Un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression en Europe et en Asie centrale, basé sur les rapports des membres de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Les Gilets jaunes
Décembre était le mois des « Gilets jaunes » (Yellow Vests), un mouvement de protestation de masse à l’échelle du pays qui a secoué la France et a rapidement provoqué des concessions économiques de la part du président Macron.
Sans chef, sans structure et portant le nom des gilets à grande visibilité que les automobilistes français doivent emporter dans leurs voitures, peu de généralisations peuvent être faites à propos de ce groupe de manifestants hétéroclites politiquement. Mais ce qui les unit, c’est qu’ils sont frustrés par le statu quo, très critiques à l’égard de la classe politique et particulièrement en colère contre le « technocrate » Macron. Le mouvement a débuté dans la France rurale en novembre pour protester contre une nouvelle écotaxe sur le diesel (aujourd’hui abandonné), mais il s’est rapidement transformé en une manifestation beaucoup plus large de colère contre un large éventail de questions, notamment l’inégalité sociale, le salaire minimum, le sans-abrisme, le chômage, le contrôle des loyers et la suppression des services publics. La grande majorité des manifestants (aussi bien à Paris que dans toute la France) sont pacifiques, mais ce sont les affrontements extrêmement violents entre la police et les manifestants dans la capitale au cours du dernier mois qui ont retenu l’attention de la communauté internationale.
Human Rights Watch a accusé la police anti-émeute française d’être « trop brutale » dans l’utilisation de pulvérisateurs chimiques, de grenades au gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc contre des manifestants principalement pacifiques. « Au 11 décembre, selon les chiffres officiels, 1 407 manifestants et passants auraient été blessés, dont 46 sérieusement », a rapporté Human Rights Watch. L’organisation a invité les autorités à enquêter pour déterminer si les tactiques policières étaient nécessaires et proportionnées et à demander des comptes aux policiers pour usage excessif de la force.
Time for French police to review their use of instant tear gas grenades and rubber projectiles – weapons used like this for crowd control can maim people https://t.co/E2w5kuKYRS – new from @HRW on #giletsjaunes and high school protests pic.twitter.com/l0s0y0NIUA
— Kartik Raj (@Kartik__Raj) December 14, 2018
Il est temps que la police française examine son utilisation de grenades au gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc – armes utilisées allégrement pour maitriser les foules et qui peuvent blesser des gens – information de @HRW sur les #giletsjaunes et des manifestations au lycée
Des milliers de personnes ont été arrêtées au cours des manifestations: en un week-end seulement (les 8 et 9 décembre) il y a eu 2 000 arrestations. Selon le gouvernement, au moins 700 policiers et secouristes ont été la cible des violences.
De nombreux journalistes couvrant les manifestations ont été blessés, certains gravement. Il s’agissait notamment de deux journalistes touchés par des éclats de balles tirées par des policiers (un de ces projectiles a transpercé le casque de protection du journaliste) et d’un photographe qui a eu la main fracturée par un bâton de police. De nombreux reporters se sont plaints du fait que la police avait confisqué leur équipement de protection, les empêchant ainsi de couvrir les manifestations. La Fédération internationale des journalistes a appelé à l’arrêt des violences et des menaces de la police et des manifestants contre la presse.
Pour plus d’informations sur les Gilets jaunes, veuillez consulter le documentaire impartial d’Euronews qui explore le mouvement. Ironiquement, quelques jours après la diffusion du documentaire, un groupe de manifestants des Gilets jaunes à Lyon a menacé de prendre d’assaut les bureaux d’Euronews pour « corriger les mensonges répandus par les médias ».
Ce manque de confiance dans les médias n’aura été alimenté seulement par la révélation de Le Monde selon laquelle la chaîne de télévision publique française, France 3, a modifié l’image d’une pancarte anti-Macron, en changeant le message de « Macron dégage » à juste: « Macron ». France 3 a déclaré que cela était dû à une « erreur humaine ».
Mais non, dites moi que je rêve, #France3 a vraiment modifié une pancarte « Macron dégage » dans son jt, c’est hallucinant !
Le lien pour vérifier, à partir de 4:07 : https://t.co/1cqwvycVG2 pic.twitter.com/iYCORy0ooW— Benoit Deverly ????????????️???? (@deverly_b) December 16, 2018
Le gilet jaune a maintenant été adopté par les manifestants en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne, en Bulgarie, au Royaume-Uni et en Irlande. En Allemagne, certains groupes d’extrême droite et d’extrême gauche ont commencé à porter le gilet lors des manifestations.
Manifestations de masse anti-Orbán à Budapest
En décembre, des milliers de personnes sont également descendues dans les rues de Budapest, en Hongrie, afin de protester contre deux nouvelles lois: l’une, la « loi des esclaves », oblige les employés à travailler jusqu’à 400 heures supplémentaires par an (dont le paiement est postposé jusqu’à trois ans) ; l’autre crée un système judiciaire parallèle qui, selon Human Rights Watch, portera gravement atteinte à l’indépendance de la justice et qui, selon le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, devrait être renvoyé au Parlement pour un réexamen complet.
Les manifestations ont débuté à la mi-décembre et sont devenues aussi vite une manifestation contre le gouvernement autoritaire de Viktor Orbán autant que contre la nouvelle législation. Les foules se sont rassemblées devant le siège du radiodiffuseur d’état, où des députés de l’opposition ont exigé, sans succès, qu’une liste de leurs revendications – comprenant l’abrogation des deux nouvelles lois et un appel à un média public indépendant – soit lue à la télévision. Cette dernière demande est intervenue peu de temps après que les propriétaires de médias alliés à Orbán aient créé ce que l’Institut international de la presse a appelé une énorme « machine à propagande » progouvernementale.
Le parti au pouvoir, le Fidesz, a décrit les manifestants comme des « criminels » et – s’en tenant à son programme anti-George Soros – a reproché au philanthrope des droits humains d’avoir alimenté les manifestations. La réaction des autorités aux manifestations a été brutale: la police a fait usage des gaz lacrymogènes sur certains des manifestants et quatre des députés de l’opposition qui manifestaient devant le bureau du radiodiffuseur d’État ont été blessés par des gardes de sécurité.
Anti-Orbán protesters have crossed the Danube and are heading to castle district to demonstrate. #Hungary pic.twitter.com/dCDt9s9J6N
— Lili Bayer (@liliebayer) December 21, 2018
Des manifestants anti-Orbán ont traversé le Danube et se dirigent vers le quartier du château pour manifester.
7 000 utilisateurs de médias sociaux arrêtés pour avoir publié des posts en 2018
Début décembre, l’Institut international de la presse (IPI) a envoyé une mission pour la liberté de la presse en Turquie pour des entretiens de haut niveau avec le gouvernement. En dépit des promesses faites par le gouvernement selon lesquelles la liberté de la presse serait rétablie dans le pays après la levée de l’état d’urgence en juillet dernier, les délégués de l’IPI ont conclu que « les journalistes n’ont constaté aucun signe de respect accru de leur droit d’exercer leur profession de manière indépendante et sans peur des représailles ». L’IPI a réitéré son appel pour que les 161 journalistes actuellement en prison pour avoir fait leur travail (dont beaucoup attendent toujours d’être jugés) soient libérés et que les charges retenues contre eux soient abandonnées.
La Turquie continue sa répression sur les médias sociaux. Au grand étonnement, Selon l’agence de presse indépendante Bianet, 110 000 comptes de médias sociaux ont fait l’objet d’une enquête en 2018, et que 7 000 utilisateurs de médias sociaux ont été arrêtés. Les accusations à leur encontre comprenaient la « promotion » ou la « propagande » d’organisations terroristes, l’incitation à la haine et l’insulte de responsables de l’État.
Pour un aperçu complet de toutes les nouvelles relatives aux journalistes, aux politiciens et aux militants persécutés, veuillez consulter les mises à jour régulières fournies par Bianet, le Comité pour la protection des journalistes, la Plateforme pour le journalisme indépendant (plus Expression interrompue) et la section turque de l’Initiative pour la liberté d’expression.
Un cas à souligner, cependant, est celui de Selahattin Demirtaş, ancien co-président du parti pro-kurde Parti démocratique du peuple (HDP), emprisonné depuis novembre 2016 pour des accusations de terrorisme et qui risque 142 années de prison s’il est reconnu coupable. Le mois dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a décidé qu’il devrait être immédiatement libéré, une décision que le président Erdoğan a publiquement rejetée. En décembre, PEN International a appelé publiquement la Turquie à se conformer à la décision de la CEDH et à libérer Demirtaş.
Focus sur le genre
En décembre, Amnesty International a publié un rapport indiquant que 1,1 million de tweets abusifs ou problématiques avaient été envoyés, l’année dernière, à des femmes journalistes et politiciennes au Royaume-Uni et aux États-Unis, soit une moyenne d’un tweet toutes les 30 secondes. Selon les recherches d’Amnesty, les femmes noires étaient 84% plus susceptibles d’être ciblées que les femmes blanches. Une étude précédente d’Amnesty, qui portait sur les tweets abusifs envoyés aux femmes députées britanniques lors des élections générales de 2017, avait montré que 45% de tous les tweets analysés étaient destinés à la députée Travailliste noire Diane Abbott. En plus d’abus racistes, Abbott a reçu des menaces de mort et de viol.
In our new #ToxicTwitter study, our sample group of women, on average, received 1 abusive or problematic tweet every 30 seconds. https://t.co/EDzAtHJWvX pic.twitter.com/rvaMZNn4Sc
— Amnesty International (@amnestyusa) December 18, 2018
Dans notre nouvelle étude #ToxicTwitter, notre échantillon de femmes a reçu en moyenne un tweet abusif ou problématique toutes les 30 secondes.
Il y a eu de nouvelles glaçantes de la Turquie en décembre lorsque Bianet a annoncé que des hommes avaient tué 22 femmes le mois précédent ; plus de la moitié de ces femmes ont été tuées parce qu’elles voulaient un divorce ou une séparation.
Un Internet autonome pour la Russie
La chaîne de télévision BBC World News a été prise pour cible par le régulateur russe des médias, Roskomnadzor, qui affirme vouloir établir si BBC respecte la loi en Russie. Cette décision intervient après que le régulateur des médias britannique Ofcom eut déclaré que la chaîne de télévision russe RT avait violé les règles d’impartialité dans sept programmes en 2018, notamment dans la couverture de l’empoisonnement sur le sol britannique de l’ancien espion russe Sergei Skripal et de sa fille.
La Russie tente depuis quelque temps de restreindre les libertés sur Internet, le tout sous prétexte de sécurité nationale. Ce mois-ci a vu l’introduction d’un projet de loi qui, s’il était adopté, créerait un Internet russe autonome, distinct du reste du Web. La nouvelle loi prévoirait de nouvelles règles pour le routage du trafic Internet, un système de noms de domaine national et tous les fournisseurs d’accès Internet russes devraient aider l’État à bloquer tout matériel en ligne interdit en Russie. Roskomnadzor serait responsable du contrôle général de l’Internet russe. Veuillez consulter le site Web de Meduza pour plus de détails techniques.
En bref
En Azerbaïdjan, Mehman Huseynov, membre de l’IFEX et président de l’Institut pour la liberté et la sécurité des reporters (IRFS), est actuellement derrière les barreaux pour condamnation pour diffamation forgée de toutes pièces. Fin décembre, il aurait été placé dans une cellule disciplinaire et accusé d’avoir battu un employé de la prison. Huseynov – qui nie les accusations et n’a pas été autorisé à voir son avocat – a entamé une grève de la faim en signe de protestation.
Au Monténégro, Reporters sans frontières a annoncé que l’enquête sur les tirs en mai sur la journaliste d’investigation Olivera Lakic avait été suspendue et que la journaliste se trouvait maintenant sous le feu des attaques de médias pro-gouvernementaux.
En mars 2017, 15 manifestants ont creusé un trou dans une clôture d’enceinte à l’aéroport de Stansted au Royaume-Uni et se sont enchaînés autour d’un avion afin d’empêcher un vol d’expulsion (comprenant des demandeurs d’asile dont les demandes avaient été rejetées). Ce mois-ci, ils ont tous été condamnés en vertu de la législation relative au terrorisme. Thomas Hughes d’ARTICLE 19 a appelé à l’annulation des condamnations, les décrivant comme « une attaque choquante contre le droit de manifester et ouvertement disproportionnée par rapport aux actes des manifestants ». Les manifestants ont fait appel de leurs condamnations.
À l’occasion du premier anniversaire de l’arrestation de trois suspects liés à l’assassinat à Malte de la journaliste d’investigation Daphne Caruana Galizia, des membres de l’IFEX ont appelé les autorités maltaises à mettre en place une enquête publique sur ce crime, à redoubler d’efforts pour poursuivre les coupables et à cesser toute forme d’attaque contre la journaliste décédée.
Début décembre, neuf organisations partenaires et observateurs de la Plateforme du Conseil de l’Europe pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes ont envoyé une mission en Slovaquie pour faire pression sur les autorités pour obtenir « justice complète » dans l’affaire du meurtre du journaliste Ján Kuciak et sa fiancée, Martina Kušnírová en février 2018. Quatre hommes ont été arrêtés dans le cadre des meurtres. La mission, qui comprenait quatre membres de l’IFEX, a rencontré de hauts responsables et les a exhortés à traduire en justice les commanditaires du crime.
À Athènes, en Grèce, des inconnus ont fait exploser une bombe devant les locaux du radiodiffuseur privé Skai aux premières heures du 17 décembre. Personne n’a été blessé et aucun groupe n’a revendiqué l’acte, bien que la police antiterroriste travaillerait en supposant qu’il s’agisse d’un groupe d’extrême gauche. Bien que le Premier ministre Tsipras ait publié une déclaration de solidarité avec Skai à la suite de l’attaque, les médias (très critiques à l’égard du gouvernement Tsipras) ont laissé entendre que le gouvernement partageait en partie le blâme: « Des responsables gouvernementaux et les mécanismes de propagande ont fait de notre station une cible. Suite au développement dramatique de la journée, ils doivent comprendre le poids et l’étendue de leurs commentaires incendiaires ». Le gouvernement avait précédemment interdit à ses responsables de passer sur Skai, l’accusant de partialité.
I strongly condemn the bomb attack at #Skai TV in #Athens. Relieved that no one was injured. I welcome the swift response by authorities in #Greece and call to bring perpetrators to justice. An attack against the media is an attack against democracy. @ekathimerini @nikospappas16
— OSCE media freedom (@OSCE_RFoM) December 17, 2018
Je condamne fermement l’attentat à la bombe à #Skai Tv à #Athènes. Soulagé que personne n’a été blessé. Je me félicite de la réaction rapide des autorités en #Grèce et appelle à ce que les auteurs soient traduits en justice. Une attaque contre les médias est une attaque contre la démocratie.
En Serbie, des individus non identifiés ont lancé des bombes incendiaires sur la maison de Milan Jovanović, journaliste d’investigation du site d’information indépendant Žig Info. L’attaque a eu lieu le 12 décembre à 3h30 du matin. Jovanović, qui a réussi à s’échapper du bâtiment en flammes avec son épouse, estime que les articles qu’il a publiés sur les criminels organisés locaux pourraient avoir provoqué l’attaque.
Au cours des huit premiers mois de 2018, on a enregistré 57 attaques contre des journalistes en Serbie, et il n’est pas surprenant de constater que les médias d’Etat mènent une campagne de harcèlement et de délégitimation à leur encontre. Fin octobre, l’hebdomadaire gouvernemental Ilustrovana Politika avait publié un article accusant les reporters critiquant le gouvernement d’être « des traîtres et des collabos des ennemis de la Serbie ». C’est un problème qui prend de l’ampleur en Europe centrale et orientale, comme l’explique l’article de Paula Kennedy pour Index on Censorship.