l’intention lorsqu’il s’agit de « louer le terrorisme » ou d’« humilier les victimes ». Comme l’a soutenu la Cour suprême dans l’affaire Lehman, l’intention est « sans importance ».
En 2008, l’ancien Rapporteur spécial des Nations-unies sur la promotion et la protection des droits humains et des libertés fondamentales en rapport avec la lutte contre le terrorisme a averti l’Espagne au sujet de l’imprécision du mot « glorification », en conseillant qu’un « terme vague… ne doit pas être utilisé pour restreindre l’expression, et que toute mise en accusation pour incitation au terrorisme devrait inclure les exigences de l’intention d’inciter à la perpétration d’une infraction terroriste, ainsi que l’existence d’un risque réel qu’une telle infraction soit commise en conséquence ». L’Espagne, manifestement, n’a pas suivi ses conseils.
De l’autre côté des Pyrénées, la France a une législation toute aussi inquiétante. Depuis novembre 2014, « L’apologie du terrorisme » est une infraction pénale dans ce pays. Elle est punissable de cinq ans de prison et d’une amende pouvant aller jusqu’à 75 mille euros. Toutefois, si l’infraction est commise en ligne, la peine passe à sept ans de prison et une amende pouvant aller jusqu’à 100 mille euros. Les arrestations et les condamnations en rapport avec cette accusation se sont intensifiées au cours des semaines qui ont suivi les attaques terroristes de janvier et novembre 2015 (en janvier, il y avait eu 298 poursuites ; en novembre et décembre plus de 800). Certaines condamnations sont très sévères: en mai 2016, un homme de 25 ans a été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis pour avoir griffonner « Vive Daesh » sur un mur de toilette. La condamnation la plus célèbre a été celle du comédien français Dieudonné M’bala M’bala qui a été condamné, en mars 2015, à une peine d’emprisonnement avec sursis de deux mois pour « tolérance du terrorisme ». M’Bala (précédemment condamné pour des propos haineux pour avoir fait des blagues anti sémites) était accusé sur base d’un post sur Facebook dans lequel il disait « Je me sens Charlie Coulibaly ». M’bala jouait avec des mots, combinant Charlie Hebdo avec Amedy Coulibaly (Coulibaly a pris part à plusieurs fusillades au même moment que les tueries de Charlie Hebdo).
De manière inquiétante, « glorifier le terrorisme » semble devenir une infraction pénale dans l’UE au début de 2017. En novembre 2016, les négociateurs du Parlement et du Conseil de l’UE se sont mis d’accord sur la version finale d’une Directive sur la lutte contre le terrorisme. Le texte de la directive stipule que des activités telles que la « glorification des actes terroristes », lorsqu’elles « préconisent, directement ou indirectement, la commission d’infractions terroristes », sont punissables en tant qu’infraction pénale. Elle stipule également qu’« un tel comportement devrait être punissable lorsqu’il cause un danger tel que des actes terroristes risquent d’être commis » (tous les italiques sont de moi). Les groupes de défense des droits ont critiqué le langage trop large du texte qui pourrait criminaliser une expression qui est simplement stupide ou désagréable (comme dans les cas de Lehman, Vera et M’Bala) et qui laisse la porte ouverte de façon alarmante aux gouvernements qui voudraient réduire la liberté de la parole et des droits de protestation.
Toutefois, la Directive donne une importance insignifiante à l’intention et au contexte:
« Dans chaque cas concret, lorsqu’on examine la question de savoir si un tel danger est causé, il faut tenir compte des circonstances spécifiques de l’affaire telles que l’auteur et le destinataire du Message, ainsi que le contexte dans lequel l’acte est commis. L’importance et la crédibilité de la nature du danger devraient également être prises en considération lors de l’application de cette disposition conformément à la législation nationale ».
Les organisations de défense des droits humains ont critiqué le processus législatif qui a conduit ce projet pour sa précipitation et l’absence de consultation avec la société civile. La Directive a été appuyée par le Comité des libertés civiles de l’UE en décembre 2016 et devrait être soumise au vote en plénière en février 2017. Les États membres de l’UE disposeront alors de 18 mois pour s’assurer que ses dispositions puissent être appliquées. « Le Royaume-Uni et l’Irlande ne seront pas liés par la Directive », dit un communiqué de presse, « mais peuvent informer la Commission européenne de leur intention de l’appliquer, s’ils le souhaitent. Le Danemark ne sera pas concerné par la Directive ».