Le journaliste colombien de radio Nelson Carvajal Carvajal dénonçait la corruption locale; il a été assassiné en 1998 et ses assassins jouissent de l'impunité. Les 22 et 23 août 2017, la Cour interaméricaine des droits humains a entendu l'affaire Carvajal au Costa Rica, que l'IAPA a qualifiée d' « évènement marquant dans la lutte contre l'impunité ».
« La justice doit être faite. Ce n’est pas une question de harcèlement de qui que ce soit; nous, la famille et l’Association interaméricaine de presse (IAPA) avons le droit de connaître la vérité ».
Dans la soirée du 16 avril 1998, le nom de Nelson Carvajal Carvajal a été ajouté à la longue liste de journalistes colombiens assassinés pour leur travail et dont les assassins restent impunis. Il a été abattu de sept balles par un assaillant inconnu alors qu’il quittait Los Pinos, l’école locale de Pitalito, dans la province de Huila, où il travaillait également comme enseignant.
Carvajal, 37 ans à l’époque des faits, était journaliste depuis 1986. Il était rédacteur en chef de la chaîne d’information Noticiero Momento Regional et des magazines radiophoniques Mirador de la Semana et Amanecer en el Campo. Il présentait également une émission sur Radio Sur de RCN Radio dans la municipalité de Pitalito.
Carvajal était connu pour son travail qui dénonçait la corruption locale (y compris l’utilisation abusive des fonds publics et le blanchiment d’argent liés au trafic de drogue). Ce genre de journalisme serait une entreprise risquée partout, mais c’était particulièrement le cas en Colombie, où plus de 40 journalistes ont été tués depuis 1992.
Aujourd’hui, sa famille ne sait toujours pas la vérité sur ce qui s’est passé parce que l’enquête sur la mort de Carvajal et les poursuites subséquentes de trois suspects étaient tellement calamiteuses.
Peu de temps avant sa mort – et dans sa dernière prestation radio – Carvajal avait fait une série d’allégations explosives de corruption contre une entreprise locale de construction. Après cela, il avait été visité à son école par un groupe d’hommes inconnus; ce dont ils ont parlé reste inconnu, mais selon les témoins, Carvajal était visiblement ébranlé par la suite.
Trois hommes (y compris le promoteur immobilier dont l’entreprise avait été accusée de corruption par Carvajal) ont été inculpés et jugés, mais ont finalement été acquittés en décembre 2000.
L’ensemble de la procédure a été entaché d’irrégularités. L’affaire est passée entre les mains de quatre procureurs, dont certains ont refusé d’entendre des témoins qui s’étaient présentés. Plus inquiétant encore, les identités de plus de 20 autres témoins (qui avaient témoigné en secret) ont été révélées, les laissant à la merci des intimidations.
Un membre de l’IFEX, l’Association interaméricaine de la presse (IAPA), a mené sa propre enquête sur les circonstances entourant le meurtre de Carvajal. En 2002, il a soumis un rapport à la Commission interaméricaine des droits humains (IACHR). L’IAPA soutient qu’il y a eu de multiples violations de la Convention américaine des droits humains aussi bien dans le meurtre que dans l’enquête officielle subséquente sur la mort de Carvajal. Y compris des violations du droit à la vie, du droit à la justice et du droit à la liberté d’expression.
Mais dans les pays où les taux de corruption sont élevés, la justice évolue lentement et les proches des victimes sont souvent privés de protection adéquate face aux criminels. C’était certainement le cas de la famille de Carvajal.
En octobre 2005, le quotidien colombien El Tiempo a publié un article selon lequel l’IAPA avait rencontré des membres du gouvernement colombien afin d’explorer les voies et moyens de garantir la justice pour Carvajal. Cela a déclenché une campagne systématique d’intimidation dirigée contre la famille de Carvajal.
Dans la soirée du 25 octobre 2005, un homme inconnu à moto a suivi Gloria Carvajal (l’une des sœurs du journaliste) jusqu’à sa porte, lui a montré une copie de l’article d’El Tiempo et a averti: « Continuez ce manège et vous verrez comment ça se termine »! En décembre, la veuve de Carvajal, Estela Bolaños, a rapporté que leurs filles jumelles de douze ans avaient été harcelées par des hommes non identifiés. En avril 2006, Estela a reçu un message qui contenait des images d’un crâne, des pierres tombales (portant les noms de ses filles) et ces mots: « Continuez à enquêter et vous finirez comme ça ». En juillet 2006, Estela a reçu une autre menace de mort par téléphone. Le mois suivant, Gloria Carvajal, Estela et ses filles ont fui la Colombie.
De 2005 à 2009, l’IAPA a continué à rechercher une solution à l’affaire par le biais de négociations avec le gouvernement colombien et l’IACHR. Cependant, ces pourparlers n’ont abouti à rien et l’IAPA a demandé à l’IACHR d’envoyer l’affaire à la Cour interaméricaine des droits humains pour examen.
L’IACHR a renvoyé l’affaire à la Cour interaméricaine des droits humains en 2015. Le propre rapport de l’IACHR sur l’affaire était accablant. Il disait qu’il y avait des preuves suffisantes pour conclure que Carvajal avait été assassiné « afin de réduire au silence son travail journalistique qui révélait les activités illégales qui ont été menées avec la bénédiction des autorités locales », qu’il y avait « des indications que les employés de l’Etat étaient impliqués dans ces activités illégales … sur lesquelles on a pas enquêté avec la diligence nécessaire », que l’Etat avait manqué de fournir « des mesures de protection adéquates face aux menaces reçues par des membres de la famille et des témoins », et que cela avait « découragé la famille pour participer à la procédure judiciaire et entravé la poursuite de l’affaire ».
L’IACHR a jugé que la Colombie était responsable de la violation de la Convention américaine des droits humains au détriment de Carvajal et de sa famille et a recommandé que l’affaire soit rouverte.
Les 22 et 23 août 2017, la Cour interaméricaine des droits humains a entendu l’affaire Carvajal au Costa Rica; l’IAPA et l’organisation des droits humains Robert F. Kennedy représentaient l’affaire. L’IAPA a qualifié cela « d’un évènement marquant dans la lutte contre l’impunité ».