À l'occasion de la Journée internationale pour l'Élimination de la violence contre les femmes, le 25 novembre 2010, 44 membres de l'IFEX, y compris les membres du Groupe de travail de l'IFEX sur le genre, attirent l'attention sur la situation des femmes au sein de la communauté des défenseurs de la libre expression qui subissent des attaques ciblées à cause de leur sexe.
(FIJ/IFEX) – À l’occasion de la Journée internationale pour l’Élimination de la violence contre les femmes, 44 membres de l’IFEX, y compris les membres du Groupe de travail de l’IFEX sur le genre, attirent l’attention sur la situation des femmes au sein de la communauté des défenseurs de la libre expression qui subissent des attaques ciblées à cause de leur sexe :
Madame Michelle Bachelet
Secrétaire générale adjointe à l’Égalité des genres et à l’habilitation des Femmes (ONU-Femmes)
a/s Organisation des Nations Unies
First Avenue at 46th Street
New York, NY 10017
USA
Madame,
Nous tenons à vous féliciter pour les fonctions que vous allez assumer à la tête d’ONU-Femmes, et aussi saluer la décision des Nations Unies d’examiner plus activement les violations et la discrimination contre les femmes. Cela est particulièrement important tandis que nous nous approchons du 25 novembre 2010, Journée internationale pour l’Élimination de la violence contre les femmes, et du 15e anniversaire de la Déclaration de Beijing et de la Plate-forme de Beijing pour l’action.
Les membres de l’Échange international de la liberté d’expression (IFEX), ceux notamment du Groupe de travail de l’IFEX sur le genre, souhaitent attirer votre attention sur la situation des nombreuses femmes de notre communauté qui subissent des attaques ciblées à cause de leur sexe. Cela est particulièrement le cas dans les pays où la liberté de parole n’est pas protégée. Malheureusement, dans bien des parties du monde, une culture d’impunité et des systèmes judiciaires défaillants signifient que la majorité des crimes contre les femmes ne font bien souvent par le cas d’une enquête et restent donc impunis.
Les femmes qui rapportent la nouvelle sur des questions d’intérêt public ou qui défendent les droits de la personne courent souvent des risques pour se faire entendre. Les défis auxquels les femmes font face vont bien des médias traditionnels et du cyberespace. Cette année nous avons assisté à une tendance inquiétante à un accroissement du nombre des incidents d’intimidation, des agressions et des cas d’incarcération des femmes blogueuses et des militantes.
Au Viêt-nam, les autorités ont arrêté Le Nguyen Huong Tra, parce qu’elle aurait diffamé un haut dignitaire du Parti communiste et sa famille. Plus tôt cette année, Lu Thi Thu Trang, activiste sur Internet associée à un groupe pro-démocratie, a été tabassée par des officiers de la police devant son fils de cinq ans et de nouveau au poste de police. En Thaïlande, la directrice générale du site web de nouvelles indépendant Prachatai.com, Chiranuch Premchaiporn, subit de fréquents épisodes de harcèlement judiciaire parce qu’elle fait la promotion de la libre expression. En septembre, elle a été arrêtée et accusée de n’avoir pas retiré assez rapidement des documents estimés « insultants pour la monarchie ». Elle est passible d’une peine ahurissante de 82 ans de prison.
Les femmes journalistes et les militantes des droits continuent à subir la violence ailleurs; souvent elles sont prises à partie tant pour leurs opinions exprimées publiquement que pour leur sexe. En Colombie, par exemple, Norma Irene Perez, militante des droits de la personne, a été assassinée en août, peu après avoir participé à une manifestation pour exiger la tenue d’une enquête sur un charnier qui contiendrait les corps de plusieurs milliers de Colombiens tués par l’armée. La journaliste Claudia Ayola Escalón, chroniqueuse à Cartagena, a reçu par courriel des menaces de mort la prévenant que « le temps est venu de payer pour ce que tu écris ». La menace s’étendait à sa fille en bas âge. Les écrits d’Ayola portent fréquemment sur les questions politiques et sociales, les droits de la personne et la sexualité. Elle venait tout juste d’écrire un article sur la violence dirigée contre les femmes.
Au Mexique, considéré maintenant comme l’un des pays les plus dangereux pour les journalistes, l’écrivaine et militante des droits des femmes Lydia Cacho continue de subir l’intimidation, le harcèlement et les menaces, surtout parce qu’elle couvre les agressions sexuelles et le trafic de personnes. Les employées et les clientes du Centre d’Attention des Femmes – Centro Integral de Atención a la Mujer, un centre fondé par Cacho à l’intention des femmes violentées, ont été menacées par la police. Selon le Centro Nacional de Comunicación Social (CENCOS), le Mexique n’a aucun mécanisme pour assurer la protection des femmes journalistes.
L’Iran, qui a perdu récemment une tentative pour obtenir un siège au Conseil des Nations Unies pour les Femmes, est connu pour le traitement abominable qu’il réserve aux femmes. Il y a tellement de femmes en prison en Iran que nous ne pouvons en dresser la liste des noms au complet. La blogueuse militante des droits de la personne Shiva Nazar Ahari, du Comité des reporters des droits de la personne (Committee of Human Rights Reporters), condamnée à six ans de prison en septembre, risque la peine de mort, tandis que Jila Baniyaghoub a été emprisonnée pendant un an plutôt que d’être fouettée. Pour sa part, la journaliste Hengameh Shahidi a été condamnée à six ans de prison lors de la répression post-électorale de l’an dernier; la journaliste Mahsa Amrabadi, accusée d’avoir « agi contre la sécurité nationale » pour avoir critiqué publiquement l’arrestation de journalistes, a interjeté appel de sa condamnation à un an de prison. Par ailleurs, Noushin Ahamadi Khorasani, rédactrice en chef du site web « L’École Féministe » et fondatrice de la campagne en ligne « Un million de signatures », qui vise à apporter des changements aux lois qui discriminent les femmes, est victime de harcèlement judiciaire de la part des services de renseignements; enfin, Maryam Bidgoli, qui a aussi participé à la campagne, a été condamnée à un an de prison.
Par ailleurs, en Tunisie, les militantes des droits des femmes, les journalistes et les juristes, celles notamment de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), sont fréquemment la cible de campagnes de dénigrement, notamment en étant associées de façon méprisante à des prostituées. Ces femmes et leurs familles sont en outre visées par des photos ou des vidéos pornographiques. Cela est honteux dans un pays qui se targue d’être à l’avant-garde de la défense des droits des femmes dans la région.
En Gambie, les autorités ont arrêté les militantes des droits des femmes et journalistes Amie Bojang-Sissoho et la Dre. Isatou Touray, du Comité de la Gambie sur les pratiques traditionnelles nuisibles (Gambia Committee on Traditional Harmful Practices), une organisation qui promeut l’habilitation des femmes et des filles et qui fait campagne contre les mutilations génitales des femmes et autres pratiques discriminatoires. Ces activistes n’ont été libérées qu’après que les médias internationaux eurent attiré l’attention sur leur cas, mais elles demeurent en attente de procès pour avoir rapporté des histoires de violence contre des femmes.
Au même moment, les enquêtes sur les meurtres de deux journalistes russes au franc-parler s’enlisent. Natalïa Estemirova, qui travaillait pour le groupe de défense des droits de la personne Memorial, a été enlevée de son domicile en Tchétchénie en juillet 2009; son corps a été retrouvé en Ingouchie voisine; il portait des marques de blessures par balles. Estemirova enquêtait sur des affaires de violations des droits en Tchétchénie au moment de sa disparition. L’affaire reste toujours au point mort. Le meurtre en 2006 de la journaliste Anna Politkovskaïa, de la « Novaïa Gazeta », n’a pas lui non plus été élucidé.
Ces affaires démontrent la gravité de la violence, du harcèlement et de l’intimidation auxquels les femmes qui parlent librement se heurtent lorsqu’elles font des reportages sur des sujets d’intérêt public. Nous, membres soussignés de l’IFEX, vous prions par conséquent :
– de condamner toutes les formes de violence et de répression dirigées contre les femmes qui exercent leur droit à la libre expression et attirent l’attention sur les affaires de violence fondés sur le sexe, comme nous le soulignons dans la liste ci-dessous;
– d’inviter les autorités du Viêt-nam à libérer la blogueuse Le Nguyen Huong Tra et à procéder à une enquête en profondeur sur les violations commises contre l’activiste sur Internet Thi Thu Trang, et de vous assurer que les auteurs de ces violations sont traduits en justice;
– de demander aux autorités thaïes d’abandonner toutes les charges et de mettre fin au harcèlement judiciaire incessant dirigé contre Chiranuch Premchaiporn;
– d’en appeler aux autorités colombiennes pour qu’elles mènent une enquête approfondie et détaillée sur le meurtre de Norma Irene Perez et sur les menaces contre Claudia Ayola Escalón, ainsi que contre d’autres activistes et journalistes qui sont les cibles de violence, et de vous assurer que les responsables sont traduits devant les tribunaux;
– de demander aux autorités iraniennes de libérer Shiva Nazar Ahari, Jila Baniyaghoub et d’autres journalistes, et de cesser le harcèlement judiciaire dirigé contre Noushin Ahamadi Khorasani;
– d’exiger que les autorités gambiennes mettent fin au harcèlement officiel et à l’intimidation des militantes des droits des femmes;
– d’inviter les autorités russes à tenir une enquête approfondie et détaillée sur les assassinats de Natalïa Estemirova et d’Anna Politkovskaïa, et de vous assurer que les responsables sont traduits en justice;
– d’affirmer votre solidarité avec les nombreuses femmes du monde entier qui doivent affronter l’injustice et la violence fondée sur le sexe parce qu’elles s’acquittent de leurs devoirs civiques et professionnels, et de vous attaquer aux secteurs les plus préoccupants et aux faiblesses de la défense des droits des femmes à travers le monde, notamment à la violence et à la liberté d’expression, comme cela a été souligné dans la Plate-forme de Beijing pour l’action;
– de demander aux autorités nationales d’entreprendre des enquêtes complètes et intransigeantes sur les cas des femmes journalistes, écrivaines, militantes et blogueuses victimes de violence fondée sur le sexe, afin de traîner devant les tribunaux leurs agresseurs et leurs assassins.
Le temps est venu pour les gouvernements, les institutions internationales et la société civile d’adopter des mesures concrètes pour mettre fin aux atrocités auxquelles nos collègues féminines sont confrontées au cours de leur travail.
Cliquer ici pour lire la liste des femmes journalistes, écrivaines, blogueuses et militantes qui ont été visées en 2010 parce qu’elles s’acquittaient de leurs tâches professionnelles.
Signé,