Au cours du mois de mai 2010 au moins trois rédactions ont été les cibles de menaces ou de représailles, en lien direct avec leur travail d'investigation mené sur le crime organisé.
(RSF/IFEX) – Un an après l’assassinat du journaliste Eliseo Barrón Hernández à Goméz Palacio, Reporters sans frontières a pu constater lors d’un déplacement in situ la permanence des atteintes à la liberté de la presse dans les États centraux de Coahuila et Durango. Les cartels de la drogue, avec à leur solde le groupe paramilitaire Los Zetas, sont les principaux instigateurs de la violence et des menaces touchant les journalistes locaux. Ceux-ci vivent dans une peur constante. Au cours du mois de mai dernier, au moins trois rédactions ont été les cibles de menaces ou de représailles, en lien direct avec leur travail d’investigation mené sur le crime organisé.
Le 20 mai 2010, la rubrique des faits-divers du journal « Noticias de El Sol de la Laguna » a immédiatement fermé sa section policière suite à des menaces proférées contre le journaliste Javier Adame Gómez. Ces menaces avaient suivi de peu la publication de nouvelles relatives à un attentat commis à Torreón et qui avait coûté la vie à huit personnes.
Quelques jours plus tard, Karla Guadalupe Tinoco Santillán, correspondante pour le journal « La Opinión », dans la municipalité de Vicente Guerrero (Durango), a reçu des menaces téléphoniques lui signifiant de ne pas « se mettre en travers de ‘leur’ chemin », messages typiques du crime organisé répondant à un article de la journaliste sur une série d’enlèvements.
La même semaine, le 30 mai, un groupe armé a pénétré le domicile d’un journaliste de la même rédaction, mais seuls sa femme et ses enfants se trouvaient sur place. Le lendemain, un autre journal de la région, « Express de Multimedios », a reçu l’ordre de publier les photos de six têtes décapitées retrouvées le matin même, sans quoi « des journalistes allaient subir le même sort ».
Malgré une modification du code pénal de l’État de Coahuila introduite en mai 2008, punissant les assassins de journalistes de soixante ans de prison ferme et sans remise de peine possible, les violences envers la presse perdurent. Au cours du mois de mai 2009, deux journalistes ont trouvé la mort. Eliseo Barrón, employé à la rubrique des faits divers du quotidien « Milenio Torreón », et Carlos Ortega Melo Samper, du « Tiempo de Durango », retrouvé assassiné le 3 mai de cette année à Santa Maria del Oro (Durango).
L’année 2009 a également connu un sinistre épilogue avec les décès consécutifs de deux autres journalistes. Vladimir Antuna García, lui aussi du « Tiempo de Durango », retrouvé mort le 2 novembre 2009, et Valentín Valdés Espinosa, du « Zócalo de Saltillo », enlevé dans l’État de Coahuila le 7 janvier 2010, et retrouvé assassiné le lendemain.
« Qu’y a-t-il de nouveau? ». C’est la question que soulève le journaliste Julian Parra Ibarra, dans un éditorial publié le 31 mai 2010, commémorant la mort d’Eliseo Barrón. Plus d’un an après son assassinat et l’arrestation, le 6 juin 2009, de cinq membres de Los Zetas, auteurs présumés de l’assassinat, l’enquête stagne. « Que pouvons-nous tirer de positif de cette triste histoire ? Qu’est ce qui peut nous faire penser que son combat n’aura pas été vain? » se demande le rédacteur. Malheureusement, à la manière du journaliste, ami et confrère d’Eliseo Barrón, nous parvenons au même constat accablant : rien n’a changé. Pire, personne ne dit rien.
Devenues monnaie courante, les menaces pesant sur les journalistes ne font qu’accroître l’autocensure. Dès qu’un média de la région mentionne des faits liés au crime organisé, l’auteur met par la même sa vie, celle de sa famille et de ses collègues en danger.
Ce climat de terreur n’est pas nouveau. Depuis 2007, l’insécurité s’est aggravée, touchant toutes les couches de la population, à travers notamment la généralisation des enlèvements. Rafael Ortiz Martínez, du quotidien « Zócalo », dans la ville de Monclova (Coahuila), est toujours porté disparu depuis juillet 2006. En avril 2007, Onésimo Zúñiga, du quotidien journal « Noticias de El Sol de La Laguna », avait été séquestré durant plusieurs heures par un groupe armé.
Cette triste réalité n’est pas seulement le fait du crime organisé. Elle concerne aussi les autorités dans d’autres régions, comme Oaxaca, où une seconde caravane humanitaire qui se rendait auprès de la communauté indigène triqui de San Juan Copala, a dû rebrousser chemin faute de garanties de sécurité suffisantes. L’attentat commis contre un précédent convoi, le 27 avril dernier, s’était soldé par la mort de deux humanitaires et un journaliste blessé, David Cilia de la revue « Contralínea ». Le 10 juin, Ixtli Martínez, correspondante de MVS-Radio et de l’agence AP à Oaxaca, a été blessée lors d’un attentat commis en marge d’affrontements étudiants sur le campus de l’université autonome Benito Juárez.
Enfin, nous estimons inapproprié et dangereux les récents propos contre la profession du ministre de l’Intérieur Fernando Francisco Gómez Mont, rencontré lors d’une précédente mission au Mexique en juillet 2009, qui exige régulièrement que les médias orientent « mieux » leur information en direction de l’opinion publique. Le numéro deux du gouvernement fédéral a en effet imputé aux journalistes « qui glorifient le narcotrafic et parlent mal du pays » l’entière responsabilité de leur sort, en particulier à Ciudad Juárez, où la presse se plaint de plus en plus d’abus et de violences venant de l’armée. Ces propos aggravent encore le péril pesant sur l’ensemble des médias régionaux mexicains et le manque de protection dont sont victimes les journalistes.
Soixante-deux professionnels des médias ont perdu la vie au Mexique depuis 2000 et onze sont portés disparus depuis 2003.