Le TMG de l'IFEX condamne le recours à la force et autres attaques contre la liberté d'expression par des policiers ou d'autres groupes, ainsi que les lourdes peines infligées à des utilisateurs de Facebook pour des infractions à la morale religieuse.
(TMG de l’IFEX) – Le Groupe d’observation de la Tunisie organisé par l’Échange international de la liberté d’expression (TMG de l’IFEX), coalition de 21 membres de l’IFEX, s’inquiète vivement des attaques répétées contre les journalistes, les artistes et les femmes qui commettent le « crime » d’exprimer librement leur opinion, ainsi que de l’inaction présumée des forces de sécurité tunisiennes pendant la plupart de ces incidents survenus au cours de la dernière année. De plus, le TMG de l’IFEX condamne le recours à la force par des policiers ou d’autres groupes contre les journalistes qui couvrent les manifestations, ainsi que les lourdes peines infligées à des utilisateurs de Facebook pour des infractions à la morale religieuse.
Un événement extrêmement inquiétant est survenu le 28 mars. Ghazi Beji et Jabeur Mejri ont été condamnés à plus de sept ans de prison pour avoir affiché en ligne des écrits critiques de l’islam, qui incluaient des caricatures du Prophète Mahomet dénudé. Cela est survenu une quinzaine de jours à peine après que les autorités eurent annoncé que le 13 mars serait célébré comme la journée nationale de la liberté de l’internet.
Une série d’attaques auraient été perpétrées récemment par des individus dont certains ont été identifiés comme des salafistes, des musulmans sunnites conservateurs qui adoptent une interprétation littérale de l’Islam.
Parmi les personnes visées se trouvaient des artistes, des universitaires, des journalistes ainsi que des employés de médias et des institutions. L’attaque la plus récente ayant un mobile religieux est survenue le 22 mars, lorsqu’une troupe de théâtre en représentation avenue Habib-Bourguiba à Tunis a été agressée par des salafistes. La police serait intervenue beaucoup plus tard et, au lieu de protéger les acteurs et leur équipement contre l’attaque, les aurait déplacés au Théâtre Municipal voisin.
Au lieu de protéger la liberté d’expression, les autorités ont depuis interdit les manifestations sur l’avenue Habib-Bourguiba, principale artère de la ville, lieu symbolique de la résistance pendant la révolution. Le 28 mars, le Ministère de l’Intérieur a interdit « toute manifestation, marche et toute autre forme d’expression collective » sur cette avenue.
De plus, la police s’est violemment attaquée à des manifestations pacifiques qui se sont tenues dans différentes villes les 7, 8 et 9 avril pour protester contre le chômage et l’injustice sociale. Le 9 avril, la police a attaqué à coups de bâton et de gaz lacrymogènes environ un millier de manifestants qui protestaient avenue Habib-Bourguiba, défiant l’interdiction de manifester dans la principale artère de la capitale. Des journalistes auraient été tabassés lors d’une manifestation le 8 avril à Sfax, puis 14 journalistes auraient été tabassés à Tunis le 9 Avril.
Ce comportement s’inscrit dans un schéma d’abus de pouvoir par la police. En janvier 2012, deux femmes journalistes, Sana Farhat et Maha Ouelhezi, ont été agressées physiquement à Tunis par des policiers en civil tandis qu’elles couvraient, à l’extérieur de l’immeuble du Ministère de l’Éducation, une manifestation organisée par des professeurs d’université qui demandaient la liberté de l’enseignement. Des journalistes ont aussi été attaqués violemment par la police le 28 février tandis qu’ils couvraient une manifestation syndicale de protestation à Tunis.
Par ailleurs, Nabil Karoui, directeur de la chaîne privée Nessma TV, doit répondre à des accusations de blasphème et d’avoir troublé l’ordre public pour avoir diffusé en octobre 2011 le film d’animation Persépolis. Le procès a été reporté un certain nombre de fois et il est maintenant prévu pour le 19 avril 2012.
La présentation de « Persépolis » en octobre a provoqué des protestations à Tunis parce que le film comporte une scène où l’on voit Dieu, ce que proscrit l’Islam. Une semaine plus tard, une foule a attaqué le domicile de Karoui à Tunis et l’a endommagé à force de cocktails Molotov.
Il y a peu de protection pour ceux qui se font attaquer, y compris lors d’un sit-in en novembre et décembre à l’Université Manouba (pour protester contre l’interdiction faite aux étudiantes portant le niqab de passer leurs examens), un sit-in qui a dégénéré dans la violence. Non seulement les forces de sécurité ont-elles omis d’intervenir pour empêcher des manifestants de recourir à la violence et perturber les classes, mais elles n’ont arrêté aucun des auteurs de cette violence dans les universités. La professeure Fatma Jegham a été attaquée en toute impunité l’an dernier par des salafistes à l’Université des Beaux-Arts de Tunis parce qu’elle enseignait une matière jugée « offensante pour Dieu ».
La religion n’est pas le prétexte de toutes les violations récentes du droit à la libre expression. Le 24 mars, Lotffi Hajji, journaliste renommé et correspondant d’Al-Jazeera, a été agressé physiquement et verbalement pendant qu’il assurait la couverture d’un meeting organisé par des partisans de l’ancien premier ministre par intérim Caid Essebsi.
Alors que tous les citoyens ont le droit de protester contre des propos ou des actes qu’ils estiment offensants, le TMG de l’IFEX et ses partenaires locaux en Tunisie font campagne afin de sensibiliser la population au fait que l’obstruction ou l’entrave au droit des citoyens d’exprimer leur opinion constitue une violation de la libre expression, droit intrinsèque et pierre angulaire de toute démocratie, qui doit être inscrit dans la Constitution.
Alors que Said Ferjani, l’un des dirigeants de Ennahda, le parti politique au pouvoir, a affirmé que son parti entend protéger le choix de porter « le bikini ou la burqa », il faut faire davantage pour protéger l’ensemble des citoyens contre les gestes d’intolérance de certains individus et de certains groupes.
« Nous demandons au gouvernement de traduire ses paroles en actes par l’adoption de mesures pratiques comme la formation des forces de l’ordre à communiquer avec les manifestants, à travailler avec les médias et à intervenir activement pour protéger le droit à la libre expression afin que les citoyens puissent jouir de ce droit fondamental sans crainte de représailles », a déclaré Virginie Jouan, Présidente du TMG de l’IFEX.