En 2018, SMEX (Social Media Exchange) a lancé une pétition en collaboration avec le groupe musical libanais Al-Rahel Al-Kabir pour que leurs chansons - qui avaient été censurées sur iTunes Moyen-Orient - soient disponibles sur la plateforme.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Le réseau IFEX, qui compte plus de 100 organisations membres dans plus de 60 pays, croit en la puissance de la synergie. Ce même engagement est à l’origine de cette série occasionnelle d’aperçus de campagnes organisées par des membres de l’IFEX. Le but est de partager certaines des campagnes créatives sur lesquelles des membres ont travaillé, de sorte que d’autres puissent apprendre de leurs expériences. Vous pouvez toutes les voir ici.
L’ÉTINCELLE
Le 10 mai 2018, le groupe musical libanais Al-Rahel Al-Kabir (The Great Departed) a annoncé sur Facebook qu’iTunes Moyen-Orient avait refusé de télécharger ses chansons jugés « inappropriés pour le monde arabe ». Il s’agit des chansons suivantes : « Mawlid Sayyidi al-Baghdadi » (Célébration de l’anniversaire de Saint Baghdadi ), « Janna al-Shaabu » (Le peuple est devenu fou), « Do Not Mix » (Ne pas mélanger), « Khitab Muhim » (Un discours important) et « Ummt Tlaat Maa al-Nas » (J’ai marché avec le peuple).
Les chansons se moquent du fondamentalisme religieux, de l’oppression politique, du régime militaire et d’autres aspects de la répression communs au Moyen-Orient. Pour nous, cette campagne a été l’occasion de commencer à s’attaquer à la modération du contenu et la censure exercée par les entreprises de technologie plutôt que par les gouvernements locaux.
LA CAMPAGNE
Dès que nous avons vu le message du groupe musical sur Facebook, nous les avons contactés et avons rapidement convenu de coordonner nos actions. Nous avons choisi deux objectifs principaux: nous souhaitions que iTunes Moyen-Orient mette les chansons du groupe à disposition sur sa plate-forme et que la société publie son rapport de transparence, montrant le processus de prise de décision ayant conduit à la censure de ces chansons.
Nous avons décidé de créer une pression sur deux fronts à la fois – public et privé – et avons lancé notre campagne le 11 mai.
Sur le plan public, nous avons cherché à faire participer le grand public en lui démontrant que l’interdiction de chansons était une atteinte à leur liberté de parole. A ce niveau, l’objectif principal était une pétition en ligne qui est devenue virale – grâce en grande partie à la participation de la vaste base de fans du groupe musical – en recevant plus de 1 000 signatures au cours de la première demi-heure. De plus, nous avons publié des articles sur notre blog à l’appui de cette campagne.
Sur le plan front privé, nous avons contacté directement le représentant de iTunes Moyen-Orient. Au moment même où nous préparions et promouvions la pétition en ligne, nous étions au téléphone avec lui. En l’espace de deux jours, iTunes a contacté le groupe musical et a accepté de rendre les chansons disponibles sur sa plateforme pour le Moyen-Orient. Un succès sans précédent!
Aucun d’entre nous ne s’y attendait. Les pétitions sont souvent utilisées au Liban, mais nous n’avons pas vu de succès aussi rapide. iTunes nous a dit que Qanawat, un intermédiaire basé aux Emirats Arabes Unis (EAU), avait été le tout premier responsable de l’interdiction des chansons. Et ils se sont engagés à travailler avec un autre agrégateur de contenu pour télécharger les chansons du groupe musical.
Notre succès n’a cependant pas été complet. Tout en étant heureux de voir qu’iTunes Moyen-Orient a chargé les chansons, nous attendons toujours que la société publie son rapport de transparence.
LES PRINCIPAUX DÉFIS
Le contexte culturel: il y a une grande méfiance vis-à-vis des entités politiques et commerciales de la région, nous ne savions donc pas à quel point le public serait impliqué. Nous ne nous attendions certainement pas à ce qu’iTunes réponde, encore moins à une réponse aussi positive.
Faire affaire avec des sociétés dont le siège régional est situé dans des États répressifs. Le type de censure que nous avons traité ici est un problème grave au Moyen-Orient. Comme le déclare de nombreuses sociétés basées dans des États du Golfe, là où la liberté d’expression est radicalement restreinte par la loi, ces entreprises se doivent de se soumettre à ces lois. Cela leur donne une excuse et parfois une responsabilité légale pour supprimer la liberté de parole légitime.
LES LEÇONS TIRÉES DE LA CAMPAGNE
Un petit et restreint réseau est le plus efficace: au Liban, si vous ne connaissez pas quelqu’un, vous connaissez probablement quelqu’un qui connaît quelqu’un. Notre directeur général est un ami du gestionnaire du groupe musical. Nous avons donc été en mesure de faire avancer rapidement les choses et de rester en contact tout au long de la campagne. Nous faisons également partie d’un mécanisme de réaction rapide (que nous avons effectivement aidé à mettre en place) composé de groupes de la société civile. C’est un moyen de rassembler rapidement les gens pour créer une dynamique d’action, que ce soit en ligne ou dans la rue.
« Battez le fer quand il est chaud! Dès que nous avons vu la publication sur Facebook du groupe musical, nous les avons contactés. Les événements changent rapidement, tout comme le cycle de l’information, et les gens ont une capacité d’attention limitée. Ne leur donnez pas l’occasion de passer à autre chose; agissez alors que l’attention est élevée. »
Adoptez l’approche la plus directe et allez tout en haut: nous avions trouvé le numéro de téléphone du représentant de iTunes au Moyen-Orient et nous l’avions appelé! Il a fallu plusieurs tentatives avant qu’il ne décroche, mais nous avons fini par parler à la personne qui avait le pouvoir réel de changer les choses. Nous lui avions directement demandé pourquoi les chansons avaient été interdites et quand iTunes allait publier son rapport de transparence. Une fois que nous avons pu le joindre, il était vraiment très ouvert…
Une forte présence sur les médias sociaux est essentielle. Nous en avons une, et le groupe musical aussi, ce qui a donné à notre message une portée large et diversifiée. Les entreprises semblent être plus disposées à réagir lorsque l’indignation se développe en ligne, même si elles ne sont motivées que par l’embarras envers le public et le désir de protéger leur image.
« Ce qui est simple peut souvent s’avérer meilleur. Parfois, vous n’avez pas besoin de compliquer les choses. Un appel téléphonique et une pétition rapide ont suffi dans ce cas. »
Le facteur international était influent. Les entreprises mondiales semblent être plus susceptibles à l’indignation du public. Si nous n’avions eu affaire qu’à une entreprise régionale, nous n’aurions pas obtenu un tel succès.
ET APRÈS?
« Quelque chose qui influencera notre travail en général à l’avenir, et que nous avons appris de la campagne, c’est qu’il y a parfois une volonté d’écoute de la part des multinationales: elles sont en fait plus ouvertes à la discussion que ne le sont les entreprises locales. »
SMEX cherche des voies et moyens pour persuader iTunes de publier son rapport de transparence. Lors de la conférence Bread&Net sur les droits numériques en novembre 2018 – la première du genre dans la région – la modération du contenu et la liberté d’expression en ligne étaient les sujets clés discutés avec un représentant de Twitter et un ancien modérateur de contenu à Facebook. Dans une région où le lobbying en faveur de politiques est souvent limité, et parfois impossible, cela a permis aux participants (techniciens, juges, activistes, défenseurs des droits numériques, universitaires, etc.) de participer activement au processus de redevabilité des entreprises et de reconnaître la possibilité de traiter directement avec les acteurs des entreprises.
EN SAVOIR PLUS
Pour plus d’informations sur la campagne SMEX, veuillez visiter leur site Web.