Les médias entament une grève générale le 17 octobre tandis que les autorités tunisiennes continuent de résister aux demandes de constitutionnaliser les garanties en faveur de la liberté d’expression.
(TMG de l’IFEX) – Le 17 octobre 2012 – Une grève générale des employés des médias se déroule aujourd’hui tandis que les autorités tunisiennes continuent de résister aux demandes de constitutionnaliser les garanties en faveur de la liberté d’expression et d’abroger les nominations controversées annoncées dans le secteur des médias. Le Groupe d’observation de la Tunisie organisé par l’IFEX (TMG de l’IFEX), coalition de 21 groupes membres de l’IFEX, appuie fermement le secteur des médias dans son action, et demande au gouvernement tunisien de réexaminer ses politiques concernant les médias et d’entamer un dialogue significatif qui assurera son indépendance.
Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a lancé l’appel à la grève après la rupture des négociations avec le gouvernement au sujet des exigences transmises le 25 septembre. Le SNJT demande que les libertés des médias et la liberté d’expression soient incluses dans la constitution et que le gouvernement mette immédiatement en œuvre les Décrets 2011-115 et 2011-116 concernant les libertés de la presse, d’impression et d’édition, ainsi que l’indépendance des communications audio-visuelles, notamment l’autorité de désigner les directeurs des médias publics.
D’après les dépêches, la troïka au pouvoir a accepté de mettre en œuvre le Décret 2011-116, qui jette les bases des médias électroniques nouvellement indépendants grâce à la création de la Haute Autorité indépendante pour la Communication audiovisuelle (HAICA), mais uniquement en attendant que de nouvelles structures soient instaurées dans le cadre de la Constitution à venir. En outre, alors que les dépêches affirment que le blasphème ne serait plus puni en vertu du projet de Constitution prévue pour la Tunisie, il semble que, dans les faits, la référence au blasphème ait plutôt été déplacée et qu’elle soit passée de la section portant sur les droits et libertés pour être insérée dans le préambule du projet de constitution. Le parti au pouvoir, Ennahdha, a proposé la soi-disant « loi sur le blasphème », qui interdit « les insultes, les jurons, la dérision et la représentation de Dieu et de Mahomet », selon ce que rapporte Tunisia Live.
L’inquiétude, toutefois, entourant les nominations récentes par le gouvernement à des postes de direction d’importants médias, ainsi que les attaques constantes contre les journalistes et professionnels des médias, ont culminé avec l’appel à la grève générale lancé par le SNJT.
Les travailleurs du journal Dar Assabah sont en grève depuis le 1er octobre pour protester contre la désignation du nouveau directeur général Lotfi Touati, un ancien commissaire de police sous le régime Ben Ali. Les journalistes et leurs représentants n’ont pas été consultés avant la nomination et un grand nombre d’entre eux ont par la suite fait la grève de la faim pour forcer le gouvernement à entamer un dialogue direct. La grève a été suspendue le 7 octobre pendant cinq jours afin de permettre des négociations, mais elle a repris le 12 octobre, les autorités n’offrant jusqu’à maintenant aucune solution constructive aux exigences des journalistes.
Le 1er octobre, 60 journalistes et membres du personnel du journal Assour ont entrepris une grève de la faim pour protester contre une politique publicitaire imposée par le gouvernement. Selon des sources à la publication, le gouvernement tunisien entend punir le journal en lui refusant toute publicité officielle. Le TMG de l’IFEX dénonce cette tentative de censure et demande aux autorités tunisiennes de garantir que la publicité publique demeure indépendante du pouvoir politique.
Certains journalistes sont visés personnellement à cause de leur participation à la grève. Le 25 septembre, les autorités ont convoqué au poste de police d’Al-Manzeh six journalistes du Dar Assabah pour interrogatoire « parce qu’ils entravaient le travail ». Le 1er octobre, Touati a congédié le caricaturiste Hamdi Al-Mazhoudi en raison de son rôle dans la grève. De plus, Touati a empêché la journaliste d’enquête Menea Arfaoui d’entrer dans l’immeuble après avoir mis fin arbitrairement à son contrat. Arfaoui est une personnalité dirigeante du mouvement de protestation contre la nomination de Touati.
Les dépêches confirment en outre qu’à la fin septembre, les directeurs de la radio nationale désignés par le gouvernement ont remplacé plusieurs producteurs de radio bien connus et ont dissous le comité de rédaction et le conseil de rédaction qui étaient déjà en place.
Le TMG de l’IFEX condamne les sanctions prises contre les journalistes qui participent à des actions non violentes et demande la réintégration de tous ceux qui ont été démis de leurs postes pour cette raison.
Le TMG de l’IFEX demande aux autorités tunisiennes de tenir compte des exigences des journalistes en grève et d’ouvrir un dialogue sérieux et constructif afin de résoudre la crise. Une grève générale n’est dans l’intérêt de personne, et encore moins du peuple tunisien, qui se verra privé de nouvelles et d’informations à ce moment crucial. Le TMG de l’IFEX reconnaît toutefois qu’en conséquence directe de l’incapacité du gouvernement à mettre en œuvre les protections indispensables de l’indépendance des médias, pour beaucoup de journalistes la vague actuelle de mesures dans les relations de travail constitue le dernier recours dans la poursuite de la transparence et de la consultation ouverte lorsqu’il est question de désigner les directeurs des médias.
« Ces positions comportent des pouvoirs importants et de lourdes responsabilités quant à l’évolution future de l’indépendance des médias publics en Tunisie. Les personnes choisies pour diriger ce processus doivent avoir le respect et le soutien de la profession qu’elles représentent », a déclaré Andrew Heslop de l’Association Mondiale des Journaux et des Éditeurs de Médias d’Information (WAN-IFRA).