La photographe Zanele Muholi se décrit elle-même comme une ''militante visuelle', répondant à la violence contre les homosexuels en proposant ses portraits de femmes lesbiennes noires fournissant ainsi une tribune où elles peuvent pleinement s'exprimer et défendre elles-mêmes leur identité.
En avril 2015, dans une interview auprès de la BBC , Zanele Muholi s’exprimait sur l’impact de son travail en tant que militante visuelle : « Nous faisons ça pour être prises en considération. Nous repoussons les limites et questionnons les silences. Bien sûr, c’est une situation difficile mais nous aidons de nombreuses autres personnes. Petit à petit, en lisant les différents témoignages, les gens font leur coming-out, parlent des viols et témoignent de leur expérience de survivante »
En Afrique du Sud, un pays pourtant à l’avant-garde en matière de législations protégeant les droits LGBT, il existe un dangereux mouvement homophobe, s’exprimant par des discriminations au quotidien et dans le pire des cas des « viols correctifs » et des meurtres.
La photographe Zanele Muholi se décrit comme une « militante visuelle », répondant à la violence à l’encontre des homosexuels en réalisant des portraits de femmes lesbiennes noires où elles peuvent pleinement s’exprimer et défendre elles-mêmes leur identité.
Les photographies de Zanele Muholi ont un impact considérable en Afrique du Sud et dans le monde. Elle encourage ses sujets à se mettre en valeur par leur style vestimentaire, à mettre en avant leur force et à regarder droit dans l’objectif. Faces and Phases est un projet de portraits commencé en 2006 et toujours en cours. Elle explique : « Face à tous les défis auxquels notre communauté est confrontée au quotidien, j’ai choisi de me lancer dans l’activisme visuel pour assurer la visibilité de la communauté homosexuelle noire. Faces and Phases raconte nos histoires et les difficultés que nous affrontons. Faces (=visages) exprime l’idée de la personne, et Phases(=étapes) raconte le parcours, une étape de leur sexualité ou de l’expression de leur genre. Faces réfère également à la confrontation entre les nombreuses femmes homosexuelles et transsexuelles d’origines diverses avec lesquelles j’ai pu interagir et moi-même en tant que photographe militante ».
Les autres photographies de Zanele Muholi représentent des couples lesbiens dans des poses intimes, des images qui remettent en cause les portraits stéréotypés de femmes homosexuelles qu’on peut trouver dans les médias classiques. Inévitablement, son travail a créé la polémique notamment en 2009, lorsque la ministre des Arts et de la Culture en poste avait quitté le vernissage d’une exposition intitulée Innovative Women, qualifiant le travail de l’artiste « d’immoral ». Zanele Muholi déclarait alors que dans un pays où les attaques homophobes sont répandues, « … nous devons être prudents. Lorsqu’un ministre ou une personne à un poste à responsabilité fait des commentaires homophobes, cela peut engendrer des crimes haineux. Vous pourriez mettre en danger des individus. Il ne s’agit plus uniquement d’art ».
Cette déclaration est d’autant plus pertinente à l’heure actuelle puisque les agressions homophobes impliquent des ‘viols correctifs’ de femmes homosexuelles, ce sont souvent des viols collectifs et dans certains cas à répétitions, un châtiment ayant pour objectif de « guérir » leur orientation sexuelle. Elle a aussi photographié des scènes de crimes à caractère haineux et les funérailles de personnes LGBT assassinées.
Pourtant l’Afrique du Sud est le premier pays à avoir adopté des lois qui pénalisent les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle. C’est le cinquième pays du monde à avoir légaliser le mariage entre personnes de même sexe. Mais l’homophobie profondément ancrée dans la culture sud-africaine implique que les personnes LGBT vivent sous les menaces constantes d’agressions sexuelles, de violences et d’abus. Les crimes à leur encontre restent souvent impunis par la police impregnée de préjugés à l’encontre des homosexuels et est peu disposée à agir. A cela s’ajoutent un taux d’homicides élevé sidérant, qui en août 2015 atteignait 49 meurtres par jour, et un manque aigu de confiance envers la police quand il s’agit de rapporter les cas de viols. Au printemps de 2017, deux meurtres brutaux de lesbiennes en l’intervalle de quelques jours, et suivis juste après d’une attaque presque fatale contre une autre, ont abouti à des indignations et à des appels à la loi sud-africaine pour reconnaître que ces crimes ne sont pas seulement des meurtres, mais ils sont aussi des crimes de haine.
Le travail de Zanele Muholi, tout comme celui d’autres groupes de défense, a permis de mettre en place en 2013 une équipe d’intervention nationale contre les crimes et violences homophobes perpétrées contre les personnes LGBTI qui enregistre ces violences. Cependant, il est toujours très difficile d’amener les agresseurs dans la justice. Zanele Muholi le met justement en évidence: « L’Afrique du Sud a son agenda politique… nous avons des lois en place qui protègent notre communauté mais les gens se font toujours tuer. » En 2016, un projet de loi portant Prévention et lutte contre les crimes et le discours de haine a été soumis et est à l’étude. Bien que largement salué puisqu’il s’attaque aux crimes haineux, certains attirent l’attention sur des aspects de la dite loi traitant du discours de haine qui franchissent la fine ligne de démarcation entre la lutte contre le racisme et la suppression de la liberté d’expression.
En 2009, Muholi crée Inkanyiso, une organisation pour les femmes noires lesbiennes qui, comme elle le décrit en 2013 dans une vidéo de Human Rights Watch, fournit un lieu où les femmes qui apparaissent dans ses photographies peuvent produire et partager leurs propres œuvres, discuter des problèmes qui ne sont pas abordés dans les médias traditionnels. Dans cette vidéo, Muholi déclare : « Nous vivons dans la peur mais que faisons-nous contre elle ? Il faut la documenter. Nous sommes forcés de la documenter. »
Née en 1972, Zanele Muholi a étudié la photographie au Market Photo Workshop à Johannesburg et a obtenu son Master en Arts à l’Université de Ryerson à Toronto en 2009. Depuis 2003, elle a exposé dans le monde entier, a gagné de nombreux prix, notamment en 2013 où elle a reçu l’Index on Censorship Arts Award, le prix Carnegie Fine et le prix du Prince Claus. Plus récemment, elle a produit des auto-portraits évoqués dans cet article du New York Times d’octobre 2015 qui donne aussi des détails sur sa vie et ses influences. Muholi et son travail sont de plus en plus reconnus sur le plan international, avec deux expositions en solitaire acclamées par la critique organisées simultanément au Musée Stedelijk d’Amsterdam et à la Galerie d’autographe à Londres entre juillet et octobre 2017.