Plus de 150 membres de l'IFEX et les partenaires d'ARTICLE 19 invitent le Président des États-Unis, Barack Obama, à abandonner les chefs d'accusation portés contre le lanceur d'alerte Edward Snowden, à mettre à jour la Loi sur la protection des lanceurs d'alertes (Whistleblower Protection Act) et à adopter une loi pour protéger les médias.
Dans une lettre conjointe, plus de 150 membres de l’IFEX et partenaires d’ARTICLE 19 prient instamment le Président Obama des États-Unis de renoncer aux accusations portées contre le lanceur d’alerte Edward Snowden, de mettre à jour la Loi sur la protection des lanceurs d’alertes (Whistleblower Protection Act) et d’adopter une loi qui protège les médias. La lettre, dont l’initiative revient à ARTICLE 19, se lit comme suit :
Monsieur le Président Barack Obama
Maison Blanche
Washington, DC
États-Unis d’Amérique
CC:
Eric Holder, ministre de la Justice
John Kerry, Secrétaire d’Etat
le 5 août 2013
Monsieur le Président,
Nous nous adressons à vous au nom d’un collectif d’organisations de défense de la liberté d’expression et de la liberté des médias qui souhaitent exprimer leur profonde préoccupation concernant la réponse du gouvernement américain aux révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden. Nous vous prions de prendre des mesures immédiates afin de protéger les lanceurs d’alerte et les journalistes.
Les dernières révélations d’Edward Snowden ont déclenché un grand débat public, nécessaire et tardif, sur les limites acceptables de la surveillance exercée dans un État démocratique, débat que vous avez vous-même appelé de vos voeux le 5 juin dernier. Ces révélations ont remis en cause la légitimité de la procédure secrète de la Foreign Intelligence Surveillance Court et des commissions du Congrès sur les services de renseignement en tant que forums aptes à déterminer les droits humains fondamentaux des Américains et des citoyens dans le monde. Ces révélations ont clairement servi l’intérêt général, en déclenchant notamment des débats similaires à travers le monde entier.
Nous sommes de ce fait consternés que des poursuites pénales aient été engagées contre Edward Snowden, en particulier en vertu du Espionnage Act de 1917, une loi floue et trop large. Les déclarations du Département d’État niant à Edward Snowden le statut de lanceur d’alerte en raison de la nature des accusations portées contre lui va catégoriquement à l’encontre des normes internationales relatives à la liberté d’expression et d’information. Les tentatives d’obstruction de sa liberté de mouvement, de son droit de demander l’asile, la révocation de son passeport américain et d’autres mesures de rétorsion constituent une violation des obligations auxquelles sont soumis les États-Unis au titre du droit international.
Les accusations portées contre Snowden ne sont malheureusement pas un incident isolé. Sous votre administration, un nombre sans précédent de poursuites ont été engagées contre des lanceurs d’alerte, et des enquêtes à caractère intrusif ont été lancées en vue d’identifier les sources des journalistes qui révèlent des informations sensibles dans l’intérêt général. Cette tendance obsessionnelle du gouvernement américain à contrôler l’information, et son aversion pour le discours public sont anti-démocratiques et ne peuvent pas durer à l’ère du numérique.
Nous estimons que ces mesures constituent dans leur ensemble un précédent dangereux pour la protection des lanceurs d’alerte et des journalistes dans le monde. Vous n’êtes pas sans savoir que ces derniers sont fréquemment attaqués en justice quand ils révèlent des informations très embarrassantes pour des gouvernements dans le but d’occulter leurs actes répréhensibles. De même, des journalistes sont attaqués pour la publication d’informations. Nous jugeons extrêmement préoccupant que les gouvernements s’inspirent des États-Unis pour justifier des attaques contre des lanceurs d’alerte et des journalistes qui se mettent en péril pour dénoncer ou révéler des actes répréhensibles du gouvernement, des faits de corruption ou autres dangers pour la société.
Les États-Unis reconnaissent depuis longtemps le rôle essentiel des lanceurs d’alerte pour la démocratie, à commencer par la loi de 1863 d’Abraham Lincoln, The False Claim Act. Si le Whistleblower Protection Act de 2009 se fonde sur les protections garanties par cette loi, la protection des informations divulguées dans l’intérêt général et touchant à la sécurité nationale ou aux renseignements en est exclue. Alors que la récente Presidential Policy Directive/PPD-19 relative à la « Protection des lanceurs d’alerte avec accès à des informations classifiées » et la directive sur la protection des privilèges des reporters du Procureur général Eric Holder sont positives, ces politiques n’ont aucun caractère contraignant et ne garantissent aucune protection ni recours juridique à des lanceurs d’alerte ou des journalistes cherchant à défendre la divulgation d’informations. Par conséquent, des protections juridiques plus larges sont nécessaires dans ce domaine.
Nous invitons votre administration à prendre les mesures suivantes :
• Abandonner les charges avec préjudice contre Edward Snowden.
• Rétablir sans délai le passeport d’Edward Snowden et mettre fin aux tentatives d’obstruction de son droit à demander l’asile dans tout pays de son choix.
• Entamer une consultation publique sur les activités de la National Security
Agency.
• Ordonner au ministère de la Justice de déclassifier et de rendre public tous les ordres émis en vertu du Foreign Intelligence Surveillance Act.
• S’engager à faire adopter par le Congrès une prorogation du Whistleblower Protection Act et à réviser le Espionage Act afin de garantir des protections appropriées et juridiquement contraignantes aux lanceurs d’alerte révélant des informations touchant à la sécurité nationale et aux renseignements.
• Continuer à soutenir l’adoption par le Congrès d’une « loi bouclier de protection des médias » stricte et solide avec des restrictions limitées pour les informations relatives à la sécurité nationale.
Nous vous prions d’agréer, monsieur le Président, l’expression de notre considération.