La Journée de la liberté de la musique de cette année nous a motivés et incités à partager certaines chansons qui sont devenues les hymnes officieux de quelques-unes des plus grandes manifestations des cinq dernières années.
« Une bonne chanson à message peut faire passer une idée dans l’esprit de plus de gens plus profondément qu’un millier de rassemblements. »
On attribue cette citation au musicien Philip Ochs, chanteur américain engagé qui a donné des spectacles lors de nombreux événements politiques pendant les années 1960, entre autres lors de rassemblements contre la guerre au Viêt-nam et pour la défense des droits civils.
Ses paroles sonnent plus vrai que jamais dans le monde numérique qui est le nôtre. Les chansons dites engagées se font entendre non seulement lors des manifestations, mais dans le foyer des gens loin des combats; elles recueillent des millions of clics en ligne et suscitent des charges émotives partout dans le monde. L’un des effets les plus dramatiques de la musique, c’est le pouvoir qu’elle a de nous transporter à un moment et en un lieu précis, et de nous faire éprouver des sentiments particuliers. La musique engagée a cette capacité d’exprimer la passion, la colère ainsi qu’un puissant sens d’unité que ressentent ceux et celles qui se rassemblent dans un combat pour le changement.
En 2015, pour la Journée de la Liberté de la Musique, nous avons été encouragés à partager des chansons qui sont devenues des hymnes officieux de certaines des plus grandes protestations des cinq dernières années. Certains ont été inspirés par des manifestations de masse et d’autres ont aidé à les inspirer. Cette année, nous avons mis à jour notre liste de chansons de protestations pour y inclure également des manifestations de masse des deux dernières années.
Roumanie – Balada lui Dragnea (Ballade de Dragnea)
Au cours de la première semaine de février 2017, la Roumanie a vécu des manifestations de masse grandioses depuis l’effondrement du communisme en 1989. Ce qui a commencé le 18 janvier avec juste quelques milliers de manifestants qui protestaient contre les tentatives flagrantes du parti nouvellement élu, le Parti social démocrate (PSD), de se mettre à l’écart de la corruption dans l’administration, s’est transformé en une prolifération de manchettes de medias avec une manifestation monstre d’un demi-million de gens demandant la démission du gouvernement.
Au début du mouvement de protestation, la jeune diplômée de psychologie Marilena Mihailescu a écrit une chanson satirique dédiée à Liviu Dragnea, le chef du PSD, qui fait actuellement face à des accusations de corruption. La chanson est devenue virale quelques heures après avoir été postée sur Facebook, et Mihailescu a continué à la jouer à plusieurs des manifestations qui ont suivi.
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États-Unis – Je ne peux pas me taire
Un jour après l’investiture d’un homme qui a été critiqué pour avoir mené la campagne politique la plus audacieusement raciste, misogyne et diviseuse de l’histoire récente des États-Unis, des centaines de milliers de femmes sont descendues à Washington pour protester. Des marches dirigées par des femmes ont également eu lieu dans plus de 600 endroits répartis sur sept continents. C’était une démonstration historique de solidarité et un signe que les femmes ne défendraient pas la banalisation de la misogynie et du sexisme.
Quand Connie Lim, la chanteuse et compositrice de 30 ans, a écrit sa chanson « Quiet » (Silence) il y a plus d’un an pour défier et traiter le traumatisme de la violence conjugale qu’elle a endurée alors qu’elle avait 14 ans, elle n’avait aucune idée que cette chanson deviendrait l’hymne officieux de la Marche des Femmes sur Washington. Les mots « Je ne peux pas me taire », avec lesquels elle commence son chœur émouvant, ont bientôt inspiré le mouvement #ICantKeepQuiet dédié à briser les cycles de l’oppression et de la peur, perpétués par Donald Trump, son administration et les médias.
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Venezuela – Valiente (Brave)
Le 1er septembre 2016, des centaines de milliers de Vénézuéliens sont descendus dans les rues de Caracas appelant à un référendum pour évincer le président Nicolas Maduro. Avant d’en arriver à des manifestions de masse, le Venezuela a été – et est toujours – confronté à des innombrables problèmes, notamment l’un des taux d’inflation les plus élevés au monde, la chute vertigineuse de la monnaie et l’énorme pénurie de denrées alimentaires, de médicaments et d’électricité. Les manifestants et l’opposition attribuent à Maduro et à son parti, le Parti socialiste uni (PSUV), au pouvoir depuis 18 ans, la crise économique et affirment que seul un changement de leadership peut remettre le pays sur les rails.
Pour coïncider avec la manifestation de masse prévue pour le 1er septembre, l’artiste Vénézuélien Ignacio Mendoza, également connu sous le nom de Nacho, a sorti la chanson « Valiente », qui encourage ses concitoyens à lutter pour un avenir meilleur.
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La Reserve des Standing Rock Sioux – L’eau, c’est la vie
La tribu des Standing Rock Sioux s’oppose au pipeline dit Dakota Access de 1200 miles et d’une valeur de 3,8 millions de dollars depuis qu’elle a appris les plans de sa construction en 2014. Leurs tentatives de bloquer ce projet qui menace la seule fourniture d’eau potable de la Reserve Standing Rock Sioux et ses sites culturels, ont commencé à porter des fruits et à attirer l’attention internationale seulement en avril 2016, lorsque les manifestants ont commencé à camper près des chantiers de construction directement sur le passage du pipeline proposé. Les manifestants ont continué de camper à travers l’hiver rude du Dakota du Nord et ont été rejoints par des célébrités, des militants civiques et des personnes concernées de partout au pays
La phrase Mni Wiconi, qui signifie « l’eau, c’est la vie » dans la langue Siouan parlée par la tribu Standing Rock Sioux, est devenue un cri de ralliement pour tous ceux qui s’opposent au Pipeline Dakota Access. D’innombrables chants, chansons et danses ont été inspirés par cette phrase et dédiés à ce mouvement de la base. Dans la vidéo ci-dessous, les Camp Pueblo Singers se produisent en direct à l’intérieur d’une tente dans l’un des campements le long du passage du pipeline. Alors que la lutte contre sa construction semble désormais perdue, la tribu, ses alliés et les militants environnementaux ont juré de poursuivre leurs efforts de résistance.
Liban – Vous puez
Pour les Libanais – qui ont été systématiquement floués et exploités par les gouvernements successifs depuis des années – une crise des ordures provoquée par la fermeture d’une décharge de Beyrouth en juillet 2015 a été le déclencheur. Comme des déchets amoncelaient au bord des routes de Beyrouth et flottaient sur sa rivière, des jeunes militants ont commencé à se mobiliser sous la bannière d’un mouvement non partisan qu’ils appelaient à juste titre « Vous puez », faisant référence à la fois à l’accumulation de déchets et à la corruption inhérente qui caractérise la classe politique du pays. Le 29 août, des milliers de personnes se sont rassemblées au centre-ville de Beyrouth pour demander des changements au gouvernement. Les protestations ont continué pendant quelques mois encore. Plusieurs chansons pop inspirées par le slogan du mouvement ont commencé à apparaître en ligne mais elles n’ont pas gagné beaucoup d’intérêt. Cependant, une chanson de rap exécutée à l’une des manifestations a été largement partagée entre les militants pour sa représentation sévèrement honnête de la réalité sur le terrain. Cette chanson a recueilli plus de 50.000 vues sur Facebook.
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Mexique – Grito de Guerra (Cri de guerre)
Le 26 septembre 2014, la disparition et l’assassinat probable de 43 étudiants du collège de formation des maîtres d’Ayotzinapa, dans l’État de Guerrero, au Mexique, a entraîné des manifestations de masse dans la capitale, où on a exigé que le gouvernement agisse et rende des comptes. Les manifestations ont inspiré un groupe de musiciens mexicains qui a lancé la chanson Grito de Guerra, ou « Cri de Guerre », une chanson composée sur un rythme de cumbia (genre musical populaire en Amérique latine), afin d’obtenir des fonds destinés à soutenir les parents des étudiants disparus. On peut trouver les musiciens sur Twitter à @Grito_GuerraMX.
Ukraine – Vitya Ciao (Adieu Victor)
Fin novembre 2013, des activistes, des étudiants et des partisans de l’opposition en Ukraine ont commencé à se rassembler dans les rues pour protester contre la décision du Président d’alors, Victor Yanoukovitch, d’abandonner une série d’ententes commerciales conclues avec l’Union européenne. Les manifestations ont prix de l’ampleur et, début décembre, la chanson Vitya Ciao, ou « Adieu, Victor », référence évidente à Victor Yanoukovitch, affichée sur YouTube, est devenue virale et a été visionnée près d’un million de fois. La chanson, inspirée de la populaire chanson italienne « Bella Ciao », a été souvent reprise dans les rues. Le 22 février, le parlement votait la destitution de Yanoukovitch.
Turquie – Tencere Tava Havasi (Bruit de casseroles)
À l’été 2013, une vague de manifestations, qui ont commencé par une modeste dénonciation de la nouvelle vocation que l’on voulait donner au Parc Gezi d’Istanbul – l’un des derniers espaces verts de la ville – a secoué la Turquie. Les manifestations offraient un humour bien particulier. Chaque déclaration ou presque du Premier ministre Erdogan pendant les manifestations était tournée en ridicule par des slogans, des images et des chansons. La chanson présentée ici commence par un Erdogan frustré qui dit « Je ne dirai qu’une chose : chaudrons et casseroles, c’est du pareil au même. » Erdogan faisait allusion aux gens qui frappaient sur des casseroles à l’intérieur de leurs propres maisons pour signifier leur appui aux manifestants tabassés par la police sur la place Taksim.
Hong Kong – Un parapluie à la main
En septembre 2014, un mouvement lancé par des étudiants, largement connu sous l’appellation de Révolution des parapluies, a commencé à s’implanter à Hong Kong. Après que Beijing eut exclu les mises en nomination ouvertes pour combler le poste de Premier magistrat de Hong King aux élections de 2017, les gens ont convergé spontanément vers le district financier de la ville. Le parapluie est devenu un puissant symbole parce que les manifestants l’utilisaient pour se défendre contre le poivre de Cayenne que la police aspergeait sur eux pour les disperser. Afin d’appuyer la manifestation, le parolier Albert Leung (également connu de son nom de plume Lin Xi) a écrit la chanson « Tenir un parapluie » en deux jours. Denise Ho et Anthony Wong l’ont interprétée lors du rassemblement appelé « Citoyens contre la violence — Résistance pacifique » qui s’est tenu dans le district de l’Amirauté de Hong Kong.
États-Unis – I Can’t Breathe (J’étouffe)
La mort par balles de Michael Brown, un jeune noir de 18 ans abattu le 9 août 2014 par un policier blanc à Ferguson, au Missouri, a déclenché une série de manifestations de masse contre la brutalité policière et le racisme dans un grand nombre de villes à travers le pays. Les manifestations ont pris de l’ampleur après le décès subséquent de John Crawford III et d’Eric Garner, également abattus par des policiers. Les dernières paroles d’Eric Garner, répétées 11 fois tandis qu’un policier exerçait sur lui une prise de tête, ont imprimé une puissante dimension symbolique au mouvement de protestation. « J’étouffe » est devenu le titre d’une chanson entendue dans les rues et très répandue dans les médias sociaux. Écrite par les « Peace Poets » (les Poètes de la paix), un collectif d’artistes qui « célèbrent, examinent et défendent la vie au moyen de la musique et de la poésie », la chanson est facile à reconnaître par sa simplicité, et elle est reprise à chaque manifestation.
Sénégal – Na Dem (Va-t’en)
En 2012, lorsque le président d’alors au Sénégal Abdoulaye Wade a annoncé dans la controverse qu’il entendait se porter à nouveau candidat à un troisième mandat en dépit de la limite de deux mandats fixée par la constitution, le rappeur sénégalais Red Black a publié la chanson Na Dem, qui signifie « Va-t’en » en wolof, la langue la plus répandue dans le pays. Cette chanson invitait la population à l’accompagner si elle voulait que le président s’en aille. Parmi les 13 candidats d’opposition, beaucoup ont commencé à l’inclure dans leur campagne électorale, de sorte qu’on a pu l’entendre dans presque toutes les manifestations de protestation. Wade a perdu au second tour aux mains du candidat d’opposition Macky Sall, que Red Black appuyait.
Tunisie – Rayes le Bled (Président du pays)
Quelques semaines avant l’évincement du Président Zine El Abidine Ben Ali, un jeune rappeur tunisien – connu de ses fans comme El General – a sorti une chanson intitulée Rayes le Bled, ce qui signifie « Président du pays », dans laquelle il dénonçait l’incapacité des autorités à s’attaquer à la pauvreté, au chômage et à la corruption qui sévissent dans son pays. Une semaine plus tard, alors que grandissaient les manifestations et l’attention internationale, les manifestants adoptaient sa mélodie et en faisaient un appel à la révolution. El General rappe toujours. En 2014 il a publié une suite « Rayes El Bled 2 » dans laquelle il parle d’une Tunisie qu’il voit comme n’étant pas très différente du pays d’avant la révolution.
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Égypte – Irhal (Dégage)
Ramy Essam n’était pas particulièrement connu en Égypte avant que les manifestants n’évincent Hosni Moubarak du pouvoir et n’attirent l’attention du monde en 2011. Aujourd’hui, sa chanson Irhal, qui signifie « Dégage » en arabe, est connue comme la chanson de cette révolution, et Essam lui-même est désigné comme la « voix du soulèvement égyptien ». Les paroles incorporent les slogans et les mots d’ordre les plus populaires entendus sur la place Tahrir pendant les 18 jours de la révolution. Essam écrit toujours et interprète aujourd’hui des chansons politiques.
Espagne – La Solfonica
En Espagne, un mouvement anti-austérité, également connu sous l’appellation de mouvement 15-M, a commencé le 15 mai 2011 par des manifestations dans plus de 50 villes du pays. Depuis le début de la crise économique européenne, l’Espagne subit l’un des taux de chômage les plus élevés d’Europe. Fin mars 2014, des manifestants de tout le pays ont convergé à Madrid pour participer aux « Marches de la Dignité » et exprimer leur mécontentement devant les graves mesures d’austérité imposées par l’administration. On pouvait remarquer la présence d’un collectif ouvert de chanteurs et de musiciens, appelé La Solfonica, qui accompagnait les milliers de manifestants rassemblés sur les places publiques de Madrid. Le 22 mars, la police antiémeute espagnole a encerclé les manifestants et a commencé à tirer des balles de caoutchouc. Cette vidéo montre des scènes de cette nuit-là, notamment le moment où des membres de La Solfonica ont brandi leurs instruments et scandé « Voilà nos armes ».
La Journée de la liberté de la musique a été célébrée le 3 mars. Des événements se sont déroulés à travers le monde, notamment à Barcelone, Bologne, Casablanca, Dakar et New York. Cliquer ici pour en savoir plus.