Les rares témoignages confirment que les violations de la liberté de la presse sont désormais systématisées par les autorités.
(RSF/IFEX) – Que se passe-t-il aujourd’hui en Syrie en matière de liberté de la presse? Difficile de le savoir car de nombreux journalistes refusent de témoigner publiquement ou anonymement de peur d’être reconnus par les services de renseignements. Les rares témoignages confirment que les violations de la liberté de la presse sont désormais systématisées par les autorités. Les derniers cas révélateurs de cette politique sont la condamnation du blogueur Kareem Arbaji à trois ans de prison, et la fermeture du bureau du journaliste Mazen Darwich, le 13 septembre 2009. Par ailleurs, le site du Centre de la défense de la liberté de la presse et de culture Skeyes a été rendu inaccessible aux internautes syriens le 14 septembre, selon plusieurs internautes contactés en Syrie.
« La chape de plomb s’est considérablement alourdie depuis le début de l’été. Le ministère de l’Information, sous l’influence des services de renseignements, opère une vague de convocations et de détentions de militants des droits de l’homme, d’avocats et de journalistes. Des journalistes ont été interrogés sur le contenu de leurs articles qui « porteraient atteinte à la nation » ou menaceraient « la sécurité de l’Etat ». Les fermetures de bureaux et les convocations se multiplient, entraînant l’incompréhension des journalistes qui se sentent de plus en plus harcelés », a déploré Reporters sans frontières.
Le 13 septembre 2009, des membres du renseignement accompagnés de policiers ont mis sous scellés le bureau du journaliste indépendant Mazen Darwich, président du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression. « Je n’ai reçu aucun avertissement ou mise en garde de la part des autorités », a-t-il précisé. Tout ce que le bureau contenait a été confisqué. « Ces mesures de rétorsion confirment les tentatives d’étouffement de la liberté de la presse et d’expression (. . .) dans le cadre d’une politique systématique fondée sur la violation des droits constitutionnels et des libertés fondamentales du citoyen syrien », a écrit le journaliste dans un communiqué de presse.
Le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression est la seule organisation syrienne spécialisée dans les questions de surveillance des médias, d’accès à Internet et du suivi des médias syriens lors des élections. Sans autorisation, il maintient sa vigilance sur des violations commises contre les professionnels des médias. Le Centre a récemment eu un rôle de premier plan dans la dénonciation des décisions du ministre de l’Information, Mohsen Bilal, interdisant la diffusion d’un grand nombre de journaux et de magazines en Syrie.
Le Centre a aussi déclaré que le nombre de sites d’informations bloqués en Syrie a atteint le nombre de 241. La Compagnie générale des télécommunications et l’Association scientifique syrienne des renseignements ont la responsabilité de ces blocages. Parmi eux, on compte 49 sites kurdes, 35 d’opposition, 22 libanais, 15 portant sur les droits de l’homme et 9 sur la culture.
Le 13 septembre également, la Cour suprême de sûreté de l’Etat de Damas a condamné le blogueur Kareem Arbaji à trois ans de prison pour « publications d’informations mensongères de nature à affaiblir l’esprit de la nation » sur la base de l’article 286 du code pénal. Kareem Arbaji a été arrêté le 6 juillet 2007 par les services de renseignements militaires. Il était depuis deux ans en détention provisoire. Kareem Arbaji participait à la gestion du forum en ligne Akhawya qui traitait de tous les sujets. Selon l’Arabic Network for Human Rights Information, ce sont ses écrits en ligne qui ont provoqué son arrestation et sa condamnation.
Ces deux événements ne sont que les derniers d’une longue liste de récentes violations de la liberté de la presse en Syrie.
Le 29 juillet, le bureau de la chaîne satellitaire généraliste privée Al-Mashreq à Damas a été arbitrairement fermé par les services de sécurité. Celui d’Alep a subi le même sort quelques jours plus tard. Cette chaîne était la troisième chaîne privée la plus regardée en Syrie derrière Al-Sham et Al-Dunia. Les journalistes ne peuvent plus travailler dans le pays mais la chaîne continue à émettre.
« C’est une situation triste et étrange. Il n’y a pas de raison derrière cette fermeture mais cela n’est pas surprenant », a confié Mohammed Abdel Rahim, directeur de production de la chaîne à Reporters sans frontières. Ce dernier a quitté Damas, le 7 septembre, suite aux négociations infructueuses avec les autorités en vue de rouvrir les bureaux.
Les autorités syriennes ont convoqué la majorité des employés d’Al-Mashreq et leur ont demandé de signer un contrat de « non-travail » avec la société Live Point, principal actionnaire de la chaîne. Celle-ci a connu un grand succès pour ses émissions modernes sur les préoccupations quotidiennes de la population syrienne.
Le 13 août, Mohsen Bilal, ministre de l’Information, a rendu publique sa décision d’interdire au journaliste indépendant Ibrahim Al-Jaban d’exercer sa profession sur la télévision syrienne d’Etat et satellitaire Al-Suriya ainsi que de produire d’autres épisodes du programme al-‘Alama al-Fariqa (« Trait distinctif »). Aucun motif n’a été fourni.
L’émission al-‘Alama al-Fariqa a attiré l’attention en raison des questions audacieuses du présentateur. Plusieurs épisodes ont vu leur diffusion retardée ou interdite. Le 7 août dernier, le dernier épisode comportait un entretien avec Suleiman Haddad, président de la Commission des relations extérieures du Conseil du Peuple et ancien ami de Mohsen Bilal. L’invité, membre du Parti Baas, évoquait le passé du parti avant 1970, date de l’accession de Hafez al-Assad au pouvoir. Il a rappelé notamment les différends entre l’ancien président et d’autres membres de la direction du parti comme Salah Jadid. Ce dernier a été emprisonné en 1970 jusqu’à sa mort en 1994. Il n’a jamais eu accès aux médias syriens. Cette émission a été interdite de diffusion par le ministre lui-même. « J’ignore la motivation derrière la décision du ministre de mettre fin à l’émission al-‘Alama al-Fariqa », a conclu Ibrahim Al-Jaban.
Reporters sans frontières rappelle que la Syrie est située à la 159e place sur 173 dans le classement mondial sur la liberté de la presse établi en 2008 par l’organisation.