Yorm Bopha, qui se décrivait elle-même comme une « simple femme au foyer » s'est muée en une militante engagée qui reste inébranlable dans sa passion pour arrêter les expulsions du lac Boeung Kak et pour pousser les résidents à revendiquer leurs droits sur leurs terres malgré un court séjour en prison et des menaces permanentes.
Dans une interview à IFEX, le 8 mars 2014, à l’occasion de la Journée d’action des Femmes, Yorm Bopha a dit:
… Je veux pousser les femmes cambodgiennes à dire la vérité parce que si nous ne parlons pas, personne ne saura rien de nos problèmes et personne ne pourra nous aider. Être la porte-parole je cours beaucoup de risques tels que l’assassinat, la prison ou d’autres risques encore. Mais ceci ne me décourage pas.
L’assèchement d’un lac autrefois pittoresque au Cambodge et le déplacement forcé de milliers d’habitants vivant aux abords de l’eau a conduit à la création d’un vigoureux mouvement des droits fonciers conduit en grande partie par les femmes. La plus éminente parmi ces femmes est Yorm Bopha, qui s’était elle-même décrite comme une « simple femme au foyers » transformée en militante et qui reste inébranlable dans sa passion pour arrêter les expulsions et pour pousser les résidents à faire valoir leurs droits à leurs terres en dépit d’un court séjour en prison et des menaces permanentes.
Le Lac Boeung Kak était une grande zone urbaine humide dans la capitale cambodgienne, Phnom Penh. Ses cafés et restaurants en bordure de l’eau attiraient des touristes offrant des moyens de survie pour les résidents locaux. En 2007 une nouvelle est tombée disant que le lac avait été vendu pour 80 m de dollars US à une société chinoise qui va drainer le lac, le remplir avec de sable, dans l’intention d’y construire un quartier résidentiel d’élite. Jusqu’en 2010, 90% du lac avait été rempli et plus de 3000 riverains expulsés et contraints de se réinstaller à la périphérie de la ville. Cela a eu un impact environnemental dont les risques d’inondations et de disparition des poissons et des terres agricoles sur les rives du lac qui avait également été une source importante de revenus pour la communauté locale.
Sans aucun droit sur la terre, ceux qui vivaient au bord du lac ont lutté en vain pour conserver leurs maisons et ont finalement été contraints d’accepter des compensations pécuniaires insignifiantes. Inévitablement, cette situation a conduit à des protestations. En mai 2012, treize femmes – dont l’âge variait 25 à 72 ans – ont chacune été condamnée à 2 ans et demi de prison pour leur implication dans ces protestations après un procès qui a duré seulement trois heures. En 2013, expliquant pourquoi les protestations de Boeung Kak sont dominées par les femmes, Yorm Bopha a dit au Réseau d’Informations des Femmes ce qui suit: Primo, les hommes perdent leur maitrise trop vite avec pour conséquence la violence. Nous ne voulions pas de violence lors de nos manifestations. Secundo, de nombreux hommes dans notre communauté travaillent pour la police ou l’armée. Donc, s’ils avaient participé à des manifestations, ils auraient probablement perdu leurs emplois.
Indigné par ce qui est connu sous le nom de 13 arrestations de Boeung Kak, Yorm Bopha et son mari, Lours Sakhorn, sont devenus les principaux acteurs de la campagne pour la libération de ces femmes. Ils ont été menacés par la police qui les a avertis qu’ils étaient sur une liste noire et devaient s’attendre au pire.
Les 13 de Boeung Kak ont été libérées un mois plus tard à la suite d’une intense campagne au Cambodge et dans le monde. Puis vint le tour de Yorm Bopha. Elle a été arrêtée en septembre 2012 et en décembre de la même année, elle a été accusée de « violence volontaire avec circonstances aggravantes » contre deux chauffeurs de taxi qui avaient affronté les manifestants lors d’une manifestation. Elle a été condamnée à trois ans de prison après un procès controversé. Amnesty International avait signalé qu’il n’y avait « aucune preuve contre [Yorm] et que les témoignages étaient contradictoires », considérant ainsi Yorm comme une prisonnière d’opinion. Ses partisans ont fait remarquer que sa visibilité au cours des manifestations et son franc-parler dans les médias ont fait d’elle une cible. Une fois encore les militants sont rentrés en action, organisant des manifestations pour sa libération. Comme pour les manifestations précédentes, elles ont été matées par la violence. En mars 2013, Lours Sakhorn était parmi les six personnes grièvement blessées à l’extérieur de la résidence du Premier ministre. Il a perdu plusieurs dents et a été blessé aux jambes. En novembre 2013, Yorm Bopha a été libéré sous caution.
L’expérience de Yorm Bopha n’a rien entamé de son zèle et elle se jeta de nouveau dans la campagne. En janvier 2014, elle était parmi les cinq femmes brièvement arrêtées quand elles ont manifesté pour la libération d’une autre activiste des droits fonciers en pleine interdiction générale contre toutes les manifestations.
Dans une vidéo, tournée sur le site de Boeung Kak, postée en ligne, en décembre 2014, par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, Yorm Bopha parle des activistes des droits fonciers qui continuent leur lutte malgré les menaces et la surveillance. Elle appelle les gouvernements et les bailleurs de fonds internationaux d’exiger que le Cambodge respecte les droits humains et répare les préjudices subis par ceux qui ont perdu leurs terres.