Les personnes LGBTQI + peuvent risquer jusqu'à 14 ans de prison au Kenya, juste pour avoir eu des rapports sexuels. Sans être intimidée par cette dure réalité, une organisation amène son combat devant les tribunaux et retourne le vent en faveur des droits des LGBTQI + sur le continent.
Figurez-vous qu’on vous dise que vous pourriez passer 14 ans en prison pour avoir eu des rapports sexuels. Pensez-y. Pour beaucoup de Kenyans, c’est la dure réalité.
L’article 162 du code pénal Kenyan pénalise « les rapports charnelles en contradiction avec l’ordre de la nature », rendant la vie des personnes LGBTQI + non seulement difficile, mais aussi dangereuse.
Le Kenya n’est pas le seul endroit où ce genre de législation existe. En fait, plus de 70 pays à travers le monde pénalisent l’homosexualité à des degrés divers.
Toutefois, ce qui distingue le Kenya, c’est la lutte courageuse menée par les militants LGBTQI + pour les droits juridiques. A l’avant-garde de ce combat, il y a Eric Gitari, avocat et directeur général de la Commission nationale des droits humains des gays et des lesbiennes (NGLHRC).
Depuis sa création en 2012, la NGLHRC a accru la compréhension du public au sujet des droits juridiques des LGBTQI+, remporté une bataille juridique de 3 ans pour que son organisation soit officiellement enregistrée auprès du Comité de Coordination des ONG et déposé une requête en constitutionalité contre l’article 162 du code pénal kenyan.
L’IFEX s’est entretenu avec Gitari pour en apprendre davantage sur l’impact humain de la législation anti-homosexualité au Kenya, les complexités du militantisme juridique et l’impact que le travail de la NGLHRC pourrait avoir sur d’autres pays.
Comment la législation homophobe du Kenya influence-t-elle l’opinion publique envers les personnes LGBTQI +?
Eric Gitari: Nous avons constaté que le message officiel que l’État transmet à la société à travers cette loi est: (Ceux qui ne se conforment pas aux orientations habituelles de sexe et de genre) « sont des criminels, traitez-les comme vous le feriez à un criminel ». La loi au Kenya est souvent formulée avec des expressions du genre « infractions contre nature », « rapport charnelle contre l’ordre de la nature » ou « actes indécents ».
La loi a façonné une stigmatisation dans l’opinion publique en obligeant beaucoup à renier des caractéristiques personnelles profondes qui sont innés à soi, ou à se déclarer publiquement et ainsi risquer l’arrestation et des préjugés.
Ce déni a réduit leur intégrité, leur action ou leur bien-être. Cela s’est, par la suite, traduit par une participation publique réduite ou non optimale à la société ou par l’impuissance.
Ce genre de messages façonne la société de manière à voir les personnes LGBTQI+ comme entachées et avec des préjugés. Ses effets ont été, et continuent d’être, la violence, la discrimination et la mort.
Quel est l’impact humain de la législation homophobe du Kenya?
L’impuissance est un problème. Elle diminue l’action des personnes LGBTQI+ et l’organisation du mouvement dans le cadre de la lutte en cours pour la justice.
Elle provoque des conflits internes entre les groupes LGBTQI+ pour les ressources et les programmes. L’impuissance est évidente et présente dans le laxisme continu de bon nombre de nos clients de l’aide juridique à rechercher la réparation ou la justice. Par exemple, 90% de nos cas de chantage signalés par des gays, des bisexuels et des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (MSM) ont été clôturés sans redressement judiciaire parce que les clients ne voulaient pas faire de déposition à la police.
La réduction de l’action entraîne également des comportements sexuels irresponsables, une mauvaise santé mentale et une faible utilisation des services socio-économiques tels que l’éducation, les soins de santé et l’emploi. Nous avons observé plus de stigmates directs et de modèles de discrimination dans ces sphères socioéconomiques entre des acteurs non étatiques que de la discrimination directe de l’État.
Pourquoi l’action judiciaire est-il un moyen efficace pour l’activisme des droits des LGBTQI +?
En 2012 lorsque nous avons démarré, l’organisation locale des LGBTQI+ poursuivait principalement la méthodologie de la santé publique comme un point de départ pour mettre en évidence les questions de discrimination des LGBTQI+.
Grâce à l’adoption des actions judiciaires stratégiques, nous avons constaté une appréciation croissante de la part de nos clients au vu que les tribunaux peuvent rendre justice aux opprimés. Par exemple, en 2013, ce fut Eric Gitari contre le Comité de Coordination des ONG. En 2015, deux des clients de notre programme d’aide juridique – qui avaient été soumis à des tests anaux – ont accepté que nous puissions les représenter à la Haute Cour en utilisant leurs noms dans des audiences publiques. En avril 2016, six militants ont inscrit leurs noms sur la pétition en faveur de la dépénalisation. Ceci incluait le dépôt des affidavits pour partager, avec le tribunal et le public, leurs expériences de la discrimination en raison des articles anti-gay de la loi décrite ci-dessus.
En 2016 nous avons également noté que les organisations, qui s’étaient opposées, en 2013, à notre méthodologie des actions judiciaires avec une approche fondée sur les droits humains, ont opté pour la même méthodologie en allant devant les tribunaux pour demander la dépénalisation. Nos réseaux de para-juristes ont signalé une augmentation de capacités de résoudre les cas d’arrestation arbitraire de la police en utilisant les connaissances juridiques que nous avions mis à leur disposition.
En 2015, la Haute Cour du Kenya a statué que votre organisation pouvait s’enregistrer officiellement auprès du Comité de Coordination des ONG. Quelle signifie cette victoire pour vous et pour la communauté LGBTQI+ en général ?
Cette décision unanime de trois juges supérieurs de la Division constitutionnelle de la Haute Cour a été révolutionnaire, un tournant décisif pour les actions judiciaires des homosexuels en Afrique et pour la liberté d’association en tant qu’un droit dont tout le monde doit jouir, quelle que soit son orientation sexuelle et son identité de genre.
Qu’est-ce qui a conduit à ce succès?
Nous tenions à nous assurer que nous avions la preuve de la décision du Comité de coordination des ONG de ne pas accepter notre inscription. Nous avons essayé six fois et ils ont refusé d’écrire officiellement une lettre [expliquant] pourquoi ils ne voulaient pas accuser réception du nom de notre organisation. Nous avons écrit une demande formelle d’explication. C’est alors que, dans la réponse du Comité, ils ont indiqué que nous avions tous besoin de l’éclairage des tribunaux sur ce sujet.
Nous avons également tiré profit de l’importance de la liberté d’association dans l’histoire de la démocratie kenyane. Pendant la période du parti unique, la formation d’un autre parti politique était une trahison. Le chemin pour démocratiser le Kenya et obtenir les libertés constitutionnelles qui ont commencé en 2010 était pénible et notre société s’en souvient. Nous avons cherché à rappeler au peuple pourquoi nous avions promulgué la nouvelle constitution, à décréter à l’intention de toutes les personnes au Kenya et des générations à venir: la dignité humaine, l’égalité et la liberté.
Pourriez-vous dire que ceci crée un précédent pour des cas semblables en Afrique?
C’est une jurisprudence qui était régulièrement citée au Botswana lorsque la Cour d’appel a autorisé récemment l’organisation LeGaBiBo (Lesbiennes, gays et bisexuels du Botswana) à se faire inscrire. C’est également une jurisprudence qui est utilisée en Ouganda par la SMUG (Minorités sexuelles Ouganda) qui a saisi le tribunal pour demander l’enregistrement.
Quelles autres initiatives la NGLHRC se sont avérées être des succès?
Nous avons servi plus de 3.000 clients du programme d’aide juridique, formé plus de 700 éducateurs civiques et plus de 250 parajuristes. Nous avons également formé plus de 100 policiers et membres de comités d’usagers de tribunaux sur les défis de la justice et les besoins des personnes LGBTQI+. Nous avons documenté les tendances et les modèles à partir des rapports des cliniques d’aide juridique, de même que nous avons réalisé l’évaluation des rétroactions aux engagements de formation.
Une partie des rétroactions nous a permis de lancer des programmes ciblés et réguliers pour les groupes marginalisés au sein du service juridique des LGBTQI+, comme les lesbiennes, les femmes bisexuelles et bizarres ainsi que les réfugiés LGBTQI+ au Kenya.
Qu’est-ce qui vous a inspiré pour initier une pétition contestant l’article 162 du Code pénal ?
Nous avons noté que l’existence continue de sanctions pénales contre les expressions privées d’intimité de personnes adultes consentantes de même sexe est un obstacle à l’égalité.
Cette loi punitive continue d’alimenter les décisions politiques et de façonner l’opinion publique. Elle justifie le regard différent porté, à titre individuel, sur les LGBTQI+ au Kenya, leur traitement défavorable, et leur indexation directe et indirecte qu’ils sont en dehors de l’univers des égaux en termes de participation publique et d’inclusion.
Quels conseils donneriez-vous à d’autres groupes qui tentent de contester ou de faire abroger la législation touchant les personnes LGBTQI + ?
Commencez par ce que vous avez dans vos constitutions et testez les décisions administratives injustes qui vous affectent. Assurez-vous de documenter vos preuves. Contactez des alliés parce que vous n’êtes jamais seuls, il y a un monde d’aide autour de vous; faites juste le grand saut. Informez vos alliés de vos stratégies et idées à propos de l’action que vous voulez lancer. Mais souvenez-vous: vous n’avez pas besoin de leur consentement, aussi longtemps qu’ils connaissent votre analyse. Rappelez-vous également d’avoir le courage de conduire à partir de devant et de ne pas tenir compte de mouvements internes de luttes qui touchent de nombreux groupes minoritaires.
REUTERS/Antony Njuguna (KENYA)