Un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression en Europe et en Asie centrale, basé sur les rapports des membres de l'IFEX.
Espagne: le référendum de la Catalogne
Brutal, honteux et contre-productif: trois adjectifs qui décrivent la tactique des autorités espagnoles le dimanche 1er octobre 2017, lorsqu’elles tentaient d’empêcher la Catalogne de tenir son référendum sur l’indépendance.
Dans de nombreux bureaux de vote à travers la région, la police nationale et militaire a violemment attaqué des foules extrêmement pacifiques qui se livraient à des actes de désobéissance civile. Au début de la soirée du dimanche, au moins 760 personnes avaient été blessées par la police, certaines sérieusement. La police a utilisé des matraques et des balles en caoutchouc dont l’usage est illégal en Catalogne depuis 2014; des plus de 2 000 bureaux de vote dans la région, on a rapporté quelques 336 effectivement fermés et dont les urnes ont été saisies.
Le résultat du référendum a été annoncé à la fin de la nuit, avec 90% des 2,2 millions de suffrages exprimés en faveur de la séparation d’avec l’Espagne.
Bien que la Cour constitutionnelle espagnole ait décidé le 6 septembre que le référendum était inconstitutionnel, le Parlement catalan l’a déclaré juridiquement contraignant. Et bien que peu de gens aient prédit ce niveau de violence, il y avait des signes inquiétants en septembre. Tout au long du mois, les autorités espagnoles se sont engagées dans des tactiques très lourdes pour arrêter le vote. Beaucoup de leurs actions étaient des restrictions claires des droits à la liberté d’expression, de réunion et d’accès à l’information.
Par exemple:
Au moins 12 dirigeants du mouvement pro-référendum – de hauts fonctionnaires du gouvernement catalan – ont été arrêtés; certains d’entre eux ont été accusés de « sédition » (qui est punie d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison). Au moins 712 maires de la Catalogne ont été convoqués pour interrogatoires et menacés d’accusations pénales s’ils ne coopéraient pas.
Des milliers de bulletins de vote, des affiches, des pancartes et d’autres matériels d’informations ont été saisis. Au moins 5 médias ont été envahis par la police, qui les a mis en garde contre des poursuites s’ils faisaient de la publicité pour le référendum ou l’appuyaient. Les sites Web fournissant des informations sur le référendum ont été fermés et censurés.
Avant le jour du scrutin, les experts des droits humains et les organisations de la liberté d’expression – y compris les membres de l’IFEX – se sont dits préoccupés par le recours par l’Espagne aux mesures judiciaires (et à la réduction des droits fondamentaux) pour résoudre ce qui était une crise politique. David Kaye et Alfred de Zayas, experts des droits humains de l’ONU, ont fait une déclaration disant que « les mesures que nous voyons sont inquiétantes parce qu’elles semblent violer les droits fondamentaux individuels, priver le public de l’information et de la possibilité de débats à un moment critique pour la démocratie espagnole » ; l’organisation Electronic Frontier Foundation a publié une déclaration condamnant les tactiques agressives des autorités espagnoles dans leurs tentatives de bloquer toute information en ligne sur le référendum, et plus précisément leur censure des domaines .cat; PEN International a critiqué « l’utilisation du système judiciaire à des fins politiques » par le gouvernement espagnol; la Fédération internationale des journalistes a fait enregistré les raids de la police sur les médias catalans à la plate-forme du Conseil de l’Europe pour la protection et la sécurité des journalistes; Reporters sans frontières a condamné l’intimidation des journalistes par les deux côtés de la fracture politique.
Le jour du scrutin, lorsque la violence policière a été diffusée dans le monde entier, Human Rights Watch a publié un communiqué disant que l’Espagne avait le devoir de protéger le droit à la liberté d’expression et de rassemblement, et que cette force ne devrait seulement être employée qu’en cas de nécessité et de manière proportionnelle.
J’ai parlé à l’eurodéputé catalan Josep Terricabras juste après que la police avait dégagé au moins deux bureaux de vote à Gérone. « Ils ont agi comme des fanatiques », m’a-t-il dit: « Ils ont vidé l’école locale en utilisant la violence. Nous ne savons pas ce qui pourrait arriver demain – ils pourraient même arrêter Puigdemont (le président du gouvernement catalan ». Pour les catalans de sa génération, tout rappelait un passé pas si lointain:
After police use batons to clear schools Catalan MEP @jmterricabras told me: ‘I lived under Franco. This is worse because we’re a democracy’ pic.twitter.com/tnDXXXhSAB
— Cathal Sheerin (@CathalSheerin) October 1, 2017
Après que la police a utilisé des matraques pour vider les écoles, le catalan MPE @jmterricabras m’a dit: « J’ai vécu sous Franco. Ceci est pire parce que nous sommes une démocratie »
Russie: censure des LGBTQI et harcèlement de voix discordantes
Ce n’est pas une nouveauté que la Russie est devenue de plus en plus intolérante à la dissidence (souvent décrite comme « extrémisme ») ou à des points de vue libéraux (souvent décrit comme « immoral »), notamment en ce qui concerne les problèmes des LGBTQI. Human Rights Watch a rapporté ce mois-ci qu’un autre militant était accusé – Evdokia Romanova – en vertu de la soi-disant loi sur la propagande anti-gay. Romanova est poursuivie pour avoir partagé des informations sur Facebook concernant la Coalition des jeunes pour les droits sexuels et reproductifs, un groupe international qui plaide pour l’accès des jeunes gens à des informations exactes sur la santé et la sexualité. Si elle est reconnue coupable, Romanova risque une amende et serait la septième personne déclarée coupable en vertu de cette loi depuis qu’elle a été adoptée en 2013. Cette détermination à réprimer les expressions positives des relations non hétérosexuelles s’étend à l’industrie du livre. La question de « nettoyage homo » (suppression de toutes les traces de contenu positif des LGBTQI des livres russes et des traductions en russe des livres étrangers) par les éditeurs russes est décortiquée dans un article de Ben Steward sur le site Web de l’Association internationale des éditeurs.
La journaliste Yulia Latynina a fui la Russie ce mois-ci à la suite d’une série de menaces et d’attaques violentes sur sa propriété. Latynina, qui écrit pour Novaya Gazeta et anime une émission de radio hebdomadaire sur Ekho Moskvy, a décrit l’attaque la plus récente – un acte d’incendie criminel de sa voiture – comme une « tentative d’assassinat ». Le Comité pour la protection des journalistes a appelé les autorités russes à déférer les auteurs en justice.
L’élection présidentielle russe a lieu en mars 2018 et les autorités de l’État travaillent déjà à paralyser la campagne du principal critique de Poutine, Alexei Navalny. Human Rights Watch a raconté un exemple de harcèlement organisé dirigé contre Navalny et ses partisans. Des tactiques incluant des raids de la police sur les bureaux de campagne de Navalny et la détention arbitraire du personnel bénévole. Des groupes nationalistes et pro-Poutine ont également battu et menacé les militants. À la fin du mois, Navalny a été arrêté alors qu’il se rendait à une réunion de l’opposition. Il a filmé une partie de cet incident sur son téléphone:
Navalny posted a video when police arrived to detain him, as he was preparing to depart for a rally with supporters in Nizhny Novgorod. pic.twitter.com/Nk4g5imE9Y
— RFE/RL (@RFERL) September 29, 2017
Navalny a publié la vidéo lorsque la police est arrivée pour l’arrêter, alors qu’il se préparait à partir pour un rassemblement avec des partisans à Nizhny Novgorod.
France: une nouvelle législation antiterroriste
Le 03 octobre, l’Assemblée nationale de France risque d’adopter un projet de loi anti-terroriste extrêmement controversé. Kartik Raj, de Human Rights Watch, fournit une analyse très claire et inquiétante de la menace pour les droits que constituerait cette loi: « Elle prend des éléments des pratiques d’urgence – des pouvoirs de recherche intrusifs, des restrictions sur les personnes qui ont été placés en résidence surveillée, la fermeture des lieux de culte – qui ont été utilisés abusivement depuis novembre 2015 – et les transforme en pratiques pénales et administratives normales. Elle fait tout cela d’une manière qui affaiblit le contrôle judiciaire et la capacité de vérification des abus d’une manière telle que les nouveaux pouvoirs antiterroristes soient utilisés par les préfets, les délégués nommés par le ministère de l’Intérieur dans chaque région ». Veuillez consulter son article pour plus d’informations.
Reporters sans frontières fournit une analyse des dangers que cette législation constitue pour les journalistes qui rendent compte du terrorisme. L’augmentation des pouvoirs de surveillance et de recherche rendra difficile le droit pour les journalistes d’exercer leur liberté d’expression et de protéger leurs sources confidentielles; des infractions vaguement définies telles qu’« entrer en contact régulier avec » des individus terroristes, laisseraient des journalistes spécialisés dans les enquêtes sur le terrorisme exposés à être frappés par une décision judiciaire « les confinant dans la municipalité où ils vivent, les obligeant à porter un bracelet électronique et à les forcer à mettre un terme à tout contact avec ces individus ou organisation ».
La Hongrie: campagne contre la société civile
Les organisations non gouvernementales, dont le Syndicat hongrois des libertés civiles (HCLU), ont interjeté appel auprès de la Cour constitutionnelle de Hongrie contre la loi répressive des ONG adoptée en juin 2017. Cette loi exige que les ONG qui reçoivent les financements de l’étranger s’enregistrent comme « agents étrangers » (comme en Russie) et affichent ce « statut » sur leurs sites Web et leurs publications. Le président populiste Viktor Orbán mène une campagne contre la société civile depuis plusieurs mois et cette loi vise à stigmatiser les ONG et à saper leur travail. Une autre cible d’Orbán est le milliardaire philanthrope George Soros, dont les Fondations Open Society financent des projets relatifs aux droits humains et à la démocratie dans le monde entier. Ce mois-ci, un site Web proche du gouvernement a placé sur une liste noire huit journalistes supposés être « pro-Soros ».
Barcelone, Espagne, le 1er octobre 2017. Un policier anti-émeute espagnol balance une matraque vers les éventuels électeurs près d’une école assignée à un bureau de voteAP Photo / Manu Fernandez, File