Tandis que le gouvernement mexicain s’efforce d’aligner ses lois sur les communications sur la réalité de l’ère numérique, des groupes de la société civile et des citoyens agissant à titre personnel, dans la rue et en ligne, exigent que leur accès à l’Internet reste libre de restrictions.
Le gouvernement mexicain est en train de procéder à une mise à niveau de ses lois sur les communications en ligne afin qu’elles correspondent à la réalité de l’ère numérique. Il affirme que sa proposition de Ley de Telecomunicaciones y Radiodifusión, c’est-à-dire la Loi sur les télécommunications et la radiodiffusion, que le Président Enrique Peña Nieto (EPN) a déposée le 24 mars 2014, constitue un supplément tout à fait nécessaire aux lois existantes et qu’elle est « conçue pour rétablir l’équilibre du pouvoir entre les géants qui dominent le marché et les petits joueurs ».
La vérité est quelque peu plus compliquée. Le directeur général de l’ONG mexicaine Centro Nacional de Comunicación Social (Cencos), Omar Rábago, a écrit dans un blogue que l’intention derrière l’initiative de Peña Nieto semble être la volonté du gouvernement de « continuer à donner à des groupes économiques et à certains intérêts préséance sur ses obligations et ses responsabilités de respect et de garantie les droits fondamentaux ». Ce projet de loi aurait pour résultat de ne tenir aucun compte de la neutralité de la Toile, d’exiger que les sociétés de télécommunications conservent les données des usagers sur leurs communications et, dit l’Electronic Frontier Foundation (EFF), d’ignorer complètement la demande publique de lieux plus accessibles d’utilisation de l’internet.
Si tout cela vous semble familier, c’est parce que le Mexique est le dernier pays d’Amérique latine à déposer une nouvelle loi sur les communications, et qu’elle arrive dans le sillage de réformes survenues en Argentine, en Équateur et en Uruguay.
Il s’agit d’une certaine manière d’une vague de changements au ralenti; les gouvernements commencent à peine à comprendre le pouvoir et le potentiel que recèle l’expression en ligne, autant comme moyen pour leurs citoyens d’exprimer leurs critiques que comme précieuse source de données sur ceux qui formulent ces critiques. Cela constitue cependant une vague qui menace de balayer la liberté dont tant de gens se sont emparés dans des endroits qui autrement étaient connus pour faire taire la dissidence.
Lors de son passage devant le Sénat du Mexique le 8 mai dernier, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la protection et la promotion du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Frank La Rue, a recommandé que les sénateurs prennent le temps de consulter d’autres pays, comme le Brésil et l’Uruguay, sur le processus de dépôt de ce type de nouvelle loi. Il a fait remarquer que l’on devrait, dans ce processus, écouter en priorité ce que les gens ont à dire.
Au cours des derniers mois, un grand nombre d’organisations, dont des membres de l’IFEX comme ARTICLE 19, Cencos, EFF et Reporters sans frontières (RSF), ont fait part de leur inquiétude devant ce projet de loi, mais il semble que les autorités font la sourde oreille à leur inquiétude.
Des protestations et des actions de masse contre le projet de loi ont éclaté dans les rues du Mexique. Le 26 avril à Mexico, la police a procédé au démantèlement d’une chaîne humaine avant que celle-ci ne relie la résidence du président et les bureaux de Televisa, le deuxième conglomérat de médias en importance d’Amérique latine, une distance de 7 kilomètres.
mexicainos en Helsinki, Finlandia, se unen simbólicamente a la #CadenaHumana para #DefenderInternet pic.twitter.com/wBl9n1Eshi vía @ContingenteMX
— Jacobo Nájera (@jacobonajera) mai 6, 2014
(Des Mexicains de Helsinki, en Finlande, se joignent symboliquement à la chaîne humaine pour la défense de l’Internet.)
Des manifestants en ligne se sont aussi montrés particulièrement actifs, créant quantité de hashtags à propos du projet de loi : #LeyTelecom, #DefenderInternet, #ContraElSilencioMX, #NoMásPoderAlPoder et #EPNvsInternet, qui ont trait au président (Enrique Peña Nieto) et à ses gestes perçus contre l’Internet. On a aussi lancé des campagnes en ligne, comme #InternetLibreMX, une initiative citoyenne qui s’efforce de défendre les droits de la personne en ligne, et 1111mex.org qui met en lumière 11 problèmesque présente la loi et 11 moyens d’agir.
Hace un mes EPN le declaró la guerra al Internet.
Hoy, un día antes del #DiadeInternet, hacen un festejo. #EPNvsInternet: la amenaza sigue.
— OnceOnce (@1111mx) 16 mai 2014
(Cela fait un mois que EPN a déclaré la guerre à l’Internet. Aujourd’hui, à la veille de la Journée de l’Internet, il y a une fête. #EPNvsInternet: la menace perdure)
À la mi-avril, de violentes manifestations à Mexico ont incité le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), au pouvoir, à reculer sur la proposition de législation. Le 22 avril, le gouvernement a retiré une disposition qui aurait contraint les sociétés de télécommunications à fournir l’emplacement géographique de leurs usagers sur demande des services de renseignement. C’était une mince victoire pour les manifestants, mais il reste bien d’autres dispositions controversées dans le projet de loi. Poursuivez votre lecture pour en savoir plus sur les menaces que pose la Ley de Telecomunicaciones y Radiodifusión :
Vie privée
Selon l’EFF, les sociétés de télécommunications seront tenues de conserver les données sur les usagers pendant une période allant jusqu’à 12 mois, compromettant l’anonymat en ligne nécessaire pour les lanceurs d’alertes et les journalistes, et la vie privée générale de tous les utilisateurs de l’Internet.
Neutralité de la Toile
L’idée de neutralité de la Toile – à savoir que toute l’information en ligne doit être traitée de la même façon, quel qu’en soit le contenu, et que tout le monde, de n’importe où dans le monde, puisse accéder à tous les types de contenu, en tout temps, sur Internet – serait menacée aux termes de la nouvelle loi. Les entreprises de télécommunications seraient autorisées à offrir des services de vitesses et de qualités diverses, ce qui pourrait créer un système à étages qui forcerait les gens à payer plus pour accéder à certains types d’informations ou à certains sites. D’après ARTICLE 19, cela serait contraire à la constitution mexicaine, à la Convention américaine relative aux droits de l’homme, ainsi qu’au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Manifestations et liberté d’expression
La Déclaration conjointe sur la Liberté d’expression et l’Internet, qui émane des divers rapporteurs sur la libre expression de l’ONU, de l’OEA, de l’OSCE et de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, affirme que « Bloquer l’accès à l’Internet, ou à des éléments de l’Internet, à des populations entières ou à des parties du public… ne peut jamais se justifier, ni par le souci de préserver l’ordre public, ni pour des raisons de sécurité nationale. » C’est exactement ce que ferait la Loi sur les télécommunications, qui permettrait d’interrompre la prestation du service de l’Internet dans des régions particulières en période d’instabilité politique « pour des raisons de sécurité publique et de sécurité nationale, à la demande des autorités compétentes ». En février, l’accès à l’Internet aurait été interrompu dans au moins une région particulière du Venezuela lors des grandes manifestations du début de l’année. Cette portion de la loi permettrait non seulement de censurer les communications si on jugeait qu’elles constituent une menace pour l’ordre public, mais elle empêcherait aussi les gens d’organiser des manifestations au moyen de divers réseaux.
La prochaine phase du débat sur le projet de loi est prévue pour juin.