Les 11 et 12 juillet, le Pakistan a été examiné pour la première fois par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies. Le RIDH (Réseau international des droits humains) a parlé au secrétaire général de la Fondation pakistanaise de la presse (PPF) et au coordonnateur des campagnes et du plaidoyer de l'IFEX à propos de l'examen des questions de liberté d'expression dans le pays.
Il s’agit d’une version corrigée d’une interview publiée à l’origine sur panorama.ridh.org le 15 juillet 2017. Panorama est une plateforme d’information créée par le RIDH (Réseau international des droits humains).
Par Sara Brandão pour le RIDH
L’État du Pakistan a été examiné pour la première fois par le Comité des droits de l’homme de l’ONU cette semaine à Genève. En préparation de cet examen, la Fondation Pakistanaise de la Presse (PPF) ensemble avec IFEX, le réseau mondial de défense et de promotion du droit à la liberté d’expression et d’information, et le RIDH, le Réseau international des droits humains, avaient soumis à l’avance à la session un rapport alternatif et avaient fait une intervention orale devant les membres du Comité.
Comme Lala Hassan de la PPF et Fouzia Sultana, qui travaille avec la PPF pour demander justice pour son frère assassiné, le journaliste Shan Dahar, se sont vues refuser les visas pour assister, en personnes, à la session du Comité des droits de l’homme, leurs interventions à la session ont été présentées par Matthew Redding, le coordinateur du plaidoyer et des campagnes à l’IFEX.
Panorama a parlé avec M. Redding et M. Owais Aslam Ali, secrétaire général de la PPF, pour discuter de leurs réflexions sur l’examen du Pakistan par le Comité.
Owais Aslam Ali a entamé notre conversation avec un bref aperçu de la situation en termes de liberté d’expression au Pakistan en ce moment. Il a souligné deux principales sources de limitations à ce droit : des menaces pour la sécurité physique des journalistes et le cadre politique au Pakistan. En effet, il a mentionné les restrictions mises en place par l’Autorité de régulation des médias électroniques du Pakistan (PEMRA) comme « des souvenirs du temps de la dictature ». En résumant la situation actuelle, il a déclaré que « c’est une situation très déprimante que nous traversons et il y a nécessité pour tous les médias au Pakistan de s’unir ».
En outre, Matthew Redding a noté que ces limitations à la liberté d’expression ont abouti à une situation où des citoyens sont privés d’informations importantes. Cela discrédite les revendications du gouvernement tout au long de l’examen selon lesquelles des décisions importantes, telles que la levée du moratoire sur la peine de mort en 2014, sont faites avec le soutien d’une population informée.
Quelles sont vos réflexions sur l’examen initial du Pakistan devant le Comité des droits de l’homme?
Matthew Redding: Ma perception générale est qu’il semble y avoir des étapes vers le progrès sous la forme d’une législation limitée et de certains organes de surveillance, mais il semble que dans la plupart des cas, la mise en œuvre et l’application réelles manquent, et que maintes fois, ces mêmes lois, qui sont présentées pour montrer que le Pakistan respecte ses obligations internationales, sont utilisées pour restreindre les libertés. L’État semblait souvent réticent à reconnaître qu’il y avait un problème. Même lorsqu’ils ont reçu des informations très crédibles des experts, en particulier en ce qui concerne les menaces contre les journalistes et les violences qu’ils ont subies, ils semblaient les mettre presque exclusivement sur le dos des terroristes plutôt que d’accepter une quelconque responsabilité de l’État dans ces attaques. Ceci dans la mesure où ils sont presque déchargés d’un certain degré de responsabilité pour ces attaques. Alors, je pense que nous avons également vu suffisamment d’échappatoires.
Owais Aslam Ali: J’appuie tous les points soulevés par M. Redding. Une autre chose pour laquelle j’ai été déçu était que bien qu’il s’agissait d’une délégation de haut niveau, ils n’ont rien fait d’autre que de répéter leurs points se vue. Ils n’ont rien modifié pour répondre à des points précis et à des cas spécifiques ou à des questions qui leur ont été posées en rapport avec la liberté d’expression. Ils ont de nouveau traité des généralités et ont réaffirmé leurs positions.
Les experts ont-ils tenu compte de votre rapport spécifique?
MR: Oui, je dirais que nous étions très heureux de la façon dont ils ont pris cela. Au moins un des experts a soulevé à peu près toutes nos préoccupations principales abordées dans notre rapport. Non seulement cela, ils ont cité beaucoup de nos cas en ce qui concerne les attaques contre des journalistes, et nous avons été très satisfaits de le constater.
Quelles sont vos attentes pour la suite?
OAA: Nous espérons que, dans les réponses écrites, le gouvernement sera un peu plus en mesure de répondre aux points soulevés et les mêmes recommandations que nous avions dans nos rapports seraient abordées par eux. Fondamentalement, que le gouvernement prendrait très au sérieux la sécurité des journalistes. Le point que le gouvernement a soulevé -celui d’avoir mis en place une dotation financière destinée aux journalistes blessés ou tués- c’est une étape qui est la bienvenue, mais cela ne règle pas le fait que ceux qui infligent des actes de violence aux journalistes rendent des comptes. À moins que vous ne attaquiez à l’impunité, le simple fait de dédommager les victimes ne mettra pas fin aux attaques contre les journalistes. C’est donc le premier point qu’ils doivent régler.
Il existe également tout un plan d’action de l’ONU sur la sécurité des journalistes. Nos recommandations incluent que le gouvernement devrait nommer des procureurs spéciaux pour les attaques contre des journalistes, commencer à surveiller le processus judiciaire et s’assurer de la mise en œuvre des lois minimales qu’il comporte sur le harcèlement des femmes sur le lieu de travail. Il est nécessaire de revoir l’étendue des pouvoirs dont jouissent les autorités de régulation, en particulier par PEMRA: avant de prendre des mesures contre les médias, ils devraient obtenir l’approbation de la justice ou il devrait y avoir un processus équitable. La Loi sur les crimes électroniques au Pakistan (PECA) doit également être revue. Nous devons examiner de nouveau les lois sur la diffamation et les aligner sur les exigences minimales qui existent. Ce sont là les choses très minimales que le gouvernement devrait faire s’il prétend promouvoir, voire tolérer, la liberté d’expression.
Pensez-vous que c’était une stratégie efficace?
MR: Absolument. Le fait que l’État a refusé de reconnaître dans de nombreux cas le fait qu’ils ont un problème avec la liberté d’expression rend d’autant plus important le fait que nous portions ces questions au niveau international. Le Pakistan est très sensible à son image sir le plan international, donc entendre ces questions posées par des membres de la communauté internationale – des questions qui, dans de nombreux cas, contredisent l’image plutôt embellie de la situation dans le pays par le gouvernement – je pense que c’est une stratégie très précieuse pour nous à poursuivre.
OAA: Cela nous donne l’occasion de rencontrer la délégation de l’État qui était présente à Genève après leur retour au Pakistan, afin de souligner de nouveau ces points. Cela nous donne l’opportunité de le faire avancer. En plus du fait qu’il a été soulevé au niveau international et que nous avons le soutien du Comité sur les points qui ont été mis en exergue dans notre rapport et d’autres points également. Comme M. Redding l’a dit, le Pakistan est un pays conscient de l’importance de son image sur le plan internationale – ils veulent présenter l’image d’un Pakistan pays démocratique. A la limite, c’est le vœu du peuple que nous soyons un pays démocratique. Les pressions internationales sont l’une des formes les plus puissantes de pression qui peuvent être exercées sur le gouvernement du Pakistan. Nous prévoyons d’informer également les parties prenantes locales sur les observations finales, y compris les représentants de l’association des éditeurs, des rédacteurs, des journalistes employés et des ONG, afin que ces organisations et ces personnes puissent les mettre en évidence. C’était une ouverture très importante pour nous, et nous espérons la poursuivre lorsque cette délégation officielle revient au Pakistan.
Avez-vous l’intention d’utiliser d’autres mécanismes de l’ONU pour faire progresser la liberté d’expression au Pakistan?
OAA: Absolument. Nous prévoyons de les utiliser. Nous sommes relativement nouveaux dans cette voie, mais cette première étape a été vraiment encourageante, alors nous prévoyons de l’utiliser et nous espérons participer également au processus d’Examen périodique universel (EPU). Ensuite, nous allons de l’avant également pour le rapport du Directeur général de l’UNESCO de l’année prochaine. Nous envisageons de nous engager davantage avec l’UNESCO ainsi qu’avec les autres mécanismes internationaux disponibles, mais ceci est une première étape importante – et la seconde sera le processus EPU.
MR: La seule chose que j’ajouterais à la liste d’autres mécanismes de l’ONU que nous envisageons d’utiliser seraient les procédures spéciales pertinentes des Nations Unies, car je crois qu’ils jouent également un rôle crucial dans la communication avec les États sur plusieurs des préoccupations soulevées par la société civile. Et toutes les communications qui ont été faites et les réponses reçues par l’État fournissent également des informations aux mécanismes des Nations Unies ou alimentent d’autres mécanismes tels que l’EPU, les sessions du Conseil des droits de l’homme et diverses autres parties du système.
Malheureusement, la délégation du Pakistan ne pouvait pas être ici cette semaine car on leurs visas a refusé les visas. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
OAA: Vous pouvez comprendre la profondeur de notre déception de ne pas pouvoir assister à cette session très importante. Et franchement, nous sommes absolument choqués par le fait que le gouvernement suisse a choisi de refuser un visa qui nous aurait permis de présenter une question aussi importante que celle de la liberté d’expression au sein du Comité des droits de l’homme. Nous sommes totalement très étonnés quant à la raison pour laquelle ils ont choisi de refuser le visa sur base des raisons non convaincantes incompréhensibles qu’ils avaient données. J’espère simplement que cela ne représentait pas une politique de l’ambassade de Suisse pour limiter les voix des organisations de défense des droits humains au sein du Comité et j’espère que ce ne sera pas le cas pour le Conseil des droits de l’homme lors de l’EPU.
Comment les différentes missions diplomatiques ont-elles réagi cette semaine aux problèmes de visa?
MR: Un certain nombre d’entre eux ont partagé notre choc et celui de M. Ali ainsi que notre frustration du fait que cela s’est produit. Il parait que cela arrive, mais c’est assez rare. Ils nous ont fait des recommandations pour porter cette situation à l’attention de la mission diplomatique suisse ainsi que du président du CDH, comme une illustration potentielle de l’ingérence politique de l’État du Pakistan pour empêcher les défenseurs des droits humains de venir à Genève parler de la situation dans le pays. Ils étaient tous très solidaires, ils ont tous exprimé leur déception du fait qu’ils ne pouvaient pas parler directement avec la PPF, mais ils avaient hâte de se connecter avec eux par d’autres moyens.
Maintenant que l’examen est terminé, la société civile et l’État du Pakistan doivent attendre que les Observations finales soient publiées par le Comité des droits de l’homme le 28 juillet et puis une nouvelle série de plaidoyers fondée sur ces recommandations peut commencer. Panorama continuera à couvrir les questions de liberté d’expression au Pakistan à ce moment-là.
Ces mêmes lois, qui sont présentées pour montrer que le Pakistan respecte ses obligations internationales, sont utilisées pour restreindre les libertés.Matthew Redding
À moins que vous ne attaquiez à l’impunité, le simple fait de dédommager les victimes ne mettra pas fin aux attaques contre les journalistes.Owais Aslam Ali